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CHAPITRE XII

ET CÉLÉRAT ET CÈLERAT

Tout est bon dans le cochon : sa graisse adhérant à sa peau fournit le lard, ses poils (ou soie) permettent de fabriquer des pinceaux, ses pieds, son groin, ses oreilles sont comestibles, de ses boyaux on fait la gaine du saucisson ; nul autre animal n'est aussi totalement à la disposition de l'homme. Je suis vraiment navré pour mes amis musulmans qu'ils soient privés par leur religion de cette chair délectable, mais je conçois parfaitement qu'elle leur ait été interdite parce qu'elle se corrompait à la chaleur plus rapidement que celle du mouton.

Quitte à me faire zinguer par les extrémistes, je suggère qu'une remise en question s'opère là-bas, maintenant qu'on dispose de chambres froides et de réfrigérateurs. Les traditions les plus vénérables sont une simple question d'équipement.

Le porc de Bérurier pousse des cris presque humains au moment où je gare ma bagnole sous son hangar. Il faut dire que son cochon est une coche (Coche : synonyme de truie.) et que les dames sont davantage bruyantes que les messieurs dans la douleur, la frayeur et l'amour.

Alertés par les clameurs porcines, nous gagnons le lieu des supplices, à savoir la bauge de ce pauvre animal qui paie si durement le (très relatif) régime auquel sa nouvelle compagne astreint le Mastar.

Je conclus de ces cris suraigus que notre Alexandre-Benoît est en train de se tailler une gourmandise dans le corps de la bête. Eh bien, non ! Au contraire, dirais-je. Sa Majesté s'active pour ajuster une chose bizarroïde, faite de bois grossièrement sculpté et de sangles de cuir, à l'arrière de la coche.

— A quoi joues-tu ? lui lancé-je.

Notre nouvelle venance ne l'étonne pas. Il contracte rapidement des habitudes et se fait à la perspective de nous avoir à dîner tous les soirs.

Il s'explique, en termes hachés car il a grand mal à maintenir l'animal et à fixer l'objet mentionné juste quelques lignes au-dessus, regarde, tu ne peux pas te gourer.

— Au lieu d' chicaner c' goret à petit feu, j'y ai carrément prél'vé un jambon et j' l'ai confectionné une patte d' bois en remplac'ment. Négro, toi qu'as des musc' en béton, ça t'ennenuiererait de m' t'nir la bête ? A un tout seul c'est presqu' impossib' d' lui adapter sa guibolle bidon.

Belle âme, M. Blanc consent. J'assiste alors à une opération rarissime : la pose d'une prothèse postérieure à un goret. L'ingénieux professeur Bérurier, très doué pour la bricole, a réalisé un jambon de bois des plus convenables, bien que sans articulation. Il l'assure au moignon large et sanguignolent, léchant ses doigts ensanglantés de temps à autre, grognant en langage pur porc afin de calmer la gentille truie affolée qui lui pisse dessus en désespoir de cause pour marquer son impuissance.

Au bout de dix somptueuses minutes, que j'aurais voulu kinescoper pour l'édification des générations futures, la brave coche peut à nouveau se déplacer sur quatre pattes, en claudiquant bien sûr, mais l'essentiel est de se déplacer.

— Bouf ! C'turbin ! soupire le chirurgien en essuyant son front ruisselant. J'm' demande si c'pourceau saurait arquer av'c deux jambes de bois ?

— Sûrement pas, tranché-je vivement. Tu devrais faire quelque chose pour cette bête, Gros.

— Quoi-ce ?

— La tuer et la mettre au saloir, ainsi pourrais-tu la bouffer à tête reposée, sans la tourmenter à chaque instant.

II secoue la hure.

— Non, mec. T' vas croire qu' c'est de la sensiblererie, mais j'y sus trop t'attaché. A force d'êtr' en contac', on est d'venus copains, les deux. V'nez boire un coup d'pichtegorne. J'ai un' surprise qui t'attend, Sana.

La surprise est de taille puisqu'il s'agit de Berthe Bérurier accompagnée d'Alfred, le coiffeur. Nous la découvrons en train d'essayer des lingeries suggestives. II y en a tout un échantillonnage sur la table de la pièce commune (extrêmement commune !). Des culottes affriolantes, des soutiens-loloches demi-lune, des porte-jarretelles fuselés de dentelles. Des noirs, des blancs, des rouges, des couleur chair. Nous trouvons Berthaga en slip rouge bordé d'une fine dentelle noire, les seins en chute libre, avec leurs embouts gros comme des bouchons de champagne.

