Gladys laisse quimper le mollusque du vioque.
— J'ai dans l'idée que votre histoire de coffre vous mobilise trop, monsieur Jean !
Il ne répond pas. Elle se remet dans le bon sens pour que ce fesses à bite devienne un face-à-face. Alors, le lumineux sourire de Miss Gladys s'évapore. Elle considère la face soudain blafarde du client, son regard fixe, sa bouche encore béante de gourmandise, et réalise que Jean Bonblanc vient de décéder, le visage enfoui dans son exquise toison.
Son oraison funèbre est brève.
— Le con ! murmure-t-elle avec dévotion.
Elle dit à Martine :
— Ne nous affolons pas, surtout. C'est mon deuxième décès en dix-huit ans de carrière. Pour le premier, je travaillais seule dans un studio meublé, près de l'Opéra. Le client était un marchand d'engrais azotés de l'Yonne. Un peu péquenot. Il m'a fait une hémorragie cérébrale en finissant de se rhabiller. J'ai agi avec beaucoup de sang-froid. Surtout, ne pas prévenir la police, sinon ces messieurs de la Tour Pointue prennent un malin plaisir à vous chercher les pires noises. Pour le marchand d'engrais, j'ai téléphoné à sa société où, par chance, je suis tombée sur son gendre, un garçon sympathique qui est accouru. Il avait un copain ambulancier et l'a fait venir avec l'un de ses véhicules. Ils m'ont dégagé le « malade » en douceur et j'ai lu dans les journaux du lendemain que ce brave bonhomme avait été retrouvé sur la voie publique. Par la suite, le gendre est venu me voir et j'ai eu le privilège de sa pratique pendant plusieurs années. Loïc, il se prénommait. Un sodomite. Il faut dire qu'il avait servi dans la Marine nationale.
« Je bavarde pour me donner le temps de la réflexion, mais, cette fois, je suis un peu prise au dépourvu, ma chérie. Je sais que ce gros benêt est un notable dans son bled ; m'aura-t-il assez rebattu les oreilles avec ses manigances politiques, ses relations « haut placées », ses réalisations locales… Les hommes de cet âge sont plus stupides encore que leurs cadets. Il possède une usine, un appartement boulevard Richard-Wallace, une chasse en Sologne. Ça ruisselle de fric, ces gros connards. Qui prévenir ?
La chose va s'ébruiter et je risque les pires ennuis. Nous sommes vraiment mal barrées, ma pauvre Martine. »
Martine réfléchit intensément. C'est une fille de bonne éducation : bac de philo, deux années à la fac de droit avant d'opter pour le pain de fesses. Elle lit tous les prix littéraires et saurait te réciter toutes les capitales du monde, à une ou deux erreurs près.
— Il me vient une idée, Miss Gladys.
— Qu'elle soit la bienvenue !
— Je connais un policier pas tout à fait comme les autres : un garçon des services spéciaux très spécial ! Il m'a draguée, l'an dernier, dans le T.G.V. en rentrant de Lyon. Une séduction folle. A l'arrivée, nous avons laissé nos bagages à la consigne et nous nous sommes précipités dans un hôtel, près de la gare de Lyon. Une séance mémorable. Deux heures d'amour frénétique. Je ne pouvais plus marcher. On s'est revus à plusieurs reprises et c'était chaque fois meilleur. Je suis certaine qu'il nous donnerait un coup de main.
Miss Gladys semble sceptique.
— Vous savez, ma chérie, je ne voudrais pas vous ôter vos illusions, mais un flic reste toujours un flic, et on ne peut guère compter sur sa complaisance ; sauf s'il est un ripou, auquel cas il vous présente la note et c'est chérot.
Mais Martine est têtue, confiante, amoureuse aussi, peut-être ?
— Pas lui ! Je vous jure, Miss Gladys. Pas lui !
Miss Gladys sourit, de son sourire mystérieux qui donne aux hommes l'irrésistible envie de savoir de quelle couleur sont les poils de sa chatte.
