Je m'approche de lui, nonobstant son haleine putride, te prend à l'épaule et murmure à son oreille mielleuse (et emmiellée) :
— Ça fait des années que je voulais te le dire, Valentin. Je remettais toujours, peut-être par timidité, peut-être par charité, mais aujourd'hui je vais me risquer : t'es beau comme un rat malade, mon gros. Ta gueule ressemble à ton foie. Tu fouettes du couloir pire qu'un scatophage. T'as une âme comme un trou du cul jamais torché. J'espère que l'alcool t'empêche de bander parce que ce serait trop terrible que tu puisses éjaculer à l'intérieur d'une dame. Quatre-vingts pour cent des malfrats que tu as arrêtés étaient plus honnêtes que toi ! Quand tu parles, on dirait que tu rotes, et quand tu rotes, que tu chies. Le jour où tu prendras ta retraite, la police aura l'air d'avoir été repeinte. Voilà. Je n'ajoute pas que je t'emmerde car, avec ton sens inné de la déduction, tu l'avais déjà compris.
Je reprends mon bras.
— Tu me cherches ! grince-t-il, presque blanc sous sa crépine de porc.
— Surtout pas : au contraire, je te fuis ! Tchao !
Nous fuyons, en effet. Car c'est bien d'un fuite qu'il s'agit. Ce métier, je le recommanderais pas à mon pire ami ! Les camouflets qu'il faut essuyer, misère ! Ces vexations injustifiées, ces bannissements sans fondement ! L'horreur. Voilà que je lève « l'affaire du siècle » et qu'on m'en expulse, comme ça, presque bêtement ; même pas pour me faire chier, simplement parce que Pépère a eu le besoin de changer de cap quand j'ai été parti. Me passant outre, il m'a écarté du chemin. Vieille relique ! Le père ma ganache de potasse ! Je devrais le haïr, je ne parviens même pas à le mépriser. Il est comme ça, ce branleur branlant ! Egocentnque à en faire éclater ses couilles flasques ! Peut-être, aussi, a-t-il voulu se venger d'avoir été encorné à la va vite par un Noir, raciste et jaloux comme je le sais, le Débris.
Je pilote, la mâchoire crispée, poussant haut les vitesses inférieures pour avoir davantage de mordant. On traverse des champs de blé verts piquetés de coquelicots, de bleuets et de marguerites (à l'occasion du bicentenaire de la prise de la Bastoche).
— Il va falloir délimiter notre territoire, finit par déclarer M. Blanc. Laisser quimper l'enquête officielle puisqu'on n'a pas le droit d'en renifler l'odeur, et nous consacrer à D.C.D. Découvrir quel vieillard il a supprimé pour « appâter » Bonblanc.
— D'accord, mais pour cela il nous faudrait interroger les familiers du bonhomme. Or, ces gens sont coiffés désormais par les services du principal Delachiace, et si nous allons leur tirer les vers du pif, nous tomberons fatalement sur d'autres commissaires Plâtroche. Dans l'ensemble, à quelques rares exceptions près, tous mes confrères me haïssent. La fantaisie de mes méthodes, mon comportement souvent extravagant, voire illicite, et les faveurs dont je jouis quand le Vieux ne me déclare pas en disgrâce me marginalisent trop pour que je sois accepté de ces messieurs. On me fait des risettes quand mon ciel est dégagé, et l'on me crache à la gueule lorsqu'il se couvre. Je dois accepter ou démissionner.
Jérémie donne un crochet du droit à vide : geste de footballeur exultant lorsqu'il vient de placer un but.
— Veux-tu que je te dise, patron ? Eh bien, si on y réfléchit, cette situation est plutôt cocasse. Nous voilà tricards dans notre affaire. Donc, libres, mec. C'est chié, non ? On va agir sans rendre de comptes à personne. Si on se plante, donc ne le saura. Si on réussit, on le leur fourrera dans le cul jusqu'à la glotte. Conclusion : nous sommes gagnants !
C'est beau l'optimisme poussé à ce point !
Je lui flanque une claque sur le genou.
— Bien dit, l'artiste. Tas droit à la noix de coco d'honneur, comme au Canard Enchaîné. Maintenant, déterminons qui serait susceptible de nous parler des relations de Bonblanc, en dehors de sa famille, de ses amis et des gens qui travaillaient pour lui.
