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Elle ne vit pas la 403 avant que le véhicule s’arrête à sa hauteur et qu’un des trois jeunes gens en fasse irruption. Celui qui dissimulait à peine le couteau à cran d’arrêt qu’il avait à la main, le long de la cuisse gauche. Elle aperçut la longue lame effilée.

Elle vit son visage blême. La VW avait disparu au loin.

Elle essaya de courir.

La 403 monta sur le trottoir.

Il était huit heures quinze.

CHAPITRE III

Ils étaient quatre dans le bureau de Schneider. Ce dernier derrière son bureau, et qui manipulait le lecteur de cassettes, Charles Catala une fesse piquée sur l’appui de fenêtre, à côté de la console radio, Dumont adossé à un classeur métallique et le gardien Sivieri assis sur la chaise réservée d’ordinaire aux clients de la Criminelle. Le flic avait déboutonné sa vareuse d’uniforme.

Une cafetière électrique gargouillait quelque part.

Schneider leva les yeux :

— Quoi d’autre ?

— Rien du tout, soupira Sivieri. (Il braqua son index sur le lecteur.) Tout est là-dedans. Rien d’autre.

Schneider alluma une Pall Mall. Ses yeux gris étaient très froids. Cheroquee disait qu’il avait des yeux de flic et qu’elle n’aimait pas beaucoup leur dureté engourdissante. Schneider était un flic. Il balaya le visage de Sivieri et celui-ci se sentit aussitôt mal à l’aise.

Schneider abattit les deux paumes à plat sur le bureau.

— Vous croyez que c’est du bidon ? demanda Sivieri.

— Non. Vous n’avez eu aucun autre appel, après ?

Sivieri sortit un double carbone de la feuille de trafic radio et la déplia. Il la déposa sur le bureau, devant Schneider, presque sans incliner le dos. Charles Catala décolla de l’appui de fenêtre, contourna le bureau et alla débrancher la cafetière. Dumont sortit des gobelets en plastique du classeur auquel il était adossé peu avant.

Schneider examinait la feuille. Deux fourgons de Police Secours étaient sortis et rentrés entre sept et huit, pour des missions de routine.

Une 4L de la Sûreté avait effectué un contrôle de gare.

— Et au téléphone ? s’enquit Schneider.

— Une femme qui voulait avoir le numéro du médecin de garde. Un gosse qui avait une forte fièvre, quelque chose dans ce goût-là, se rappela Sivieri. Il y a des palanquées de dingues, dans cette ville.

— Parmi lesquels un tordu avec une US M1, coupa Schneider.

— C’est l’US M1 qui m’inquiète, intervint Dumont. Une US M1 calibre 30 x 30…

Charlie servait le café. Il secoua ses boucles brunes.

— Arrêtez de vous branler les couilles pour rien, dit-il doucement. Si ce connard n’est pas en train de nous balader, de toute façon, il nous manque un truc.

— Quel truc ? demanda Sivieri.

Charlie lui servit un large sourire enjôleur.

— La refroidie, bonhomme. La refroidie… Qu’est-ce que tu veux qu’on foute sans elle, à ton avis ?

Le téléphone sonna, près du coude de Schneider. Il décrocha.

— Salle de commandement. Vous me passez Schneider.

— J’écoute…

— Ah pardon, monsieur. Le type a rappelé.

— Quand ?

— À l’instant. Je voulais vous le passer, mais il a coupé avant.

— Qu’est-ce qu’il vous a dit ?

— C’est fait. Il a dit : « C’est fait. »

— Vous avez la bande ?

— Bogart vous la monte, monsieur.

— Merci, dit Schneider en raccrochant.

La cigarette avait soudain un goût amer. Le policier fit pivoter le fauteuil, contempla le ciel blanc et dur comme du badigeon sec. Il y avait des palanquées de dingues mais pas beaucoup pour appeler après, dire que le travail était exécuté.