CHAPITRE II
DANS LES CAS DIFFICILES
ON FAIT APPEL A MOI
Jérémie murmure :
— Tu as des nouvelles de Bérurier ?
— Aucune.
— Le bruit court qu'il a pris un congé illimité et qu'il vit dans la ferme de ses parents, à Saint-Locdu-le-Vieux, avec Louisiana, la petite Canadienne que nous avons ramenée du Québec.
— Le cœur a ses raisons, déclamé-je.
A cet instant, le biniou de ma tire grelotte dans la boîte à gants où il se repose. Je m'en saisis, branche le contact. Le standardiste de la Grande Taule déclare de sa voix impersonnelle qui fait tant pour le prestige de la police :
— Commissaire San-Antonio ?
— De fond en comble.
— Une petite dame prénommée Martine vous réclame d'extrême, extrême, extrême urgence. C'est elle qui l'a déclaré trois fois. Voici son numéro.
Je fais signe à M. Blanc d'inscrire sur le bloc adhésif fixé au tableau de bord de ma Maserati.
— Martine comment ? insisté-je.
— Martine rien. Elle m'a seulement dit de vous préciser qu'elle était la Martine du T.G.V.
— Je vois !
Il ricane :
— Bon souvenir, commissaire ?
— Et ta sœur ?
Je raccroche et recompose le numéro que vient de noter le Noirpiot.
On dégoupille illico dès la première sonnerie, preuve qu'on devait guetter mon appel. Et je reconnais sa voix caressante. Un velours ! Chaleureuse, joyeuse, bien qu'on y sente percer une grosse préoccupation.
— Tu es un amour de m'appeler, Antoine. J'ai besoin de ton aide. Tu peux venir tout de suite me rejoindre ? C'est très grave.
— J'arrive.
Bayard ! Tu me connais ? Défenseur de l'opprimé et de la femme quand elle est bien roulée et qu'elle nique comme une déesse lubrique.
— Qu'arrive-t-il ? questionne Jérémie.
— Je l'ignore encore. Une merveilleuse poulette m'a butiné le sensoriel voici tantôt une année, et voilà qu'elle a besoin de moi.
Lorsque, par pure politesse, je lui ai demandé ce qu'elle faisait dans la vie, Martine, elle m'a répondu : « Mon droit. » Je l'ai crue. Il y avait en elle quelque chose de studieux, d'intello. Seulement quand je me pointe devant une lourde marquée « Miss Gladys, soins esthétiques », je commence à sentir des ratés dans mon estime. Ce genre de plaques, je les connais dans Pantruche. Son droit ! C'est en tout cas pas le droit chemin !
Elle vient déponner, me sourit, sourcille en avisant le grand primate des savanes.
— L'inspecteur Blanc, mon adjoint, présenté-je. On entre dans un salon où flottent de capiteuses senteurs. Je vois une boutanche de porto avec deux verres qui viennent de servir et qu'on n'a pas encore évacués.
— Je peux te parler seul à seul ? me chuchote-t-elle.
— Penses-tu. Pour quoi faire ? Jérémie Blanc, c'est moi, en négatif. Que se passe-t-il, ma puce ?
— Tu sais où tu te trouves ? murmure-t-elle.
— Une maison de délicatesses, je suppose ?
— Tu supposes bien.
Je soupire.
— Avec les dons que tu possèdes, il eût été dommage que tu travaillasses dans un magasin d'alimentation. C'est récent, cet engagement dans la galanterie ?
— Quelques mois. L'occasion, l'herbe tendre, une certaine philosophie…
— Ne t'excuse pas, chacun attrape l'existence par le bout qu'il peut. Qu'est-ce qui ne va pas ?
— Un de nos vieux clients vient de décéder ici d'un infarctus ; un notable fortuné, très gentil.
— Mort sur le coup, dis-je, comme l'exquis président Félix Faure ?
— Tu juges de notre désarroi ! Si la chose se sait, elle risque de nous valoir la fermeture de l'institut.