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On se téléphone une boutanche de rouille, après quoi, comme je lui demande de me décrire sa voiture-salon, elle me propose de la visiter. C'est gentil, non? Voilà qui part d'un sacré naturel ! Moi, vous me connaissez? Je ne sais pas dire non dans ces cas-là. D'autant plus que j'adore les petites Suissesses (et même les grandes). On nous bat les pendeloques avec les prouesses plumardières de la Française, bon, d'accord, elle a le coup de reins impeccable, l'esprit inventif (ça oui, surtout) et beaucoup de conscience postérienne. Mais il ne faudrait pas pour autant diminuer le mérite des étrangères. Tenez, la Suissesse, justement, c'est pas un lot à réclamer, loin de là ! Elle tient sa place au dodo, croyez-moi. Le cœur à l'ouvrage elle l'a. Et l'ardeur idem. La seule réserve que je ferais peut-être, en étant chipoteur, ce serait son manque de nuances. Ça pèche dans le fignolage, trop de fougue comprenez-vous? Trop d'élan spontané ! Trop d'ardeur, quoi ! Victime de sa qualité dominante. Mais ça reste une des reines, j'affirme ! Un jour que j'aurai le temps, je vous écrirai un gros bouquin sur les gerces et l'amour international. Quand on a de l'expérience, c'est un devoir d'en faire bénéficier le contemporain moins favorisé, non? Je vous causerai des nanas que j'ai honorées de ma présence. Les Italiennes, tenez, ardentes, mais prudentes ! Elles sont comme leurs bagnoles, c'est l'allumage qu'est délicat. Faut pas leur brusquer la vis platinée, ni leur tarabuster le delco si on veut du rendement. La carburation se fait mal quand on a le malheur d'être impatient. L'Allemande ! Oh ! oui, promis, je vous raconterai l'Allemande, vachasse en diable et pas remuante, dont les seules qualités sont la facilité et la gentillesse. Et puis je dirai aussi de l'Anglaise, moche toujours (même les jolies quand on y regarde de près) mais si merveilleusement refoulée qu'on lui fait jaillir l'impudeur rien qu'en appuyant dessus ! Je ferai un tour d'horizon bien complet. Je me documenterai avant d'écrire pour combler mes lagunes comme disent les Vénitiens. Je causerai de l'Américaine, mauvaise affaire s'il en est, maladroite et fantasque, pudibonde et faussement exaltée. Je causerai de l'Espagnole, à peine renversable et tellement farouche qu'il faut toujours troquer son Rasurel contre une cotte de mailles avant de s'y aventurer. Vous verrez comme ça sera passionnant, éducatif et tout !

En attendant, la chère Valérie me conduit vers sa demeure à roulettes. Elle a remisé son domaine en bordure de la plage, à l'écart, sous des arbres aux lourds panaches.

— Vous n'avez pas peur de la solitude, complimenté-je.

— Il n'arrive quelque chose qu'aux femmes qui ont peur, m'assure la délicieuse enfant, en ouvrant la porte arrière de son fourgon british.

Extérieurement, le véhicule ressemble à un camion militaire de l'armée de Sa Majesté. Il est carré de lignes et peint en verdâtre. C'est de la bagnole robuste, tout-terrain. On peut traverser soit le désert de Libye, soit le Grand Nord avec ce machin-là. Y a des boudins de tracteur. Les vitres dépolies sont étroites et munies de barreaux. Bref, c'est rébarbatif et faut bien être une petite intrépide comme Valérie pour partir en vacances avec un tank pareil. Seulement, dès qu'elle a ouvert la lourde et actionné la lumière, tout change. Cet écrin morose est capitonné de satin. La transition est spectaculaire. Je pénètre dans une minuscule boîte à bijoux. Une bonbonnière, comme disent les gens qui essaient de poétiser l'exiguïté de leur logement. C'est tendu de feutrine rouge. Deux minuscules canapés-lits recouverts de soie bleu pâle sont alignés contre les parois. La petite commode du fond est en réalité une salle d'eau et un esprit inventif a logé une cuisine complète dans l'épaisseur des portes. C'est beau, l'ingéniosité. Dans le fond la plupart des hommes occupent trop de place. Il suffit de pénétrer dans le carrosse de la môme Valérie pour en être convaincu. On va de plus en plus vers une utilisation minutieuse de l'espace vital (comme dirait Jean-Jacques). L'homme, en se multipliant, réalise à quel point elle est petite sa planète. Avant de s'expanser dans les étoiles ou de se bombiner la frite à l'hydrogène ou au troubarium en branche, il essaie la solution d'attente, celle qui consiste à minusculiser les porcifs. Le rationnement du terrain, quoi ! Tous unis par l'alvéole, comme je vous le causais dans un ouvrage précédent.

