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La longue hôtesse n'insiste pas. Je sens se développer son angoisse. Et moi, ça me fout de belle humeur. Ce genre d'attente amollit le client. C'est kif les fruits avocats que t'enveloppes dans du papier journal pour hâter leur mûrissement.

J'essaie d'imaginer où en sont mes confrères de l'enquête officielle. Je connais le dispositif habituel. La mise en place de ce que les journalistes appellent « la machine policière ». Les visites aux domiciles des quatre victimes, l'interrogatoire de leurs proches. Tout cela est lent, fait l'objet de rapports rédigés dans ce style administratif inimitable qui se transmet par voie orale, buccale et anale. L'ex-épouse, la sister, l'associé, la secrétaire ! Butés ensemble ! Et puis Torcheton dont l'assassinat a été commandé depuis l'Afrique du Nord…

La miss hôtesse se parfume trop. Les passagers risquent de s'en plaindre : ceux qui développent des allergies aux odeurs…

Avenue d'Italie, y a effectivement une petite Renault 5 un peu délabrée, avec un gus en tenue de steward, vachement galonné, au volant, qui se détronche sur la tour.

— C'est lui ? demandé-je à la fille.

— Oui.

— Prenez place dans ma voiture en compagnie de l'inspecteur Blanc, je vais le prévenir.

Et je toque à la vitre du tacot. Comme elle est baissée, ça ne fait pas de bruit, mais mon avant-bras pénètre dans l'habitacle.

— Qu'est-ce que c'est ? demande le steward doré.

— Commissaire San-Antonio ! annoncé-je et prouvé-je. Il y a un os à propos de votre vol, chef. La petite Lowitz ne va pas pouvoir embarquer. Je suppose que vous avez des solutions de remplacement dans ces cas-là ?

— Que lui arrive-t-il ?

— A elle, rien, mais l'un de ses proches a trouvé la mort dans des circonstances dramatiques et elle ne sera sûrement pas apte à prendre son travail lorsque nous lui aurons appris la nouvelle.

— Fâcheux ! fait le galonné en matant sa montre qui, précisément, se trouve sous ses ficelles. Bon, ben, je vais me remuer !

Il embraye sec et décolle comme un 747, au risque de m'emporter le bras en voyage.

Avant de regagner ma Maserati, je sors mon porte-cartes. A l'endroit de la pliure, ça forme comme un minuscule étui pour loger un brimborion de stylomine. Je me saisis d'icelui, le décapuchonne et tourne un pas de vis secret qui amène hors de l'engin une microscopique aiguille pas plus grosse qu'un cil de souris. J'assure le faux stylomine dans le creux de ma pogne et vais à ma voiture.

— Jérémie, dis-je, prenez le volant, mon vieux, je me mettrai à l'arrière avec mademoiselle, nous serons mieux pour bavarder.

On agit comme une Maserati !

— Vous êtes rupins dans la police, note l'hôtesse.

— J'ai un peu de fortune personnelle, rassuré-je. Mes collègues se contentent des marques usuelles françaises.

Elle a une main posée sur un genou, l'autre qui se cramponne à la sangle de son sac-giberne. D'un geste lent, imprévisible, je plante le soupçon d'aiguille dans cette seconde paluche.

— Aïe ! fait-elle en retirant sa dextre. Mais qu'est-ce…

Et puis elle devient toute chose, mollassonne, si tu vois ce que je veux dire ; dodelineuse, flottante. Elle se tasse sur elle-même et sa tête glisse jusqu'à mon épaule.

Jérémie qui l'aperçoit dans son retro satanas interrompt son amorce de déboîtage.

— Elle a des vapeurs ? demande-t-il.

— Provoquées par l'élixir du bon docteur Mathias, fais-je. Deux heures de sommeil garanti.

Il en frémit jusqu'au fondement.

— Toi alors, t'es chié !

— Je sais.

— Qu'est-ce qui te prend de pratiquer des voies de fait sur des témoins ? Tu sais que ça dégénère, tes méthodes, mec ! Si cette pouffiasse grimpe au suif, on va passer au tourniquet !

