Et la caravane berlinguière, Alfred se la fera seulâbre, ou bien il engagera une partenaire qui ne soit pas en puissance de son mari. Si Dieu a créé le couple c'est qu'il avait une idée de derrière l'auréole, non? Je tire le pommadin par la manche et lui chuchote fermement que les raisons de mon Prince de l'Amour sont valables. Boudeur, il me répond que dans ce cas ces deux pourceaux n'ont qu'à aller forniquer et foutriquer où ils voudront mais que lui ne leur prêtera pas sa carrée. Or, en période de Tour de France, c'est comme en période de vacances ou d'invasion : les places sont rares dans les hôtels.
Béru et moi, arrivés à l'improviste, n'avons trouvé qu'un sommier dans le dortoir du personnel. Alfred ne l'ignore pas et le perfide, le jalmince, l'exclusif, se doute bien que les Bérurier ne vont tout de même pas faire une partie de jambons devant un public nombreux. C'est commak qu'il les tient. Il se délecte. Il reste ferme sur les prix, Alfred. C'est son réduit breton, sa piaule dijonnaise. Béru éructe, enrage, flétrit. Il postillonne, émerillonne, canonne, bâtonne, tonne, entonne, détonne, étonne.
Il fustige la pénurie hôtelière. Un pays qui ne peut plus abriter les amours de ses ressortissants est un pays décadent, promis à la stérilité, à l'anémie, à la sclérose ! Une nation condamnée à l'exsanguination. Il dit qu'il forniquera dans la cuisine, mais hélas le taulier lui apprend que les marmitons y bivouaquent déjà. Dans la cave, alors? Ce sont les cavistes qui y campent, humbles cancrelats du millésime ! Il y a douze personnes dans le hangar ! Et le veilleur de nuit roupille dans les cagoinces ! Que faire? Où se blottir? Où s'accoupler? Où sublimer sa viande? Où fournir sa ration d'extase à l'être légalement acquis? Devra-t-on renoncer? Se recroqueviller en soi-même comme le poltron escargot dans sa coquille? Se mutiler peut-être pour supprimer la cause qui engendre l'effet? C'est donc cela qu'ils souhaitent, tous les incapables du Tourisme? Les imprévoyants du plumard d'étape? C'est à cela donc qu'ils espèrent arriver, ou bien inciteraient-ils à la partouze? Hein? Mine de rien? Voilà, il a trouvé, le Gros Béru. Il a démasqué les vicelards de l'Organisation hôtelière. Il les accule en attendant de faire mieux. Eh bien soit ! Pas dégonflé, il saura s'assouvir coûte que coûte ! Il ira dans la verte campagne française, aimer sous les étoiles ! Ce sera sa façon de dire merde au monde ! Avec la Voie lactée pour témoin ! Il montrera son dargeot à la Grande Ourse puisqu'on l'y force ! Un assistant lui objecte qu'il pleut ! Du coup Berthy n'est pas partante ! Déjà la rosée l'inquiétait pourtant elle acceptait de s'y vacher parce que la rosée est un accessoire de la poésie. Mais la flotte, ça refroidit les ardeurs ! A preuve : on douche les grévistes pour leur calmer les revendications et on file des seaux d'eau aux chiens afin de faciliter leur séparation. Béru se prend la hure à deux pognes. Ça coalise autour de lui ! Y a du perfide dans l'air, ce soir ! Il sent fourmiller les impondérables sous ses pas. Il est des jours où tout s'effrite, où tout mobilise. Des jours où ça peau-de-banane vilain sur les trottoirs ; où les gonzesses sont fermées pour cause de déchets ; où les créanciers créancent à qui mieux-mieux ; où les lois sont plus duralex que sedlex. Des jours où les chiens mordent, où les chats griffent, où les percepteurs bleuissent, où les patrons vésiculbiliairent. Des jours où le ciel nous fait pipi dessus et où la France a la prostate. Faut les subir, s'y soumettre, ne pas leur tenir tête surtout. Vous avez raison, m'sieur l'agent ! Oui, m'sieur l'agent ! Comme ça, gentils, fatalistes, éblouis de renoncement. Faut abnégater à bloc, se donner, se brandir à la gifle, au scalpel, au juge ou à la sodomie. Il le sent, Béru. Il en convient, en circonvient ! Les organiques c'est avec leur bidoche qu'ils comprennent. Ça prend plus de temps, mais c'est mieux ancré.
