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Je m'en tire par une échappatoire à bascule :

— Trois jours c'est trop court pour trouver les fonds.

— En ce cas, disons quatre et c'est marché conclu. Ça va ?

Ma pauvre voix lamentable balbutie :

— Ça va…

Et l'autre raccroche.

Je suis à ce point élimé de la pensarde que je ne songe pas à l'imiter. C'est le dévoué Jérémie Blanc qui, charitablement, me cueille le combiné des mains (je le tenais de mes deux mains droites) pour le reposer sur l'interrupteur de grossesse. Pour un peu, il m'emmènerait faire pipi.

Il est pétri d'admiration, le très sombre. Effaré par ma perspicacité inhumaine, ma prescience forcenée.

— C'était D.C.D. ? demande-t-il.

J'opine (donc je suis).

— Alors ?

— Ce n'est pas lui l'auteur des quatre meurtres !

Je lui résume notre converse.

— Il aurait tué un vieux, qui était, paraît-il, gênant pour Bonblanc, et réclame vingt-cinq millions pour lui zinguer son ex-femme, laquelle est en train de gésir actuellement dans un récipient de la morgue !

On croit rêver, non. Et rêver bourré au L.S.D. dose géante !

— Comment peut-il ignorer les événements qui viennent d'avoir lieu et dont tous les médias font leur manchette ?

Petite giclette sonore. Je décroche, comprenant qu'il s'agit du brigadier Bedaine qui s'amène au rapport.

— Je suis très ennuyé, monsieur le commissaire, fait-il, penaud ; il ne nous a pas été possible de localiser l'appel.

— Merde ! La communication n'a pas duré suffisamment longtemps ?

— Si, mais elle émanait de l'étranger.

Putain d'Adèle ! Je n'avais pas songé à cette éventualité.

— De l'étranger ?

— D'Afrique du Nord, probablement du Maroc.

J'ai une pensée respectueuse pour Sa Majesté Hassan II que je trouve éminemment sympathique vu que roi, par les temps qui courent, faut le faire ! T'as meilleur compte d'acheter une boutique de prêt-à-porter que de reprendre un royaume vacant, si tu envisages de toucher un jour la retraite et la carte vermeil.

— Donc, impossible d'obtenir plus de précisions, Bedaine ?

— Hélas non, monsieur le commissaire.

— Tant pis, on fera avec ce qu'on a. Tu vas me repasser deux fois le message et, ensuite, tu m'en feras un bobineau que tu déposeras sur mon bureau.

— Volontiers.

— Vas-y, remets-nous l'enregistrement !

Et je tends l'appareil à M. Blanc.

Tandis que mon pote écoute, je me concentre pour essayer de trouver coûte que coûte une vague cohérence à ce sac d'embrouilles. Y a une fourche à l'affaire, comme à une branche d'arbre. Elle se divise en deux parties. Tueur bicéphale, en somme.

Le pseudo D.C.D. élabore son coup pour amener Bonblanc à lui lâcher le pactole. Histoire de décider le gros sexagénaire, il lui fait l'offrande d'un meurtre, chose peu banale, tu en conviendras si tu ne veux pas prendre ma main sur la gueule ! Parallèlement, un (ou d'autres) individu(s) perpètre(nt) un massacre. Les deux assassins (ou groupes d'assassins) se connaissent-ils ? Ont-ils partie liée ou agissent-ils chacun pour son compte, en ignorant l'autre ?

Du côté de D.C.D., il n'est pas au courant de la mort de Jean Bonblanc et de l'équarrissage de ses proches, pour la bonne raison qu'il se trouve en Afrique du Nord et que ces récentes nouvelles ne lui sont pas encore parvenues. Voilà pourquoi il a bel et bien appelé à l'heure dite, comme mon sûr instinct le pressentait. Lui, fatalement, possède au moins un complice puisque, au cours des dernières heures, un vieux a été mis à mort dans la région par ses soins. A moins qu'il ne soit venu le buter et soit reparti pour le Maroc aussitôt après. Mais c'est peu probable.

Jérémie repose le combiné et se met à mordre dans une peau morte de son pouce, qu'il sectionne et crache à trois mètres.

