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Je m'approche du box et toque à la porte.

En vain.

— Pour moi, décide le Mastar, au lieu de jouer les sentinelles le gars est allé écouter la musique en ville.

Je pousse la porte qui n'est fermée qu'au loqueteau.

— Je ne crois pas, fais-je.

Et je montre à mon cher équipier abasourdi, un bon vieillard ligoté sur un lit-cage.

CHAPITRE IX

On a beau en avoir vu d'autres, ça fait toujours quelque chose. Je m'approche promptement du bonhomme. C'est un petit chétif d'une septentaine d'années, avec les cheveux blancs et des lunettes aux verres épais comme des culs de bouteilles.

On l'a bâillonné avec un bas de femme, et on lui a lié les pieds et les mains aux montants de son plumard métallique. Je m'hâte de le libérer et il pare au plus pressé en chialant comme un veau.

— Eh ben, pépé ! je m'apitoie, des petits misérables sont venus sucer le tiroir-caisse à ce qu'on dirait?

Il hoche le chef, hoquette et bredouille.

— Ils n'ont rien pris…

— Des farceurs z'aiors ! incrédulise Béru.

— On a sonné, j'ai ouvert, récite le septuagénaire en arrimant son vieux râtelier que le bâillon a déplacé, ils étaient deux, avec des bas sur la tête.

Je note au passage que le coup du bas se fait de plus en plus. La faute du cinoche qui a vulgarisé le gag. De nos jours, Marny ne fait plus seulement parler la jambe, il fait aussi causer la bouille.

— Et alors? engagé-je.

— L'un des deux hommes m'a mis un revolver sur la poitrine.

— Et aftère? demande Béru.

— Ils m'ont entraîné ici et m'ont ligoté.

— Et aftère? s'obstine l'Imperturbable, assoiffé de curiosité.

Le petit bâillonné-de-nuit secoue sa pauvre tête persécutée.

— Je les ai entendus qui faisaient basculer la porte et qui rentraient avec un camion.

— Et puis?

— Plus rien. Au bout d'un instant quelqu'un a sonné que sonneras-tu, je pense que ça devrait être vous…

— Vous n'avez pas entendu repartir le camion? lui demandé-je.

— Non.

— Donc il se trouve toujours ici?

— Donc oui, convient le ligoté-de-nuit.

— Voilà qui serait bizarre si ça n'était pas avant tout étrange, phrase Béru.

— Si je comprends bien, coupé-je, l'agression est récente?

— Un quart d'heure environ, estime le septuagénaire-de-nuit.

— Vous sauriez reconnaître le camion qu'on a amené?

— Comment voulez-vous, lamente l'autre en se versant un grand verre de vin qui fait gémir Béru. Lorsque je prends mon service presque tous les véhicules sont rentrés, et aujourd'hui, avec l'étape du Tour, le garage est surplein.

— Y a pourtant cependant un moyen de retrouver le camion dont au sujet duquel tu fais allusion, Gars, me déclare le sentencieux. Ça consiste à toucher les moteurs pour voir lequel desquels est encore chaud !

— C'est l'œuf de Christophe Colomb, complimenté-je.

— Parle pas d'œuf, s'écœure le Gros, ça me fait penser au berlingot Poursantif.

Nous retournons dans le garage afin de palper les radiateurs. Le petit au-lit-ligoté-de-nuit a ses ratiches bidons qui grelottent contre les parois de son godet. Elles se déchaussent comme au seuil d'une mosquée, les canines surtout, et un peu les incisives. Comme toujours, il n'y a que les molaires qui se défendent because elles possèdent une plus grande assise.

— Asseyez-vous, pépère ! lui conseille la Béruche en lui prenant son verre des pognes, vous sucrez tellement que vous allez fout' du picrate sur votre beau costume.

Et, pour éviter que pareil incident ne se réalise, le Gros vide le verre d'un coup de gosier énergique.

C'est à ce moment précis que les loupiotes s'éteignent dans le garage, vlan, commak, d'un seul coup d'un seul ! On bascule in the night. Je perçois un glissement, un petit bruit de ressort qui se tend.

— A plat ventre ! hurlé-je, en joignant le geste à la parole et le bide au plancher.

Bien m'en prend. Dans le noir une tripotée de chouettes étincelles bleutées composent un minuscule feu d'artifice.

