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— Sache qu'elle est sans fond, Aigle Noir !

— Alors offre-moi l'écume qui stagne à la surface !

— A quoi bon, puisque tu as déjà tout deviné.

— C'est Bonblanc qui a programmé l'assassinat de ces gens ?

— J'en suis convaincu.

— Moi aussi. Il est décédé avant le guet-apens, mais sa mort n'a pas été connue assez tôt pour que celui-ci soit annulé.

Le silence est musical, plein, entier, superbe. Du Schubert qui te vaseline l'âme !

— C'était vraiment la grande lessive, dit-il.

— J'ai l'impression que la vie arnaqueuse du bonhomme devait prendre l'eau de plus en plus. Il était menacé de toutes parts et beaucoup trop de gens le faisaient chanter, alors il a décidé qu'il était trop vieux pour subir ce genre d'existence et a voulu liquider en grand.

— Il devait avoir trouvé un tueur hautement performant !

— Je me demande s'il a eu affaire à un tueur.

— Tu penses à une organisation ?

— Encore mieux que ça, Jéjé !

— A un service secret ?

— T'as gagné une limonade-citron au bistrot de la place Dauphine !

— Les Japs ?

— Je le sens. Il « travaillait » pour eux, les approvisionnant en microprocesseurs secrets.

— Mais la source s'est tarie ?

— Suppose que ce soit lui qui ait fait croire la chose à ses partenaires. En réalité, il s'est mis à faire « bande à part » (et c'est pour cela qu'il a voulu lessiver ceux qui avaient barre sur lui). Suppose toujours qu'au lieu de fric, il se soit mis à réclamer en paiement l'équarrissage de tous ceux qui lui pompaient l'air. Il a fait un blaud ! La mort de ces quatre personnes en échange du rarissime matériel sophistiqué. Les Japs acceptent le marché. L'opération est fomentée, puis a lieu. Manque de bol, terrifié par la lettre trouvée dans son coffre, Bonblanc subit un tel traumatisme qu'il nous fait un superbe infarctus.

« Les Japs apprennent la chose trop tard : quatre personnes ont été nettoyées du bal ! Il leur reste à obtenir le paiement, le prix du sang, dira la presse. Suppose encore que, dans les conventions passées, il ait été convenu que la livraison des microprocesseurs s'opérerait au domicile de Bonblanc, en même temps que les meurtres, ou tout de suite après. Par exemple, Jeannot téléphonerait à une heure précise, depuis la Suisse, pour indiquer la planque. Et puis il n'appelle pas. Le tueur s'en va. Découverte des crimes. Enquête. Scellés ! L'équipe des Japs envoie de nuit un commando spécialisé ayant pour mission de dénicher ce qui leur est « dû » !

— Et il trouve, ton commando ?

— Probablement pas.

— Le vieux projetait de les repasser ?

— Sûrement pas, mais il a placardé les petits bidules ailleurs que dans l'apparte.

— Où ?

— Je l'ignore encore, mais nous trouverons.

— Tu as la foi !

— Toujours.

— Bon, voilà l'explication des quatre meurtres sur lesquels nos potes de la Grande Taule se cassent les ratiches, mais il reste… le reste !

— C'est-à-dire ?

— L'assassinat de Torcheton et l'intervention du mystérieux D.C.D.

— C'est la frangine perverse qui a écrit et placé la bafouille déclencheuse dans le coffiot de son frelot, cela, nous en sommes certains.

— C'était elle, D.C.D. ?

— C'était une partie seulement de l'impalpable personnage. Je crois qu'elle avait partie liée avec lui. Il s'est constitué là une espèce d'association qui visait à retrousser l'auber du vieux bandit.

— Charmante famille.

— Nous avons résolu l'énigme du « quadruple assassinat », pour adopter les formules journaleuses, à présent, vieux frère, nous allons élucider les autres.

Il hoche sa belle tête de statue d'ébène, comme on dit depuis toujours en causant gentiment d'un black mati.

— Tes chié ! me complimente-t-il. Vraiment chié !

C'est peut-être vrai que je suis chié, après tout !