— Oh ! le beau commissaire, gazouille-t-elle en se jetant à mon cou.

J'essuie mes joues escarguées et regarde Béni d'un air interrogateur.

Il me virgule une mimique indulgente.

— Mouais, on a enterré l'hache de guerre, moi et Berthe ; qu'à quoi bon s' tirer la bourre ent' personnes intelligentes ? On va opérer un r'group'ment général à la ferme.

— Ménage à quatre ?

— Non, à cinq, t'oublilles la môme Edmée !

— Oh ! non, je ne l'oublie pas ; au fait, où est-elle ?

— T'as pas l'oreille fine, mon drôlet.

Il requiert en levant son index boudiné. On perçoit des cris, des plaintes, des râles èt des branches et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous !

— L'a pleuré grand-père tout' la sainte journée. J'ai cruve qu'elle allait me tomber malade. Louisiana l'a entreprise alors à la consolation. Edmée lu chialait cont' la poitrine. Doucet'ment, ma gonzesse l'a apprivevoisée. Des bisous dans les ch'veux, su' la nucle, ent' les roberts. En fin d' journée, ces petites follingues ont reprise leurs agaceries du matin et à présent, ça fait la brasse dans les délices. Tu peux mater, é n'entendent même plus quand on ouv' la lourde. Faut dire qu'en guise d' boules qui est-ce, elles ont chacun un' paire de cuisses contre les portugaises.

« Pour t'en r'venir à ma Berthy, elle va m' faire un p'tit stage d'enseigneuse à l'institu. J' les fait préparer un duo, avec Alfred : la levrette avec élan. C't' un exercice pas évident. Faut avoir, comme ma légitime, un cent' d'hébergeage large comme l'entrée d' l'Opéra pour l'oser. J'ai connu un légionnaire qui s'est cassé la bite en le tentant un soir d'beurranche. Après, son paf f'sait l'équerre, même quand y triquait. Y a fallu lu confectionner une attelle pour qu'y pusse bouillaver corréquement. Alfred, c'est pas une grosse queue ; j'espère qu'il va pas m'en veudre d' le dire ; mais y l'est capab' d' faire n'importe quoi av'c. Un artiss'. L'Italien tout craché, quoi. Faut pas qu' tu m'en voudres non plus d't' traiter d'italien, Alfred ; y a pas d' sot métier ! Moi, avec mon baobab géant, rien qu' d' penser à risquer la levrette av'c élan, j'en frissonne du trou d' balle ! Mais lui, y t'réussit l'esploit un' rose ent' les dents. Italoche, quoi, qu'est-ce tu veux dire d' plus ? Un numéro d'c' t'acabit, je garantis un malheur auprès d' ma clientèle plouque. Quand ça va s' savoir, faudra r'pousser les murs pour accueillir tout l' monde. »

— C'est bien, approuvé-je, tu es un grand bâtisseur, Alexandre-Benoît. De la race des castors ; la réussite est au bout de ta queue !

Il rengorge.

— Je le croive en effet.

— Dis-moi, au sujet d'Edmée, tu l'as questionnée comme tu m'avais promis de le faire ?

Il hausse les épaules.

— Dans la peine qu'elle s'trouvait ! Tu m'prends pour qui est-ce, Sana ? Un tortureur ? Barbie ? Tu veux lui d'mander quoi, une fille qui sanglote ?

— C'est vrai, admets-je en montrant la pièce voisine d'où partent des cris de louves en rut, un chagrin pareil te rend impuissant.

Et le fichtre me bichant (habituellement, je dis le foutre, mais la situation présente déformerait le sens de l'expression), je me rue dans la chambre.

Je commence par saisir Louisiana à bras le corps pour la déventouser d'Edmée. Elle en pleure de déconvenue insoutenable, la jolie Canadienne, mais je n'en ai cure, comme dit un bon chanoine à la retraite. A ce point de pagination, moi, je pose mon bombardier, sais-tu ? Et avec Sabena, j'y serais déjà !