— J'ai bien une idée, amorce M. Blanc. Mais je ne suis pas convaincu qu'elle vaille quelque chose.
CHAPITRE VI
EN AVOIR OÙ TU SAIS
On arrive chez Miss Gladys juste comme le cheikh Salam Haleck achève de tirer sa crampe. On peut suivre l'événement sur l'écran du salon bleu car un système de caméra vidéo assure la retransmission du match. Le cheikh lime en levrette, les mains posées sur le postérieur de Miss Gladys, d'une allure un peu féline, mais puissante. Son collier de barbe noire s'emperle de sueur. Il a un beau regard d'apôtre reconverti dans la vente des tapis, un ventre qui grassouille, un rictus de jouissance contrôlée et des bagouzes bourrées de carats. Il mâche du chewing-gum en tirant sa partenaire. Miss Gladys, qui connaît son métier sur le bout du dito, feint avec justesse une participation de bon aloi à cette étreinte. Quelques soupirs de qualité, des interjections bien venues, de menus cris de plaisir donnent au cheikh l'heureuse conviction d'être reçu cinq sur cinq.
— Il nous rend visite à chacun de ses voyages à Paris, achève Martine. Je sens qu'il va bientôt prendre son pied ; il ne faut pas rater le spectacle !
Effectivement, le dignitaire arabe sort sa gum de sa bouche et la plaque sur les fesses de Miss Gladys. Qu'après cela, il assure davantage sa prise en enfonçant ses ongles dans la chair tendre de sa compagne d'un moment. Et alors, il pique des deux comme un cavalier berbère au plus fort d'une fantasia. Il brosse à cent percussions minute en poussant des clameurs sauvages.
Il crie : « Vrrrraou ! Arrrrzamm ! You ou ou ! » en démenant du cul de plus en plus vite. Puis son bras se lève comme s'il brandissait un fusil. Il pète à grands coups sonores.
C'est impressionnant, presque féerique. La pauvre Miss Gladys s'arc-boute contre la tête du lit pour subir la furia de son cavalier déchaîné. Il la remonte au point de l'incruster dans le capiton, kif-kif les dessins animés. Il recule d'un mouvement bref, dégaine sa rapière longue et fine et procède à un lancer franc entre les omoplates de Miss Gladys. Jet d'une incontestable beauté qui mériterait le concours de plusieurs projecteurs et aussi d'être filmé au ralenti pour qu'on ne perde rien de cette superbe trajectoire en vol de cygnes ; vraiment, tu jurerais que ce sont des oiseaux blancs qui lui partent du Pollux (ce fils jumeau de Zeus et de Leda).
Le gros con barbichu laisse retomber son bras, puis sa queue. II dit des choses en arabe littéraire pendant que Miss Gladys fonce sous la douche.
Le cheikh va à son tour se rutiler le panais. Il se refringue posément, reprend une tablette d'Hollywood chouing-gomme, tire son portefeuille en or à coins de cuir, en sort une liasse de billets jaune diarrhée qu'il jette sur la couche meurtrie, et gagne la porte.
— Il faut que j'aille le raccompagner, fait vivement Martine en s'éclipsant.
Jérémie, qu'elle paraît fasciner de plus en plus, la suit d'un regard de vache charolaise regardant déferler le T.G.V. à travers ses herbages.
— Cette petite est délicieuse, soupire-t-il. Quel dommage qu'elle fasse ce métier !
— Tu aimerais mieux qu'elle réserve ses merveilles à quelque jeune cadre à la con qui lui préférerait très vite sa secrétaire et ses copains ? Il ne faut pas mépriser les putes, Jérémie, mais les révérer. Tu crois qu'elles négocient leurs charmes, mais en réalité, elles distribuent du bonheur et de l'oubli. Les femmes qui se vendent, les sportifs qui se dopent font à leurs contemporains d'inestimables présents ! Il est monstrueux de les traiter en parias.
Et Miss Gladys se pointe, fraîche et neuve dans une espèce de tunique grecque blanche gansée d'or, qui la majestise. Elle nous congratule en fille qui n'est pas prête à oublier le signalé service que nous lui avons rendu.
— Les gentils archers de la République ! gazouille-t-elle en nous bécotant les lèvres. Vous avez vu les dimensions qu'a prises l'affaire Bonblanc ? C'est quoi, ces assassinats de groupe ? Une vengeance, un drame de la folie ?