Oh ! la belle bleue ! Vive Monsieur le maire ! Ça fait tac-tac-tac du tac au tac. Pas très fort because le crache-pruneaux dont on se sert est, suivant la bonne tradition établie, pourvu d'un silencieux. C'est une mitraillette suédoise, je reconnais le velouté du percuteur. Les balles zèbrent, cinglent, percent.

On nous sort la dose pour adulte. J'ai pas le temps de les compter, mais y a de quoi garnir les estomacs d'une escouade.

Quand la première salve est servie, on enclenche un deuxième chargeur. Le temps prend son temps dans ma tronche, bien que le mitrailleur fasse fissa. Je pense avec une incroyable lucidité. Je me dis des trucs, des choses, des machins. Je devine les mouvements de notre agresseur comme si je le voyais. J'ai entendu un cri et je sais qu'un de mes compagnons a été touché. Je passe la main sous ma veste afin de dégager mon excellent camarade Tu-Tues de sa gaine. Faut agir mollo pour éviter d'émettre un bruit qui me situerait. Je n'y vois que tchi. Faut que j'attende la seconde seringuée afin de situer le tireur. Dangereux, car en v'là un qui semble vouloir faire le ménage complet.

Il recommence son rodéo. C'est le nettoyage consciencieux : de bas en haut, de gauche à droite, au ras du sol. Ça crépite comme la pluie sur une plaque de fer. Des valdas se logent dans les boudins des autos, leur arrachant un grand soupir désespéré.

Et bing ! Et pfffff ! Et heug ! Et dzimm ! Et vloufff ! (Je suis le roi des onomatopées, tandis que le tireur, lui, c'est le fléau des autos mal stoppées !) Faut que je lui fasse sa fête, son jubilé, sa joie de vivre, à cet homme. Bien sûr, pensez-vous, on peut y cracher dessus avec toutes les arquebuses du monde à San-A., il est paré, c'est le superman, et le narrateur en plus. Puisqu'il narre c'est que rien de définitif ne peut lui arriver. Il reçoit des pleins chargeurs, on le défenestre, on le défalaise, on l'électrocute, on l'empoisonne, on le passe à la moulinette, on l'attache sur la voie ferrée, on lui plante des lardoires dans la viande, on le pend, on le dépèce, on le noie, que sais-je et au pire des maux il s'en tire avec un rhume, une bosse ou un trou à son imperméable ! Bon, et alors? C'est mon droit d'être intuable, non? La suite au prochain numéro, où est-ce que vous iriez la pêcher, bande de caves concaves si je me laissais buter? Dans le débloque-notes du père François peut-être? Hein, dites voir? Imaginez un peu la chose ; le San-A. mordant la poussière pour le compte ! Du coup le soleil se couche sur la littérature ! Tout s'obscurcit, tout s'académise, tout rentre dans le rang, en rang ! Et rran ! et rran ! Vous plongez tête première dans la fadasse. Votre bon abcès de fixation a disparu et v'là que vos sales humeurs réapparaissent ! Pauvres de vous ! Il s'en ira bien assez vite, San-A., les gars, sans être obligé de se laisser bousiller par l'éclat d'une action d'éclat. Pas besoin de se le finir dans un livre, la vie a des projets en ce qui le concerne. Elle lui mijote un coup à elle, pas prévisible et tout ce qu'il y a d'imparable !

Un coup qui en débarrassera les grincheux que je cause dans mon avertissement. Ça libérera des tonnes de papelard, enfin ! On pourra s'imprimer des beaux trucs sérieux avec ce contingentement récupéré. Des trucs qu'auront le subjonctif sur l'évier et qui sentiront l'encens. Trois cents tonnes de faf annuelle devenues disponibles, vous vous rendez compte tout ce qu'on pourra publier comme photos de Paul VI, comme bulletins référendémiques, comme affiches électorales et comme papier hygiénique avec ça? Entre autres ! Un peu de patience !

Donc j'ai mon pétard en main et, me disant que je suis le narrateur de ce bouquin et que par conséquent je suis invulnérable (je me chatouille un peu pour vous faire marrer) je décide d'intervenir. Au plus fort du crépitement, je redresse le canon de Tu-Tues et j'appuie sur la détente. Il a une détente sûre, Tu-Tues et jamais Tu-Tues rata Toto.