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Bon, alors puisqu'il a pris rencart chez « Miss Gladys », à Courcelles, il va d'abord aller se faire destructurer l'intime. Après quoi, il aura les idées plus nettes et avisera.

Il monte dans sa Renault 21 noire sur le tableau de bord de laquelle trône continuellement sa cocarde tricolore de maire (depuis une quinzaine d'années, il préside aux destinées de la commune de Glanrose, Yvelines).

Il roule avec application dans les encombrements de la capitale. Jamais de pépin, Bonblanc. Il pulvérise les records de « bonus » chez son assureur.

Parvenu aux abords du parc Monceau, il trouve une place de rêve pour sa tire. Avant de quitter son véhicule, il relit le message époustouflant : Je suis représentant en meurtres et je me permets de vous adresser mes offres de services…

Impensable ! Une blague ? Mais va-t-on, pour en faire une, déposer des messages dans les coffres-forts des banques ?

Étreint d'une mortelle angoisse, il remet la babille dans sa vague et gagne l'immeuble des voluptés.

« Miss Gladys, soins esthétiques. »

Le panneau de cuivre s'étale sur la lourde, sûr de soi et dominateur. Chose marrante, au-dessus de la porte, une loupiote reste éclairée toute la journée (rappel des bordels d'autrefois ?).

Il sonne. Jean Bonblanc perçoit le très léger cliquetis (ou cliquètement, ou cliquettement) du judas actionné. Un œil de velours l'identifie et la porte s'ouvre sur un grand sourire.

— Bonjour, monsieur Jean !

On est heureux de le recevoir car il est généreux. C'est Martine qui vient de délourder. Très jeune fille b.c.b.g. : un tailleur léger, un chemisier de soie, des bijoux pas du tout bidon. Elle lui fait « la bise ». S'il rendait visite à sa nièce avocate, ce serait à peu près le même cérémonial.

— Vous allez bien, monsieur Jean ?

Il répond machinalement que « oui », mais sa frime infirme. La donzelle le guide au salon.

Dans une pièce voisine, un gonzier auquel on pratique le vibromasseur est en train de prendre son pied et en informe le voisinage à grands cris.

— Asseyez-vous, Mme Gladys vient tout de suite ; elle finit un ambassadeur du tiers monde.

Jean Bonblanc, homme au jugement sain, songe qu'à quoi bon rameuter les nations occidentales pour des secours d'urgence si les diplomates des pays assistés vont se faire découiller à des tarifs de luxe avec l'osier généreusement octroyé ? Quand son peuple crève la dalle, on ne dépense pas son blé dans un clandé de gala, alors que pour une poignée de fèves, n'importe quelle fille de ton patelin est prête à jouer « monte-là-dessus ».

Miss Gladys, c'est la femme de quarante balais au comble de la séduction. Une brune coiffée court, avec d'étranges yeux bleus agrandis aux fards Chanel. Robe noire stricte. Fourreau, si tu vois. Une interminable fermeture Éclair. Quand elle tire dessus, t'as l'impression qu'elle s'ôte la peau. Dessous, tu trouves quoi ? Un slip en dentelle noire, un porte-jarretelles, des vrais bas. La moitié du boulot est déjà faite !

Gladys est une telle déesse de l'amour qu'elle travaille avec très peu de personnel. Deux ou trois filles formées par elle, genre Martine. Elle leur transmet sa technique ; mais son charme, son must, pas moyen ; ils n'appartiennent qu'à elle, et tous ces messieurs en veulent. Les autres employées sont les toreros au service du matador. Des passes de cape, des poses de banderilles ; mais la mise à mort, c'est Gladys qui l'exécute. En voilà une, pour te faire gicler la cervelle par la bonde de vidange, elle est imbattable ! C'est la Greta Garbo de la jouissance !

Elle aussi fait la bibise à Jeannot.

— Vous boirez bien un doigt de porto, bon ami ? Elle prend son temps, la chérie. N'emballe le mouvement qu'en fin de parcours, quand mister client vadrouille dans la région des apothéoses. Il convient de jouer le jeu.

Jean Bonblanc accepte. Cinquante ans d'âge ! Du « Santos Junior » vieilli en fût. Un nectar ! On viendrait chez Miss Gladys juste pour son porto !

Gladys trinque mais trempe à peine ses lèvres dans son verre dont, ensuite, elle retransvase le contenu dans la boutanche.

