Elle fait :
— Non, Tonio. Pas « en » Italie ; « avenue » d'Italie.
— Je t'aime ! fais-je avec une totale sincérité. Cléopâtre, ça te dit aussi quelque chose ?
— Bien sûr : tour « Antoine et Cléopâtre », avenue d'Italie, Paris. Par contre, pour ce qui est du numéro, tu peux te l'arrondir.
— Je l'ai et quand bien même je ne l'aurais pas, je pourrais m'en passer. C'est Dieu qui t'a placée sur ma route sinueuse !
— Je suis vraiment heureuse de t'être utile, chibre de rêve ! J'espère que tu vas l'alpaguer, ce tueur de vieillards, et que tu lui fileras le potage en pleine poire au lieu de le faire traduire en justice.
Je lui souris.
— Je suis policier, pas équarrisseur, môme.
M. Blanc montre le bout sombre de son large pif par l'encadrement.
— Je dérange ? s'informe-t-il civilement.
— Du tout, nous en avons terminé, rassuré-je. Alors il s'avance et, s'adressant à Mandoline :
— Madame Hulette, dit-il avec quelque embarras, je viens de parler longuement de vous avec votre client grainetier qui m'a mis l'eau à la bouche. Je suis présentement dans une période d'accablement au plan sentimental, accablement contre lequel je voudrais réagir. Combien me prendriez-vous pour me pratiquer la pipe à la gelée royale que prône si vigoureusement M. Edmond ?
— Tu le crois, toi, qu'il est plus facile de mourir que de vivre ? me demande Jérémie, comme nous pénétrons dans la tour.
Il est toujours préoccupé de philosophie, le Négus.
— Naturellement, dis-je, on meurt pour soi tout seul alors qu'on vit pour les autres.
II murmure :
— Tout à l'heure, chez ta copine Mandoline, j'ai cru mourir. Sa pipe à la gelée royale est divine. Quelle technique !
— Donc, te voilà guéri de Martine ?
Instantanément, son visage s'éclaircit (c'est chez les Blanchâtres qu'il s'assombrit sous l'effet d'une contrariété).
— Ce serait trop simple. Ta recette était fallacieuse, mec. La bite et le cœur font chambre à part. Tirer un coup sublime n'a rien de commun avec aimer d'amour, mais cela dit, oui, ça va mieux.
Nous cherchons sur la liste interminable des occupants de la tour « Antoine et Cléopâtre » et y découvrons sans mal le blaze d'Edmée Lowitz ; dix-huitième étage.
Dans le hall, t'as une chiée d'ascenseurs en ligne dont certains sont directs jusqu'au quinzième. On s'en biche un en compagnie d'une énorme botte de poireaux derrière laquelle est embusquée une naine bossue et, vlan ! L'as-tu vue, la fusée volante ? Nous v'là parvenus à destinance. Moi, personnellement, pour ma part, comme dirait Bérurier, plutôt que d'habiter un machin pareil, j'aimerais mieux crécher dans une roulotte, voire dans une cabine téléphonique (que je poserais à plat pour la nuit), me faire sodomiser par Canuet, utiliser du verre pilé au lieu de gros sel avec mon pot-au-feu, marcher avec les deux cannes dans la même jambe de pantalon, faire l'amour à la reine Fabiola, visionner tous les films de Robbe-Grillet à la suite, habiter l'Albanie, vidanger des chiottes publiques en Guinée-Bissau, bouffer le cul d'une Chinoise avec des baguettes, habiter dans le même immeuble qu'un pianiste, me faire faire l'ablation de la rate, régler le carburateur de ma Maserati en smoking blanc ou me laisser tailler une pipe par un alligator (mâle). La vie clapière, je pourrais jamais. Y me faut un arbre, ne serait-ce qu'un tout gringale. Venir m'encastrer dans l'une de ces alvéoles, le soir tombé, pour y délacer mes pompes et brancher la téloche relèverait de l'exploit impossible ; le moment viendrait où je me balancerais par la fenêtre.
On arpente des couloirs en étoile. On musardine, le nez dressé. Et puis voilà enfin une lourde toute pareille aux autres, mais sur laquelle figurent les deux blazes « Edmée Lowitz » découpés dans une carte de visite non gravée.
