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On m'apprend que La Meringue n'a toujours pas repris conscience. Sa pendaison lui a provoqué un affaissement sous-jacent des glandes cholestéro-farineuses, d'où il résulte que son étalonneur biconvexe n'émulsionne plus qu'à la fréquence indivise de 69 petafineurs-seconde, ce qui est peu pour un homme de son gabarit vous en conviendrez sans faire de manières j'espère? Je demande au toubib s'il y a de l'espoir et il me répond par l'affirmative. On a placé La Meringue sous une tente à bifurcation molle chargée de lui glycériner le médiation et il est à peu près certain que d'ici vingt-quatre heures et dix minutes le patient aura recouvré son potentiel outrancier.

Rassuré sur le sort du biscuiteur, je me mets à feuilleter un annuaire de Paris afin de chercher le numéro de bigophone de la clinique du Docteur Brindezingue à Neuilly. Je le trouve sans mal car, étant donné le sélect de l'établissement son numéro de téléphone est écrit en chiffres romains.

Bien qu'à cause du Tour les circuits fussent embouteillés (comment en Bourgogne ne seraient-ils pas embouteillés) j'obtiens la maison de santé du réputé docteur. Je me nomme, me qualifie et demande à la préposée de me fournir des tuyaux quant à l'admission de Hans Brocation dans sa crèche.

— Cet individu a des façons inqualifiables, grince-t-elle, et si je le rencontre un jour je lui dirai ma façon de penser.

A la voix je pressens une aigre dame sur le retour. Le ton est acide, les voyelles pointues et les consonnes appuyées.

— Répondez plutôt à ma question ! coupé-je. Est-il entré seul chez vous?

Elle réfléchit comme toute la Galerie des Glaces lorsqu'on l'a passée au Miror.

— Non, un ami à lui l'a amené en voiture.

— Qui a versé une provision : lui ou son ami?

— Son ami.

— Par chèque ou en espèces?

— En espèces…

Mon espoir est déçu. Il va être coton de percer l'identité dudit ami. Un chèque ça laisse des traces (surtout quand il n'est pas approvisionné) tandis que de l'artiche…

— Est-ce que, par hasard, vous auriez noté le nom de l'ami en question?

— Quelle idée ! riposte-t-elle.

Je me tortille le cervelet.

— C'est tout ce qu'il y a pour votre service, Commissaire? girouette ma correspondante.

— Attendez, m'illumine-je. Quand vous engrangez un malade, vous inscrivez nécessairement sur sa fiche, le nom des personnes à prévenir en cas d'accident?

— Un instant, dit la dame, je vais vérifier.

Je l'entends manipuler un classeur aux tiroirs montés sur roulements à billes. Quelques secondes s'écoulent. Dans l'hôtel le vacarme est à son apogée. On dirait qu'on y court les six jours ! Y a des gars qui s'appellent, d'autres qui s'interpellent, certains qui disent « Merde » et certains autres « Nom de Dieu», selon leur tempérament ou leur religion.

— Allô ! aiguillonne la rombière au turlu.

« Sur sa fiche il n'y a aucune adresse, mais un numéro de téléphone.»

— Je vous écoute, la calmé-je.

« Qui est?» demandé-je en retenant mon souffle trop généreux.

— Buffon 94–60, renseigne la dame.

— Mille mercis, ma beauté, exulté-je, si un jour je passe par Neuilly j'irai vous porter des bonbons.

Là-dessus je raccroche. Fiévreusement, je potasse l'annuaire de Pantruche par numéros. Mais, à mon grand dam, Buffon 94–60 n'y figure pas. Je demande alors la Grande Cabane en priorité. Derrière la vitre de la cabine, la Béruche me fait des signes véhéments pour m'engager à le rejoindre. J'en bave dans l'émetteur de voir son accoutrement, au Mastar. C'est pas croyable un déguisement pareil. Pas humain non plus. Ça fige les cellules, ça coagule la pensée, ça meurtrit la rétine, ça ulcère les centres nerveux, ça pertube le métabolisme, ça liquéfie les glandes, ça ébranle le système circulatoire, ça traumatise, ça fissure, ça rompt, ça corrompt les coronaires, ça dévaste les viscères, ça dépancréasse, ça époumone, ça estocule, ça conciliabule, ça férule, ça curule, ça hulule, ça rotule, ça déboulonne : les muscles de l'éminence hypothénar, le grand zygomatique, le long supinateur, le petit palmaire, l'omo-hyoïdien, le biceps brachial et le grand adducteur.