— Vous ne paraissez pas très heureux, tantôt, ami Jean ?

La perspicacité des femelles, je vous jure ! La remarque trouble Gros Bêta. Alors, parce qu'il est désemparé et que, donc, il a besoin de se confier, voilà qu'il narre son problème à Gladys. Lui raconte qu'il a trouvé un message « de menace » dans son C.F. à la banque. Il ne montre pas le poulet, reste évasif quant au texte, mais il met l'accent sur cette étrange violation : quelqu'un a ouvert son coffiot pour y déposer une babille, sans toucher aux valeurs qu'il contient. Dans une chambre forte qui ferait chialer d'impuissance feu le gentil Spaggiari soi-même.

Elle méduse à son tour devant ce mystère de la chambre close, Gladys. Ne sait que recommander à M. Jean. La police ? Il se ramasserait ! Une précaution : changer de banque et de coffre, le plus rapidement possible.

Bon, mais on ne va pas tourner un documentaire sur le problème. Elle a une succession de rendez-vous avec lesquels il ne faut pas chahuter, Gladys. Kif un illustre spécialiste, elle découpe son temps, le répartit, prévoit large, certes, mais à condition de rester dans une certaine rigueur.

— Passons dans la chambre noire, vous allez y oublier les maléfices de la vie, ami Jeannot.

Il admet, la suit ; ému par la légère flatterie qu'elle lui accorde sur la braguette d'une main prometteuse. Elle connaît les petits gestes propitiatoires qui mettent en condition, mine de rien. C'est ça, une vraie technicienne.

Ils se rendent dans la chambre capitonnée de velours noir. Le plafond est en glaces fumées. L'immense couche comporte des draps violets. C'est funèbre et bandant, inexplicablement. Jean Bonblanc en raffole.

— J'appelle la petite Monica, où souhaitez-vous que nous restions seuls ? s'enquiert la belle hôtesse.

Il opte pour le tête-à-tête. Dans le fond, il a des goûts simples, M. le maire. Il faut convenir aussi que Miss Gladys abat un travail considérable. Une harpiste virtuose dont les doigts s'accrochent simultanément à toutes les cordes de l'instrument !

Une fois dessapé, bien allongé sur le lit de bataille, Bonblanc se détend enfin et ferme les yeux à cette félicité retrouvée. Une halte de bonheur vrai dans la vie maléfique.

— Oui, laissez-vous bien aller, Gros Minet. Je vais vous entreprendre comme jamais, vous allez voir.

Elle se dépouille du fourreau noir. Jean Bonblanc rouvre un lampion pour ne pas rater la surgissance du porte-jarretelles. Dans sa jeunesse, toutes les femmes se fringuaient ainsi et c'était bougrement féerique. Ça valait le coup de s'asseoir en face d'elles dans l'autobus, ou d'aller s'acheter des chaussures.

— Vous aimeriez m'ôter ma petite culotte vous-même, Gros Minou ?

Gros Minou dit que volontiers.

Elle s'agenouille sur le plumard, dos au client, et les doigts malencontreux de Jean Bonblanc s'affolent sur ces délicateries. Il abaisse le mignon sous-vêtement et implore, comme un gosse qui réclame une tartine, que Miss rapproche son joufflu du visage de M. le maire pour une minouchette préalable. Elle y consent volontiers et attaque parallèlement le chipolata de ce vaillant sexagénaire. Donc, il y a harmonisation des rapports. Le bidule de Gros Minou entreprend laborieusement sa dilatation ; opération toujours hasardeuse, avec des amorces triomphales qu'une pensée à la con réfrène, des stagnations incertaines, des chutes récupérées in extremis d'un coup de langue habile sur le filet.

Et puis, soudain, alors qu'on semblait parti pour la gloire, descente en vrille. Le zobinet part à dame. C'est la vraie loque et pendeloque. D'entrée de jeu, Gladys, en femme experte, juge le désastre irréversible. Elle turlute encore, par probité et conscience professionnelle, mais elle sait déjà qu'une chique pareille ne se récupère pas. Même avec de la vaseline et un chausse-pied, tu peux faire pénétrer ce triste machin nulle part. En plus, il a cessé de tutoyer le dito de Madame, M. le maire. C'est la désaffection totale, la renonciation définitive.