M. Blanc soupire à t'en faire dresser les poils du cul sur la tête :
— Et, naturellement, on remet la gomme avec ton passe ! Je sens venir une cata de première ! Un de ces jours, le locataire se pointera au mauvais moment et ameutera la garde. Je lis déjà les commentaires des médias sur nos méthodes policières !
Il se tait à la dérobée car, déjouant ses pronostics, la porte qu'il met en cause s'ouvre pour livrer sortie à une hôtesse de l'air.
Ça, c'est de la chute de chapitre, non ? Franchement, on ne peut pas faire mieux !
CHAPITRE IX
LA VALSE DES POUFFIASSES
La fille en question est grande, jeune, mince, d'un gabarit impressionnant. Près d'un mètre quatre-vingts ce qui, converti en mesure helvétique, représente un mètre huitante ; te dire ! Uniforme d'Air France, souliers plats, lunettes à verres teintés. On la contemple avec quatre z'yeux incrédules, Jérémie et moi. On a des pensées primesautières plein la rotonde. On cherche à piger. On pige. On se dit (moi du moins, mais côté Blanc c'est probablement pareil), que le gusman qui est allé zinguer Torcheton à Beauvais s'est travesti en uniforme d'hôtesse pour faire porter les soupçons sur cette femme-là. On avance en bonne terre, l'aminche ! C'est plus du marécage, de l'hypothétique, du scabreux, de la tâtonnerie, mais un boulevard qui conduit aussi sûrement à la vérité que les Champs-Elysées à l'Etoile.
— Mademoiselle Lowitz ? m'enquis-je avec un sourire démesuré qui doit humecter sa culotte pour peu que ses mœurs fussent orthodoxes.
Elle se cabre.
— Pourquoi ?
— Je suppose que c'est « oui », enchaîné-je, autrement vous auriez répondu par « non » ?
— Que me voulez-vous ?
Le coup routinier de la carte de police rapidement exhibée, suivi de cette phrase fatidique :
— Nous aimerions vous parler, mademoiselle Lowitz.
— Je regrette, j'embarque dans cinquante minutes et j'ai juste le temps d'aller à Charles-de-Gaulle.
— Vous prenez votre service sur quel vol ?
— Bangkok.
— Vous ne l'assurez pas entièrement ?
— Je descends à l'escale de Bombay.
— Retour ?
— Dans quarante-huit heures.
Mon sourire se fait éperdu.
— Comment vous rendez-vous à l'aéroport ?
— Le chef steward m'attend en bas avec sa voiture.
J'opine, l'air entendu.
— Voilà comment nous allons procéder, mademoiselle Lowitz : on va dire à votre collègue de filer tout seul et nous vous conduirons à Charles-de-Gaulle avec notre propre véhicule, ce qui nous permettra d'avoir, chemin faisant, la conversation que nous souhaitons ; ainsi tout le monde y trouvera son compte. O.K. ?
Elle n'est pas joyce, la fille. Rouquine, j'omettais. Et vraiment ! D'ailleurs elle renifle doucement la rouquemouterie. Ses mâchoires sont crochetées par la contrariété. Elle donnerait n'importe quoi, avec autre chose en prime, pour nous envoyer aux bains turcs, mais n'ose.
— Comme vous voudrez, finit-elle par rengracier. Elle se baisse pour emparer sa petite valdingue en pur porc qui attendait dans son entrée, sort, bouclarde sa porte et nous suit.
— C'est à quel sujet ? demande-t-elle, une fois dans le véloce ascenseur (qui, en l'occurrence entreprend de descendere, dirait Ovide).
Je produis à nouveau mon radieux sourire, si prometteur, si sensuel.
— Attendons d'être installés pour aborder le sujet, réponds-je en désignant du nez (c'est un entraînement comme un autre) Le Parisien Libéré derrière lequel se trouve M. Joseph Hermanet, le propriétaire des Caves du Roussillon dont c'est le jour de fermeture, et qui en profite pour aller se faire extrapoler le Nestor chez Ernestine Lartiche, une dame qui travaille à la Sécu et qui va rentrer du boulot incessamment se briquer la moulasse avant de copuler.