On se sent petit, médiocre, faillible et provisoire tout à coup.

— Allô ! fait la standardiste de la Grande Cabane.

— Ici San-Antonio, dis-je, passez-moi Pinaud en vitesse !

Sa Majesté ouvre la porte.

— Alors, quoi, tu t'amènes, c'est l'heure de la décarrade, Mec !

— J'arrive ! Pinuche? dis-je au mouton qui me bêle dans les trompes depuis Paname.

— En personne, immodeste mon collègue. Où es-tu?

— A Dijon. Tu as de quoi écrire?

— Toujours…

— Alors note ce numéro de passoire : Buffon 94–60. Il ne figure pas dans l'annuaire. Tu vas chercher discrètement le nom de l'abonné et, non moins discrètement, te rencarder sur lui. Je te rappellerai en fin de journée.

Il note et demande :

— Le Gros est avec toi?

— Tout ce qu'il y a d'avec moi ! Et si tu pouvais le voir en ce moment, faudrait que tu vives encore cent ans avant de pouvoir l'oublier ! Il porte des chaussures de ville noires, des chaussettes noires, un short à rayures bleues et blanches qu'il n'a pas pu boutonner because sa brioche et qui dévoile sa bedaine poilue, un tee-shirt trop juste dont le motif représente une course de toro en couleurs et un casque de motocycliste rouge à points noirs qui déguise sa grosse tronche en coccinelle.

— Mais pourquoi ce déguisement? bafouille le fossile.

— Parce qu'il est le masseur dans le Tour de France, révélé-je.

Et je raccroche pour rejoindre Béru.

Il piaffe d'impatience, ses valoches en mains, le Gravos. Notre bagnole nous attend. La Maison Fafatrin qui fait bien les choses a mis un cabriolet décapotable à la disposition de son honorable masseur. Béru a chiqué auprès de Jeannot qu'il ne savait pas conduire, mais qu'un de ses bons amis (en l'occurrence le gars moi-même) acceptait de lui servir de chauffeur. Donc tout est O.K. et nous prenons place dans la caravane.

Les coureurs signent le registre avant de déhoter. C'est joli tous ces maillots multicolores et ces pimpants vélos qui brillent au soleil.

Il y a de l'émulation dans l'air, de l'entrain, de la joie.

Béru se met à chanter les Matelassiers. Nous sommes provisoirement stoppés dans le square du Président-Videburne.

Le Caruso du pauvre interrompt soudain son chant altier pour me désigner un échassier qui déambule sur les pelouses.

— Qu'est-ce que c'est que cette bestiole? demande l'assoiffé de Savoir.

— Une outarde, dis-je. Tu n'as donc jamais entendu parler de la Outarde de Dijon?

CHAPITRE VI

— C'est au poil, non? roucoule le Gros qui se prélasse à mes côtés, un pied passé par-dessus portière. Quand je pense que Berthe, quelques kilomètres devant, est en train de balancer la charognerie d'Alfred aux déplumés qu'elle aperçoit, alors que moi je joue les seigneurs, ça me fait gondoler.

La bagnole de Jeannot arrive à notre hauteur dans un nuage de poussière blanche.

— Stop ! nous crie l'ancien champion, attendez Alonzo Giro, il a une crampe. Juste avant d'attaquer la Faucille, c'est gai !

Je me range illico sur le bas-côté, entre un curé et une dame âgée (tous deux vêtus d'une longue robe noire). Jusqu'ici le peloton roule à vive allure, très groupé. Aucune échappée n'a été signalée. Comme sont en train de le dire à leurs chers z'auditeurs les radioreporters : « Richard Pini caracole en tête dans son maillot étincelant, pour bien montrer aux autres candidats à la victoire qu'il est prêt à ne pas s'en laisser conter et même à imposer sa loi !» Point à la ligne.