— Il va falloir découvrir quel vieux il a carbonisé. C'est plutôt étrange d'apprendre qu'un homme qui « gênait » Bonblanc est mort, et d'ignorer de qui il s'agit. D'ordinaire, on déclenche une enquête à partir d'un cadavre, cette fois on va en ouvrir une pour savoir si ledit cadavre existe bien et, si oui, de qui il s'agit !

Juste qu'il finit sa réflexion, des mecs se pointent. Ils sont trois. Je reconnais cette peau de merde de commissaire Plâtroche escorté de deux inspecteurs. Plâtroche est un flic imbibé jusqu'au slip. Son vice, c'est le rosé d'Anjou. Autour de son pif, sa frime forme une toile d'araignée violette. Ça ressemble à de la crépine de porc. Il a le regard mouillé et un infime tremblement des paluches. Pour ce qui est de son haleine, tu ne trouveras jamais pire. T'as l'impression qu'il vient de déféquer par la bouche. S'il avait de la religion et qu'il se rende à confesse, le pauvre prêtre serait contraint de plaquer son mouchoir sur son nez pour pouvoir lui filer le train jusqu'au bout de ses insanités.

Une vraie ordure, cézigue. Genre ripou sur les bords. A plusieurs reprises il a eu des ennuis avec la police des polices, qui se sont chaque fois arrangés because la politique. Malgré ses protections, il a dû traîner ses boutanches de rosé dans tous les services : aux Mœurs, aux Stups, à la Financière, à la Criminelle.

— Qu'est-ce que tu fous ici, avec ton albinos ? il se met à mugir, tel un féroce soldat venu jusque dans tes bras pour égorger tes fils, tes compagnes.

— Et toi, la Liche ?

— Moi, j'agis sur l'ordre du principal Delachiace.

— Moi, sur celui du Vieux !

On se regarde. Il regarde alentour, aperçoit le téléphone et se précipite dessus comme un mec qui se noie sur une bouée qui passait par là.

De son doigt qui branle, il compose un numéro (de cirque plus que de téléphone) sans cesser de me couvrir d'un regard qui pue autant que sa clape.

— Monsieur le principal ? Ici Valentin Plâtroche. Nous arrivons chez le sieur Bonblanc, et qu'elle n'est pas notre surprise que d'y trouver le commissaire San-Antonio et l'un de ses hommes. Il prétend avoir été mandaté par M. le directeur soi-même… Comment ? Vous vous renseignez par l'interphone ? J'attends.

Je rigole :

— Ne te mets pas dans cet état, Plâtroche, ta vinasse du matin va te rester sur l'estomac !

Il me tourne le dos. Un silence s'écoule. Les auxiliaires de mon homologue me sourient avec sympathie. Je gage qu'ils préféreraient appartenir à mon équipe plutôt qu'à celle du pochard.

— Oui, je suis là, monsieur le principal… Comment ? Ah ! bon ! D'accord, je vous le passe.

Il pose l'appareil sur la table et, me le désignant du doigt, déclare :

— On veut te parler !

Le principal Delachiace, c'est le genre protestant guindé. Je l'aurais davantage vu dans la magistrature assise que dans la Rousse qui exige un certain moelleux. Il a la voix tranchante, toujours prête à réprimander.

— Bonjour, monsieur le principal…

— Que faites-vous chez le dénommé Bonblanc, commissaire ?

— J'enquête, évasivé-je.

— Vous n'êtes pas chargé de cette affaire.

— Je le sais, mais M. le directeur m'a donné des instructions cette nuit, auxquelles je ne fais qu'obéir.

— Je viens de lui poser la question, il affirme que c'est faux.

— En ce cas, de deux choses l'une : il est menteur ou gâteux. Jérémie Blanc en est témoin !

— Je n'apprécie pas ce genre d'attitude, commissaire, vous aurez à m'en rendre compte. En attendant, quittez les lieux immédiatement. Si vous y avez découvert quelque élément intéressant, veuillez le communiquer à Plâtroche.

Il coupe sec.

Un qui mouille dans son abominable slip, c'est mon collègue. Tu le verrais savourer, tu foutrais le feu àson sourire avec un chalumeau oxhydrique.

— Alors ? goguenarde-t-il.