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Deux des plus fameux coureurs de ce Tour de France, c'est une nouvelle à sensation !

Quelqu'un : un journaliste, demande à Jeannot ce oui est arrivé.

— Figurez-vous que l'abruti que voilà (et Jeannot désigne le Gros) a soigné le furoncle mal placé de Bicco en le brûlant avec un cigare et en lui mettant les toiles d'araignée sur la plaie. Conclusion, ce katin, il a un melon entre les miches, mon championtal. Quant à Rudy, il lui a branché un vibromasseur sur les cuisses et il est allé bâfrer comme un goret pendant que l'appareil tournait ! Quand il lui l'a enlevé, l'autre était entamé comme une pièce de bœuf ! Rudy, vous le savez, il est allemand à ne plus en pouvoir. Ils sont indolores les Allemands, autant que des poissons. Il lisait l'Hamburger Zeitung, il se doutait de rien. Le sang pissait ! Il en a perdu au moins un demi-litre. Si je me retenais pas je l'assommerais ce Gros malpropre !

Béru en a les larmes aux yeux. Après avoir perdu seize millions au cours de la nuit, voici qu'il perd sa place, avouez qu'il tient une vilaine série, le cher homme !

Il nous avise et vient s'abattre en sanglotant contre l'épaule fraternelle de Pinaud.

— Allons, allons, s'émeut le Détritus, remets-toi, Alexandre…

Il lui tapote la nuque, affectueusement. Et il a ces paroles qui se veulent de réconfort mais qui ne manquent pas de sel.

— Ce sont des choses qui arrivent, dit-il.

On vide une bouteille de muscadet (le breuvage d'élection de Pinuche) pour se redoper le mental.

Rien de tel que le vin blanc pour chasser les idées noires.

Un barman s'approche de notre groupe et, s'adressant à Pinaud demande :

— C'est à vous la sacoche de cuir au portemanteau?

— Oui, répond le Branlant.

— Vous avez un réveille-matin ou quoi dedans, ça carillonne sans arrêt !

Je bondis. Je m'effare ! Je m'affaire ! Je m'efforce ! Je m'extirpe de la banquette ! Je m'exclame des choses ! Je m'évacue en vitesse vers la sacoche de cuir. Ça carillonne mochement dedans. Je mate les compteurs : les aiguilles du Strougnbitz paraissent complètement dingues. Je mets la bretelle de la sacoche sur mon épaule et je quitte le bar. La sonnerie se fait stridente, plus précipitée. Elle gueule tout ce qu'elle peut ! On dirait que le sac de cuir abrite douze réveille-matin, quatorze téléphones et huit passages à niveau en délire.

Me voilà dehors ! Je mate autour de moi ! Les gens me regardent. Je leur souris niaisement comme l'abbé Jouvence, (le confesseur de Marcel-E. Grancher).

Je cherche. Ça grouille. Je vais sur la gauche… La sonnerie baisse d'intensité. Je reviens sur la droite, ça vrombit en force ! Ça éclate ! Ça ulule ! Ça pullule ! Ça virule ! Ça vérole ! Démentiel ! A s'en faire cimenter les cages à miel ! A s'y coller de la cire à cacheter, du chewing-gum, des nouilles trop cuites, de la polenta, de la farce d'escargot, n'importe quoi d'épais, de malléable, qui puisse boucher, qui rende étanche. Je me dirige vers un coureur de l'équipe Fafatrin, lequel, assis sur la margelle de la fontaine est en train de régler la hauteur de sa selle. Il s'agit d'un coureur belge : Aloïs Van Danléwoëles, un solide équipier, seize fois vainqueur de la fameuse classique Bruxelles-Bruxelles via Bruxelles.

Je drive ma sacoche jusqu'à sa bécane. Il devient complètement fou, mon compteur Strougnbitz. J'appuie sur le bouton marqué « stop » et le bruit cesse, plongeant nos ouïes chauffées à blanc dans un bain d'huile.

— Qu'est-ce que ça est? demande Aloïs.

— Mon Jazz qui se prenait pour Armstrong, éludé-je. Où as-tu pris ce vélo, Aloïs?

Il me mate avec des yeux déroutés, bouffés par la surprise et l'incompréhension.

