Tiens, en passant et à propos de chatte, faut que je te dise quelque chose, lecteur chéri, lecteur mon cul : si j'exprime toujours si crûment, si je cause sans retenue des trucs du sexe, avec les vrais mots qui fument, c'est afin de désamorcer les tabous, comprends-tu ? On a trop dégénéré, le temps est venu de rétablir l'équilibre. A l'âge du feu, ou de la plume taillée, les gonziers de la planète forniquaient kif les animaux, je suppose. La gigue les prenait, vite ils s'escaladaient, se fourraient sans barguigner. Et s'ils trouvaient ça chouette, ils grognaient de bonheur.
N'ensuite, ils ont pris la honte du fignedé. Les religions qui les ont perturbés. Alors on s'est mis à cacher zizis, zézettes. C'est devenu peccato, le zob, le frifri, l'oigne. Interdit de séjour. Purulent, obscène. Pas touche ! Pas suce ! La brosse en catimini, vite fait sur le gaz. Dans la légalité. Chemise fendue, calbute long pour le moins de contacts dermiques possible. Juste dire de perpétuer l'espèce (de cons). On vit toujours dans cette hypocrisie. Ça durera encore des siècles, peut-être même des millénaires. Cachée, la bébête. On n'en cause pas. Ou bien juste avec un vocabulaire médical.
Alors tu penses, un Santantonio de ses deux se pointe, la bite enfarinée, le stylo dégoulinant de foutre, parlant du radada haut et fort, laissant traîner des pafs et des cramouilles au long de ses paragraphes impertinents, t'as illico la meute des amoindris qui se met à hurler à la lune. Le conspue ! Lui dénie tout ! Le sous-littéralise à vie !
Qu'heureusement, il s'en torchonne les orifices, Sana ! Sa félicité est ailleurs que chez les pisse-chagrin. Lui, les glorioles, les acquis matériels, il en a rien à cirer. Son rêve ce serait de crever dans une gare pour ne pas risquer de perdre son identité avec des maisons astreignantes. Mourir les poches vides. Tu te laisses aller ! Tu te laisses haler ! Tu te l'es salée ! L'homme place mais la femme déplace. Les seuls gus qui font de leur existence une œuvre, c'est les clodos. Et puis voilà, je dis, délire… Ça ne sert à rien, ni à Jérémie et moi. La tristesse aussi est un long fleuve tranquille.
— Je me sens un peu au-dessous de mon poids, cet après-midi, m'excusé-je.
— Ça va passer, assure M. Blanc.
— Pourquoi ?
— Parce que c'est anormal et que ce qui est anormal ne dure pas.
— Bien dit, l'abbé. On règle l'histoire du répondeur ?
Il l'avait oubliée, mais ça lui revient, alors il tire une chaise en face de moi et regarde le numéro écrit sur le morceau de frange blanche gommée.
— Il commence par un 3, fait-il, c'est la banlieue ouest, non ?
— Demande à nos services à quel abonné correspond ce numéro ; aux renseignements ils ne veulent pas le donner car il est sur la liste rouge.
Pendant qu'il se met en contact avec la section des bigophones, j'examine le petit interrogateur. Trois chiffres sont imprimés sur une autre bande de papier indiquant en anglais les différentes manœuvres qu'ils commandent. Ces trois chiffres permettent également de composer le numéro déclenchant le répondeur. Je lis « 7, 8, 0 ».
Combien de combinaisons différentes peut-on constituer avec ça ? Vouloir trouver la bonne par tâtonnement est impossible. Nous pourrions y passer plusieurs jours.
M.Blanc biche une pointe Bic et attire mon bloc-notes à lui.
Je le regarde griffonner, à l'envers. Il émet des grognements affirmatifs pour indiquer qu'il entend bien, suit et transcrit.
— Merci, conclut-il en raccrochant.
Il retourne le bloc face à ma pomme. Je lis :
— Jean-Baptiste La Goyet, Les Quéquettes-du-Roi, Yvelines.