— Reprends ta place et attends-moi, je remonte jeter un coup d'œil dans son logis douillet ; mais rassure-toi, je ne me servirai pas de mon sésame puisqu'elle a ses clés dans son sac !

Un quidam qui se réjouissait déjà de la place rendue vacante par notre projet de départ se met à invectiver Jérémie de s'être ravisé. Il lui explique, comme ça, qu'il est un enfoiré au cul plein de bites et au crâne vide. Et qu'il attende un peu que Le Pen soye au pouvoir, ce grand nœud, là il sera sûr de la revoir sa Normandie tropicale !

Je quitte mon noble char pour m'approcher de sa Volkswagen imprudemment décapotée. Lui colle ma carte sous le nez.

— Tu te tailles, sinon je te fais bouffer tes dents avant de t'embastiller pour provocation raciale, hé, lavement !

Calmé, il va chercher à remiser sa ferraille plus loin. Et moi je remonte au dix-huitième étage de la tour prends garde pendant que la fille Lowitz poursuit son gros dodo dans le brouhaha de l'avenue d'Italie.

Y a un camion de livraison dans la vaste cour. Il appartient à un grand magasin de Lisieux. Deux gonzoches en blouse bleue déchargent des sommiers et des matelas qu'ils coltinent ensuite dans la grange, aidés d'Alexandre-Benoît. Because notre passagère endormie, nous placardons ma tire sous une vétuste remise vermoulue où festonnent les plus vastes toiles d'araignée jamais homologuées, puis nous nous approchons du groupe.

— Tiens ! Les comiques troupiers de la République, s'écrie joyeusement le Mastar en nous apercevant. Vous pouvez pas vous passer d'ma pomme, décidément. Saint-Locdu, ça d'vient la sucre-sale du Quai des Orfèv' !

Il est ravi.

— Tu montes un pensionnat ? demandé-je, en désignant les éléments de literie, vachement surréalistes sur cette esplanade rurale.

— Tu brûles, mec. V'nez voir un peu l'à quel point mon institu s'organiste.

Nous pénétrons dans la grange immense, et là, franchement, ça valait le voyage. Cela tient un peu de l'hôpital de guerre et d'un rêve de Salvador Dali. Louisiana, la concubine du Gros, achève de décorer le local qu'il me faut bien, bon gré mal gré, te décrire, sinon je manquerais à ma noble profession, ce qui n'est pas envisageable de la part d'un littérateur que l'on presse de toutes parts de se présenter à la Cadémie française.

L'on a tendu une toile de tente au mitan de ce rude espace afin d'en faire oublier la charpente branlue, les planches disjointes, les reliquats de paille et de foin arachides séchés, les chauves-souris en grappes, les araignées suractivées et les mille autres insectes bizarres rampants ou volants, en train de constituer l'espèce régnante de demain.

Sous ce chapiteau, deux douzaines de sommiers munis de leur matelas, sont disposés en arc de cercle. Au centre de cet amphithéâtre est plantée une estrade d'environ vingt mètres carrés, surélevée de trois marches. Un lit sans montants trône sur le praticable. Trois projecteurs sur pied donnent à la chose une connotation cinématographique et font songer à un studio de cinéma, voire de téloche.

Au moment de notre arrivée, Louisiana, la belle et ardente, est occupée à scotcher des posters gigantesques sur les parois de toile. Tous sont consacrés au même sujet, à savoir le sexe d'Alexandre-Benoît Bérurier. L'engin est pris dans sa gloire, c'est-à-dire dans sa turgescence la plus aboutie. Étant énorme et cylindrique, il ne propose pas de profil. Nonobstant, les multiples angles de prise de vue sont parvenus à lui en délimiter un, grâce au repaire que constituent les testicules. Ainsi a-t-on ce chef-d'œuvre de la nature sur toutes ses coutures et en couleurs naturelles, avec ses plis, ses veines, ses ourlets, ses épanouissements lisses, ses poils touffus ou folâtres selon leur point d'ancrage, ses rudes comédons, cyclopes au regard singulier (évidemment), son oblique cratère sournois mais redoutable et, quand il est pris par-dessous, son armature annelée qui saurait, le cas échéant, le transformer en gourdin.