— Mais, au camion ! me dit-il en me désignant la fourgonnette dans laquelle j'ai terminé l'étape de la veille en compagnie de Méhunraillon.

— Ramène ton braquet où tu l'as pris, Aloïs, il a été saboté par une marque concurrente. Vous devez utiliser les cycles contenus dans le camion en stationnement devant l'hôtel.

Comme il a des doutes, je lui montre ma carte.

— Police du Tour, mens-je pour lui calmer l'étonnement, fais ce que je te dis !

Là-dessus, je m'approche du fourgon Fafatrin. A peine ai-je appuyé sur le déclencheur du Strougnbitz que le vacarme reprend.

Alors je cavale bide au sol jusqu'à l'hôtel.

— Béru ! dis-je au Gros, ça y est, j'ai découvert le pot aux roses. Les tueurs d'hier avaient eu le temps de changer les vélos truqués contre les bons et c'étaient les vélos normaux que nous avons trouvés dans leur camion !

CHAPITRE XV

Je fais conduire la cargaison de vélos truqués dans les locaux de la Police afin qu'ils soient en sécurité et je me paie le luxe d'en démonter un. Effectivement, on a mis des tubes de fer à l'intérieur du cadre pour lui donner un poids normal. Lorsque j'ai ôté ce lest ainsi que les roues et le pédalier, il suffit de souffler sur le vélo pour qu'il se mette à voleter dans le local. Ça tient du prodige. Avec roues et pédalier, il pèse tout juste un kilo, le braquet.

Vite je tube au Vioque pour lui annoncer la bonne nouvelle. Il exulte. Il me dit que c'est mon action d'éclat la plus éclatante. Un truc commak et je suis bon pour recevoir le Mérite Machin (la plus haute distinction dans l'Ordre alphabétique).

— Maintenant, dit-il, en baissant la voix pour qu'éventuellement, les demoiselles des P.T. et T. ne puissent pas entendre, maintenant je vais vous charger d'une dernière besogne, San-Antonio.

Je lui prête, pour un court instant et avec quatre-vingt-quinze pour cent d'intérêt, une oreille attentive.

— Mon petit, chuchote le Big Boss, il convient de neutraliser ce James Ledvise. Je suppose qu'il a prévu un truc pour récupérer les vélos au Légérium 34 à Lausanne…

— Probablement.

— Il faut lui mettre la main dessus coûte que coûte !

— Je vous fais remarquer que je serai alors en territoire étranger, patron ! objecté-je.

— Je sais, aussi, s'il vous est impossible de me le ramener, je compte sur vous pour mettre définitivement fin aux activités de ce dangereux personnage et de sa bande…

— Définitivement fin, répété-je, manière de bien lui faire endosser ses responsabilités et de voir si elles lui vont !

Il détache bien chaque syllabe.

— Oui, San-Antonio. Dé-fi-ni-ti-ve-ment !

Voilà qui est net, non?

Les coursiers de l'équipe Fafatrin étant bien classés, ils ne doivent partir que dans les derniers, en vertu du système de la course contre la tocante dont je me suis permis de vous entretenir primitivement.

Pinaud, Bérurier et moi-même tenons un conseil de guerre dans notre chambre. Le Mortifié est blême, avec les oreilles et le nez violets. Il ressemble à un congre congelé. Pinaud, pour ne pas changer, tète la carapace de cafard qui lui tient lieu de mégot.

— En somme, qu'est-ce que tu préconises? interroge-t-il.

Je branle le chef (qui n'attendait que ça) et je soupire :

— Si nous étions certains au moins que c'est bien à l'arrivée que la récupération des bécanes doit s'opérer…

— Où veux-tu qu'elle s'opérasse? bougonne l'Évincé, ils vont pas kidnappinger toute une équipe, non? Sans compter que tous les vélos ne seront pas en course et que la plus grande majeure partie restera dans la camionnette !

— Précisément, fais-je, c'est cela qui me tracasse : la dispersion de leur camelote. Tout vouloir piquer à l'arrivée constitue une gageure. Il faudrait un ballon d'essai…

— Caisse à dire? demande le Congédié.

— Si un coureur du Fafatrin partait dans les premiers, on aurait le temps d'observer le comportement de l'adversaire avant le départ des autres…