J'opine et, comme mû par le coup de feu du starter, m'élance en plein dans l'enquête. A toute vibure, mon index polisson (moins que mon médius, mais il accompagne fréquemment celui-ci dans des virées glauques), compose le numéro de M. Jean-Baptiste La Goyet. Une sonnerie, deux, puis l'espace de léger craquement d'un répondeur qui se met en branle. Une voix de femme, appliquée, récite la formule classique : « Nous sommes absents, mais vous avez la possibilité de nous laisser un message en mentionnant votre nom ainsi que la date et la raison de votre appel. Attendez le signal sonore avant de parler. Biiip ! C'est à vous ! »
Je raccroche. Des formules de répondeur, y a des gens qui s'ingénient à les faire marrantes. La merde, c'est que lorsque tu les as entendues plusieurs fois, tu finis par ne plus les trouver drôles du tout. Je me rappelle en avoir composé une pour chez nous, dans le style Sana : gouaille et calembredaine. Au bout de pas longtemps, un pote qui me turlurait souvent m'a conseillé de « changer de disque ». Si bien que je suis revenu au classicisme. Un jour, tu verras, mes books aussi vireront Pléiade et tu ne trouveras plus de différence entre San-Antonio et Chateaubriand.
— Tu ne trouves pas bizarroïde, Blanche-Neige, que M. Jean Bonblanc ait possédé l'interrogateur de ce Jean-Baptiste La Goyet ?
— Évidemment.
— Tu veux bien demander à sa frangine quelle sorte de lien existait entre le défunt et le sieur La Goyet ? Va l'appeler sur un autre poste, j'ai besoin de ma ligne.
Le docile mâchuré s'évacue. Alors, je recompose le numéro et j'applique l'interrogateur sur la partie émettrice du combiné. Dès que le signal de parler est donné, j'enfonce successivement les petites touches rondes du 8, puis du 7 et enfin du 0 pour la discutable raison que Jean Bonblanc, d'après ses papiers, est née le 8 juillet 1930.
Mais ça ne donne strictement rien. Je recommence en formant 0, 7, 8, 0, des fois que le numéro de code comporterait quatre chiffres et, qu'ainsi, le 7 juillet serait exprimé par 07 et qu'il aurait placé le mois avant le jour. Re-zob ! Je m'emberlificote encore en faisant précéder par l'année et puis par je ne sais plus quoi. Mais non, franchement, je perds mon temps.
M. Blanc vient apporter sa grande ombre dans mon burlingue.
— La vieille n'a jamais entendu parler d'un Jean-Baptiste La Goyet, annonce-t-il. Tu ne penses pas qu'on devrait faire un tour aux Quéquettes-du-Roi ?
Coquette localité. Tranquillité garantie. De belles maisons trapues, anciennes fermes aménagées par des citadins en mal de résidence secondaire ; de l'espace, des platanes jouant aux quatre coins… On entend caqueter des poules invisibles. Des chats languissants prêtent leurs flancs au soleil. Un chien moucheté leur fout la paix car tout ce qu'il veut, c'est renifler des pissats délimités de qualité supérieure.
J'avise un garçonnet sur un vélo et l'interpelle :
— Sais-tu où demeure M. La Goyet, petit gars ?
Il prend la mine effarée d'un gamin infoutu de répondre à la question d'une grande personne.
— Je ne connais pas.
— Tu n'es pas d'ici ?
— Si.
— Et tu n'as jamais entendu parler de M. Jean Baptiste La Goyet ?
— Non.
Je lui prends congé d'une moue pas joyeuse.
— La poste ! conseille Jérémie.
— Quoi ?
II me désigne une fourgonnette jaune frappée du sigle des Postes françaises. La chignole est stoppée devant une opulente demeure. Je descends pour guetter l'employé. Il revient, sifflotant, nue-tête, la mine épanouie. C'est un jeune, déluré et sympa.
— Qui ça, dites-vous ? me fait-il réitérer.
— Jean-Baptiste La Goyet.
— Moi, pas connaître !
— Il existe cependant une ligne téléphonique affectée à ce nom-là ! objecté-je.
— Jamais entendu causer.
— S'il a le téléphone, il doit bien recevoir la facture !
— Pas s'il paie par prélèvement bancaire automatique.
— Mais, putain, m'emporté-je, tout individu reçoit du courrier : ses impôts, des notes d'électricité, les vœux d'une cousine, que sais-je !