Alors l'homme il s'étage, se clapière, se cellule. Il essaie de se faire durer, quoi. Il s'empile ; se sardine, se fait maigrir pour gagner de la place et par conséquent du temps. L'univers ça va devenir un charnier vivant, si j'ose dire. Ça grouillera vilain dans quelques années. Et ça grouillera jaune, ça grouillera noir. Cette partie de frotti-frotta, ma douleur ! On assure toujours que le Français, après l'amour, il rentre chez lui ; mais là il pourra même plus sortir de chez sa maîtresse ! Le zig qui parviendra à prendre le léger recul nécessaire à la copulation sera pour toujours pris au piège. La fidélité intégrale et obligatoire, je vous la prophétise.

— Entrez, invite la ravissante voyageuse.

J'obéis. Sa calèche sent bon la jolie femme. C'est capiteux, ça pousse au frisson, ça fait vibrer le trémoleur à injection directe surcompensé. Je m'installe sur un canapé.

— Vodka, whisky? questionne-t-elle en démasquant un petit bar encastré dans le manche de sa brosse à dents.

— Vodka, c'est une bonne idée.

Elle me file une rasade pour déménageur.

— C'est de la polonaise, elle est poivrée.

Je me dis dans mon for intérieur que l'essentiel est que la charmante hôtesse ne le soit pas. Salée, je veux bien, car il est passionnant de dessaler une gamine de son gabarit.

Sagement, elle s'octroie un jus de fruit.

— Je me suis suffisamment alcoolisée avec le Champagne, s'excuse la douce enfant, je dois songer à ma ligne.

Je la convoite en me disant que dans moins d'un instant il y aura quelqu'un de branché sur sa ligne.

— Vous êtes une fille étonnante, Valérie ! attaqué-je.

Je pense en effet que le moment de passer à l'action est arrivé. Le bla-bla préalable, c'est comme les préfaces des bouquins, les frangines n'y font presque pas attention. J'ai hâte d'entrer dans le vif du sujet. Et ce sujet possède tout ce qu'il faut pour qu'on n'ait pas envie d'entrer à la Trappe, croyez-moi.

— Vous permettez que j'aille m'asseoir près de vous, ma ravissante?

— Je vous en prie, elle susurre.

Je me lève pour traverser le fourgon. Et c'est alors qu'un sale vertige me chope par l'arrière du trognon. On dirait qu'une grande paluche préhensile vient de me saisir le cerveau. Je perds tout réflexe, toute volonté. Mon intelligence se répand sur la moquette comme les perlouzes d'un collier dont on a rompu le fil.

CHAPITRE XI

Il m'est arrivé souvent de perdre conscience, vous le savez. Un héros de romans policiers perd fatalement conscience. C'est une concession à la faiblesse que lui consent l'auteur. A noter que cette perte de conscience sert d'ellipse dans bien des cas. Ça permet au pisseur de copie de déclarer, lorsque son superman sort du sirop qu'il s'est passé ceci cela plus autre chose pendant ce temps mort. Il y a des poncifs qu'on doit respecter lorsqu'on a entrepris de distraire ses contemporains.

Cela étant dit, je dois vous avouer que ma virouze au pays des quetsches ressemble plus à un cauchemar qu'au néant intégral. Mes forces, mes pensées sont annihilées, mais il me reste, dans le panier à idées noires, des bribes de sensations. Je continue d'exister en pointillés. Il me semble que je suis en train, couché dans la travée d'un compartiment. Et puis qu'un contrôleur me réclame mon bifton. Je voudrais lui dire de me laisser pioncer, mais il me secoue. Je redors… Plus rien. Et puis encore le contrôleur. Il est allé au wagon-restaurant chercher un seau d'eau qu'il me file dans la poire. Je parviens à remonter un peu mes stores. Tout est brouillé. Y a la fumaga du train entre le contrôleur et mézigue. Et, au travers de cette fumée, un nouveau seau d'eau m'arrive, floc ! J'en biche de partout ! Ça me dégouline derrière la cravate, c'est le cas de dire. Je referme les yeux. Mon bocal a l'ampleur d'une cathédrale. J'ai Chartres en guise de boîte crânienne, avec Péguy qui arpente les dalles sonores. On me glisse alors quelque chose de dur entre les lèvres. Je pige qu'il s'agit d'un goulot. On l'incline, il crisse sur mes dents et un liquide brûlant dégouline dans mes intérieurs. Il me suffoque. Je tousse. Mais ça déchire je ne sais pas quoi en moi. Et brusquement je redeviens votre San-Antonio superbe et généreux, mes poulettes.