On frappa à la porte et Bogart se profila dans l’embrasure. Il apporta la cassette, qu’il déposa sur le bureau, au milieu de la feuille de trafic radio. Schneider avait le dos tourné, les autres buvaient leur café, la mine sombre.

— On crève, hein ? dit Bogart à Charlie.

— Jusqu’à ce que ça craque, répondit le jeune homme, l’esprit ailleurs.

— Passez cette merde, Charles, ordonna Schneider de dos.

La même voix déclara lentement : « Dites à l’inspecteur Schneider que c’est fait. Elle est morte. N’oubliez pas : elle est morte », puis la tonalité.

Schneider était plus immobile qu’une poutre en béton.

* * *

Le jeune con trouva malin de tirer le sac d’une grosse bonne femme, en pleine rue de la Liberté, sur le coup de neuf heures, au moment où il y avait encore un maximum de monde dans la rue. La gravosse se mit à hurler et à le poursuivre en glapissant et en agitant les bras comme un sémaphore. Le jeune con poussa une pointe, en slalomant entre les passants, le sac serré contre la poitrine : le rugbyman qui va à l’essai. Il avait dépassé le Prisunic à l’aise, la grosse gueulait toujours derrière et il tourna la tête pour voir. Deux grands types avaient démarré, il percuta quelqu’un, tourna et manqua s’étaler. D’une certaine manière c’était cocasse : l’ablette qui cavalait devant, les cheveux au vent, les deux mastards qui assuraient derrière et la connasse qui trottinait maintenant, en se tenant les côtes sans cesser de bramer.

Elle était complètement larguée, mais ça ne l’empêchait pas de s’époumoner.

Le jeune con trouva le temps de rigoler.

Quelque chose d’immense et de blanc lui bloqua soudain le passage et avant qu’il ait eu le temps de faire quoi que ce soit, une brique le percuta en pleine gueule. Malgré l’élan, le jeune con battit des bras et s’envola en arrière. Le sac de la grosse décrivit une longue trajectoire tournoyante et atterrit en plein milieu du pare-brise d’une GS, dont les freins hurlèrent à mort.

Les deux mastards arrivaient en soufflant.

— Qu’est-ce il a fait ? demanda le boucher en soulevant le jeune homme sans effort.

— L’a tiré un sac, l’enculé, expliqua un des mastards.

Le boucher remit une patate au même endroit que la première et la tête ballotta. Du sang gicla. Le second mastard prit une poignée de cheveux. Le conducteur était sorti de la GS en gueulant. Lorsqu’il vit les trois hommes qui travaillaient l’autre à la face et au corps, il jugea plus prudent de remonter dans sa bagnole et de se tirer.

Le sac se retrouva dans le caniveau.

— Arrêtez, cria une très jeune femme, arrêtez : vous allez le tuer.

— Rigole pas, maman, grimaça le mastard qui tenait les cheveux en tordant, la mauvaise graine ça crève pas.

— Arrêtez, répéta la femme.

Elle regarda de tous côtés. Elle n’avait pas la moindre sympathie pour les flics. Il y en avait un qui réglait la circulation au carrefour, plus loin. Il tournait le dos à la scène. Elle se mit à courir dans sa direction, en dépit des voitures qui la dépassaient en aboyant. Elle saisit le bras raidi du flic, qui se retourna.

Elle avait des cheveux et des larmes dans la figure.

— Venez vite, supplia-t-elle. Ils sont en train de le défoncer.

Par-dessus son épaule, le flic vit l’attroupement, les types qui s’activaient comme des marteaux-pilons. Au milieu des connards qui regardaient, il y avait une silhouette déjetée qui encaissait. Le flic se mit à courir en sifflant de toutes ses forces.

À proximité, la grosse femme observait la scène en trépignant sur place, le sac serré contre elle. Le flic rentra dans le tas. Le boucher lui colla un marron sur le côté de la figure. Le flic arma le bras gauche, son poing s’enfonça sous la ceinture du gros homme qui se plia en deux.

Le gosse était recroquevillé sur le trottoir sale, presque immobile.