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Il prendrait le chemin de terre en plein champ.

Les blés mûrs se dressaient immobiles.

Sur le siège du passager, il y avait un .357 Police Python avec un canon de six pouces au barillet rempli. La poignée de l’arme était dirigée vers le conducteur et il n’aurait fallu qu’une fraction de seconde pour qu’il s’en saisît.

Il aperçut l’écluse.

Le break Volvo s’engagea dans les ornières en cahotant.

Derrière, il soulevait de paresseuses volutes de poussière fine et tiède, couleur de farine bise, qui ne tardèrent pas à retomber sur le sol craquelé. Une haie de peupliers barrait l’horizon immédiat.

L’homme stoppa la voiture à la barrière, sans couper le moteur.

Sa chemise de tergal kaki était trempée aux aisselles et dans le dos.

* * *

Schneider tapait à la machine.

Il avait la carte d’identité du gosse ouverte à côté. Le jeune homme, car il s’agissait d’un jeune homme, s’appelait Ben Ahmed Celim. Il était né à Dijon, Côte-d’Or, le 27 juillet 1964. Il mesurait 1 m 67 et ne présentait aucun signe particulier. Il demeurait 17, Cité Schumann, à Z…

La carte nationale d’identité avait été délivrée moins d’un mois auparavant par la préfecture. On était le 22 juillet et Ben Ahmed Celim allait voir dix-huit ans dans cinq jours. Comme le document administratif l’attestait, il était de nationalité française, même s’il n’en n’avait pas tout à fait la tronche.

Dans la pièce contiguë, l’inspecteur Dumont prenait la plainte de la femme. Le sac contenait divers papiers personnels, un chéquier et un porte-monnaie dans lequel se trouvait une carte de circulation des bus de la ville, des tickets de caisse et la somme de deux cent vingt-trois francs et soixante-dix centimes.

Dumont tapait également. Il leva la tête.

— « Je dépose plainte contre l’auteur de ces faits », lut-il.

— C’est ça, affirma la femme.

La porte de communication était ouverte.

Le téléphone sonna sur le bureau de Schneider et Catala prit la communication. Schneider cessa de taper. Le gros homme au tablier blanc était assis, faraud, au milieu de la pièce. Charles hocha brièvement la tête, masqua le combiné avec la paume. Schneider se leva, contourna le bureau.

— SAMU, prévint le jeune homme.

Schneider prit.

— Berthier, comment il va ?

— Il est mort.

Il y eut un silence.

— L’un des coups lui a remonté l’arrête nasale, qui a atteint le cerveau. Un coup porté à la face de bas en haut. Il était déjà dans le coma lorsque l’ambulance l’a amené.

— Oui, dit Schneider. C’est fini, alors.

— C’est fini.

Le policier raccrocha, se retourna vers la fenêtre. Oh oui, il faisait chaud, très chaud. Lorsqu’il faisait trop chaud, tout le monde devenait dingue dans cette putain de ville, même les plus paisibles des garçons bouchers, à supposer qu’il y en eût. Schneider chercha les Pall Mall dans la poche de poitrine de sa chemise lavande. Il en alluma une avec le Dupont en laque de chine bleu sombre de Cheroquee, contempla les gens sur le parking.

Il se retourna.

Le gros homme le regardait, les mains sur les genoux.

— Monsieur Maréchal, annonça le policier, vous êtes placé en position de garde à vue depuis ce matin, neuf heures trente, moment de votre interpellation par mes soins.

— Garde à vue ?

— Je vous arrête, expliqua Schneider le visage vide.

— Vous m’arrêtez ?

— Pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner. Article 309, alinéa quatre du Code pénal.

Le gros homme regarda alternativement les deux policiers, puis Dumont qui venait d’apparaître sur le seuil du bureau, une liasse de procès-verbaux à la main. Schneider s’assit dans son fauteuil.

— J’l’ai pas tué, cria Maréchal. C’est les autres, moi je faisais rien que le tenir. (Il fit mine de se lever. Charles Catala et Dumont firent à peine mouvement. Il les regarda au visage.) C’est pas moi. Je lui ai rien que mis deux trois pains dans la gueule, histoire qu’y recommence plus…

Schneider leva la tête.

Son visage était creux et gris.

Dumont posa le procès-verbal de plainte devant lui et le policier le parcourut rapidement. Il releva les yeux, les posa sur le visage du gros homme.

— Vous pouvez être certain d’une chose, monsieur Maréchal, il ne recommencera jamais. Jamais plus.

Il saisit le téléphone, appela le standard.

— Schneider, au 406. Voulez-vous me passer le substitut Morel ?

La Pall Mall n’avait pas un goût amer : elle avait un goût dégueulasse.

CHAPITRE V

Le van customisé se trouvait rangé sur un emplacement retenu longtemps auparavant, entre des faux poivriers et un tamaris, qui répandaient une ombre diffuse et fraîche sur le sable fin du sol. À travers le rideau de thuyas du Canada, parvenaient des piaillements d’enfants, les bruits d’éclaboussures de la piscine proche, parfois le choc mat sur l’eau lorsqu’un plongeur malchanceux ou maladroit ramassait un plat. Un moteur de tondeuse vrombissait au loin.

Hollywood Chewing-gum procédait aux branchements sur la borne du camping.

Il était vêtu d’un bermuda clair et chaussé d’espadrilles.

Un jeune homme de son âge — une trentaine d’années —, s’approcha du van. Il arborait une barbe à la Raspoutine et des lunettes rondes à monture d’acier. Il dit en souriant à peine, comme embarrassé :

— Ce vieux Jacques…

Hollywood Chewing-gum se retourna d’un bloc.

Ses yeux étaient étrangement vides et durs. Puis il reconnut Raspoutine et son expression se modifia, il se redressa et les muscles de ses épaules et de ses bras se détendirent. Il sourit largement.

— Rafe… Nom de Dieu, mais qu’est-ce qui a changé ?

— La barbe, peut-être. J’étais pas au bureau quand tu es arrivé. Après j’ai vu au tableau qu’il y avait un bahut sur ton emplacement. (Ils se serrèrent la main.) Tu as l’air en pleine forme. J’espère que tu restes un moment ?

— Il faut que je sois rentré samedi.

— Et Sylvie et le gosse ?

Hollywood Chewing-gum indiqua la direction de la piscine, du pouce, par-dessus son épaule à la peau presque noire.

— Ils sont partis se baquer.

— Tu veux un coup de main ? s’empressa Rafe.

Le ciel était d’un bleu éclatant, presque insoutenable.

* * *

Le commissaire Vannier pénétra dans le bureau auto sans frapper. Grand et mince, il portait un complet gris fer sur une chemisette blanche ouverte, des mocassins de cuir noir. Le commissaire Vannier exerçait les fonctions de chef de Sûreté, en l’absence de Jack l’Éventreur. À son double titre de commissaire et de chef de Sûreté par intérim, il n’avait ni à frapper à la porte d’un bureau avant d’y pénétrer, ni a fortiori de manifester le moindre égard à l’endroit de quiconque.

— Bogart, c’est vous qui avez la main courante Sûreté ?

— Non.

Vannier aperçut la femme qui pleurait, le visage dans les mains.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Vannier à Bogart.

— Son mari est parti. Elle a peur qu’il fasse une connerie. Ou qu’il l’ait déjà faite.

— Balancez-la à l’administrative.

Bogart soupira.

— Elle voudrait voir Schneider.

— Ça tombe bien, ricana Vannier. Moi aussi.

Il ne s’abstint pas de claquer la porte en sortant.

La femme releva la tête.