Il cède, mon gros lapin. Il courbe le front. Il la remet dans sa giberne. C'est alors qu'un être d'exception, magnanime à outrance, un individu qui marche sur les vins s'approche de lui, pose quatre livres de cartilages bien empaquetés sur son épaule. La Meringue !
— Écoute, mon pote, murmure-t-il. Y a pas de raison que tu joues à coquette le grand air du Ramadam. Je vas te prêter ma chambrette, le temps que vous vous fassiez votre opération survie !
Bérurier en pleure d'attendrissement. Il embrasse La Meringue. Il transcende sa noblesse d'âme ! Il lui affirme qu'il est un grand joueur de dames ! Il avoue sa ruse du départ.
— C'est parce que t'as éclusé à fond une chiée de godets que t'as perdu une partie de tes moyens, mec ; autrement sinon j'allais valdinguer comme une bleusaille !
Sa victoire lui fait mal tout à coup ! Il la repousse, la réfute, la renie. Il voudrait la rayer de sa vie ! L'offrir à ce La Meringue au grand cœur ! Se l'extirper du palmarès. La Meringue lui donne sa clé.
— C'est au quatrième sous les tuiles, mon pote.
Affolez-vous pas, y a un zig qui pionce dans le plumard voisin, c'est un masseur de l'équipe du papier hygiénique Fafatrin.
« Il est complètement naze et vous pouvez faire votre rodéo sans vous occuper de sa pomme. Pour le réveiller faut lui ouvrir les chailles avec un démonte-pneus et lui faire avaler un verre de scotch tellement qu'il est imbibé !»
Béru prend la clé, dit merci, cramponne sa bergère et l'entraîne sous un tonnerre d'applaudissements.
— Ah ! ces hommes, roucoule sa rombière avant de sortir, histoire de masquer sa gêne, ils ne pensent qu'à ça !
Alfred pousse une frite mortelle. Il est livide, émasculé par la jalousie. La Meringue lui file un coup de battoir dans la poitrine.
— Joue pas les teigneux, mon pote ! lui dit-il. Le mari a tout de même le droit de toucher les dividendes, non?
CHAPITRE H
Une fois le couple parti pour accomplir son destin, les conversations reprennent leur cours normal. Ces messieurs se mettent à parler de l'étape du jour, gagnée au sprint par le jeune espoir Richard Pini de la joyeuse Pédale montmartroise. Ce coureur appartient à l'ardente équipe de la Vaseline Facilitas T.O.P.[1]. Il commence une prometteuse carrière puisqu'il a fait deuxième au Critérium des As de Pique cette année et qu'il a remporté sa première grande classique en gagnant Paris-Croupion devant le champion de France Crztwezkszansky.
C'est lui qui, demain, s'alignera au départ, revêtu de ce que mes amis journalistes sportifs appellent : la casaque bouton d'or, le maillot de lumière, la tenue de soleil ou la défroque étincelante. On suppute les chances qu'il a de le conserver le maillot-cocu. Certains affirment qu'il le perdra dans les Alpes et d'autres prétendent qu'il le portera jusqu'aux Pyrénées. Les uns lui trouvent des qualités de grimpeur, les autres assurent qu'il n'est pas fichu de gravir un escalier.
Dans la vie c'est toujours commak. Dès qu'un individu sort du lot il est aussitôt accueilli et cueilli par ses contemporains. Ça se divise illico. Il y a les fans et les détracteurs. Ceux qui brandissent les bouquets et ceux qui balancent les tomates. Les fervents et les courroucés ; les adorateurs et les « merdeurs». Aussi extrémistes les uns que les autres d'ailleurs ; prêts à vous faire jouir ou à vous faire saigner, j'en sais quelque chose. Par moments, on a envie de plonger dans le grand repos des indifférents. On a besoin d'aller mourir un brin avec eux, pour se remettre de ces excès, se renouveler le moral et se faire dégorger la glande à émotionner.
On est donc tous en train de mijoter ce destin de Richard Pini dans les louches alambics de nos passions lorsque Béru opère un retour furtif. Il est en maillot de corps, avec le falzar tirebouchonné et la bretelle en queue de vache.
1
T.O.P., abréviation du slogan de la Vaseline Falicitas qui est, rappelons-le :