Le père Aubier, j'ai obtenu son adresse par l'atelier d'emboutissage, crèche dans le dix-huitième, au milieu d'une rue qui aurait fait jouir Utrillo dans son froc. Il habite un immeuble en pleine agonie que l'on a étampé avec de gros madriers ressemblant à des 4 d'imprimerie. Deux étages. Mais le rez-de-chaussée est nazé complet et faut pas craindre le vertigo pour s'engager dans l'escalier sans rampe.

Rheusement, il habite au premier seulement car la suite des marches paraît de plus en plus aléatoire.

Ce qui est touchant, c'est que sur la vieille porte crevassée et dépeinte, s'étale une somptueuse plaque de cuivre, fignolée par le digne ouvrier, probable. Son nom est martelé et les lettres sont constituées avec des petits ronds enchevêtrés. Œuvre d'art, achtung !

Une sonnette à serpent (la chaîne est un reptile de fer) se proposant, je l'actionne avec calme et détermination. Mon geste déclenche un carillon formé de différentes clochettes dont l'agitation fait songer à la regrettée musique des tirailleurs marocains.

Une vieillarde cyphosée comme c'est plus permis depuis que l'on a inventé le tire-bouchon à air comprimé nous ouvre. En larmes ! De noir vêtue ! Toute sa vie, elle a dû rêver de mesurer un mètre cinquante, mais le Seigneur qui a ses tronches lui aura refusé cette faveur et elle doit se contenter du mètre trente-huit qui lui fut imparti (sans laisser d'adresse).

Etant grand clerc, je devine qu'elle est en train d'essorer un gros chagrin. Rien de plus déroutant qu'une vieille en pleurs. Tu te dis qu'avoir tant attendu pour chialer à cet âge, franchement, c'est pas de jeu, comme disent les mômes. Alors on reste sans voix et c'est elle qui finit par demander, tout chétivement :

— Oui ?

Question d'une somptueuse brièveté, je tiens à te le faire remarquer au cas où la chose t'aurait échappé.

— Pardonnez-nous, madame, nous sommes de la police.

Elle hoquette (sur gazon seulement) et s'écrie :

— Vous l'avez retrouvé ?

— Qui ça, madame ?

— Le sale chauffard qui a renversé mon pauvre garçon !

Et je réalise que je n'ai pas devant moi l'épouse du vieil Aubier, mais sa maman. Tu m'as lu ? Sa ma-man !

Elle chiale à outrance.

— Perdre un enfant à quatre-vingt-onze ans, c'est dur, vous savez !

« Perdre » ? Veut-elle dire qu'Aubier est mort ?

— Comment cela s'est-il passé ? demandé-je avec un maximum de tact.

Elle ouvre sa clape où il reste une dent témoin.

— Vous êtes des policiers et c'est vous qui me demandez comment ça s'est passé ? Mais pourquoi êtes-vous venus ?

— Pour élucider, je laisse tomber (que, si ça ne mène pas loin, ça ne mange pas de pain et ça peut rapporter gros).

— Ah ! bon.

— Où est M. Aubier ?

— A la morgue où Police-Secours l'a emmené avant même de me prévenir. C'est pas gentil, vous savez, messieurs. Je suis vieille : je n'y vois plus beaucoup de mes yeux, je n'entends presque plus de mes oreilles…

— Et vous ne mangez pratiquement plus de votre dent ? complété-je charitablement, car il faut toujours, et en toutes occasions, assister les personnes âgées en détresse.

— Eh non ! n'a-t-elle plus qu'à confirmer.

En termes passés à la moulinette (tant ils sont hachés), elle raconte que le « chef de fabrication » de l'usine d'emboutissage a été embouti à son tour, boulevard de Saint-Ouen, alors qu'il regagnait son home à bord de son Solex décapotable. Le choc a été d'une telle violence que le malheureux a exécuté un valdingue d'une dizaine de mètres avant de s'éclater le crâne contre une bordure de trottoir. La voiture qui l'a percuté ne s'est pas arrêtée et s'est perdue dans la circulation sans que les témoins aient pu relever son numéro.