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— Vacherie de vacherie ! dit-il.

Et de s’introduire la main dans l’arrière du calbar pour se fourrager l’entre-deux, ce qui, chez lui, est un signe d’intense contrariété.

— Que vous arrive-t-il encore, Jeannot ? l’interpellé-je.

— Je viens de bigophoner au dirlo de ma marque, rouscaille le ci-devant champion. Je l’ai mis au courant et lui ai demandé de m’expédier dare-dare un autre masseur pour demain, et savez-vous ce qu’il me répond ?

Il aspire un supplément d’oxygène histoire de débloquer ses soufflets contractés.

— Il me dit que c’est mon turbin et que je n’ai qu’à me débrouiller ! Ici, à Dijon, en pleine nuit ! Comme c’est facile ! Où vais-je le trouver, le masseur de remplacement, hein ? Dans les quelques heures qui me restent, comment je vais faire pour embarquer un gars trois semaines sans même lui laisser le temps de faire sa valoche !

Je compatis mollement. Chacun ses problèmes, non ? Sans un minimum d’égoïsme la vie ne serait plus vivable.

Mais voilà qu’à ma vive, à ma grande, à ma profonde stupeur, le gars Béru déclare :

— Eh ben, mon vieux Jeannot, on peut dire que vous avez le fion bordé de nouilles, vous !

Méhunraillon le mate sans piger par-dessous ses sourcils de griffon.

— C’est-à-dire ? il fait de sa voix autoritaire.

— C’est-à-dire que la Providence m’a placé sur votre ligne d’arrivée, fait doctoralement Béru. Imaginez-vous que je suis masseur diplômé de naissance et que justement j’ai trois semaines de vacances et ma valise.

Je sursaute, mais Béru me bloque l’étonnement d’un coup de latte dans les montants. La bouille de Jeannot vient de se rafraîchir comme si une brise parfumée lui épongeait la sueur. Il retrouve ce beau teint de pêche pas mûre qui est le sien.

— Vous êtes masseur ? murmure-t-il.

— Et y a pas de raison que je devinsse pas aussi votre frère, humorise le Gros qui a de l’esprit à s’en réveiller la nuit !

— Quelles sont vos références ? insiste Jeannot, ultra-professionnel.

Béru hausse ses mammouthiennes épaules.

— J’en ai tout un fagot, assure-t-il. Tenez, c’est moi que j’ai massé Kid Hécone, le champion d’Europe des mouches.

— Ne confondons pas boxeur et cycliste, méprise Méhunraillon. C’est pas les mêmes mécaniques qui travaillent.

Béru s’empresse de passer la surmultipliée.

— J’ai massé également Jules Le Doux-Mec, le célèbre coureur pédéraste, et puis Tanvala Cruchalo, le champion d’Italie de patinage sur saindoux, et encore des types comme l’agent Bamon et l’agent Bavai qui furent champions de ski militaire, sans causer de l’équipe des jus-d’occase de Bouffémont, tous ceinture de flanelle ! Vous en voulez z’encore ?

Il s’emporte, le Sublime, lancé, propulsé, catapulté par son désir de s’incorporer à la caravane du Tour.

— J’ai gratté deux ans dans un institut de rééducation où ce que j’ai accompli positivement des miracles. Le patron a même reçu une bafouille de protestation du syndicat d’Initiative de Lourdes qui se plaignait de la concurrence déloyale. Ah, n’ayez pas peur, M’sieur Jeannot, avec moi, vos pédaleurs seront entre bonnes mains.

— Bon, nous verrons bien, se résigne Jean Méhunraillon. Vous avez votre matériel ?

— Vous croyez que je m’en sépare ! proteste Sa Majesté. Allons donc ! Si j’ai plus d’un tour dans mon sac, je vous prouverai aussi que j’ai plus d’un sac dans mon Tour !

DEUXIÈME ÉTAPE

Il y a des gens qui ont peur d’être cocus.

Ils ne se rendent pas compte que les cornes sont un signe de force.

Bérurier

CHAPITRE V

La voix sèche du Vieux me parvient, lointaine, comme si elle m’avait d’une autre planète. Je lui en fais la remarque avec déférence, onction, componction, ponctuation et dévotion et le Big Dabe m’avoue être affligé d’un enrouement consécutif à la conférence qu’il a prononcée hier au Congrès des Poulardins. Je lui conseille de manger du miel et de faire des inhalations, manière de me mettre dans ses fafs. Il me remercie et me demande où je suis, ce que je fais et ce que je compte faire. En termes concis, bien que très variés, je lui relate les étranges événements de la nuit. Il m’écoute sans paraître participer. Lorsque j’ai terminé, un point de suspension angoissant se glisse entre nous comme un ver dans une poire blette.

— Très étrange en effet, finit-il par convenir.

Puis, d’un ton innocent :

— Quand rentrez-vous ?

— Eh bien, mon Dieu, j’avais pensé que, étant donné les circonstances, j’aurais pu tenter de tirer cela au clair…

Le Boss me meurtrit les feuilles d’un nouveau silence plus long et plus perfide que le précédent.

— Cette affaire concerne la police dijonnaise, San-Antonio, et moi j’ai une mission pour vous…

Ma déception fait un bruit de papier froissé. Il la perçoit, l’aperçoit, lape et reçoit, la paire soit, et murmure :

— Nous sommes mardi. Il faut que vous soyez rentré jeudi soir.

Et il raccroche afin de s’épargner mes commentaires et ma gratitude.

Je suis bien d’accord avec vous pour une fois, tas de navets, c’est pas bézef comme temps imparti, mais quand on connaît son San-Antonio comme je le pratique, on sait qu’il a réussi des tours de force beaucoup plus étonnants. Quarante-huit plombes pour déguiser cette eau de boudin en cristal de roche, c’est assez, comme disait un cachalot auquel une baleine de parapluie faisait du rentre-dedans.

Tout joyce, je sors de la cabine. Une grande animation règne dans l’hôtel. Tout le monde s’apprête pour le départ. Y a du fourmillement, des appels, des cris, des interjections, quelques onomatopées assez bien de leur personne et des sifflets. On voit des coureurs déguisés en cyclistes qui remplissent leurs bidons, des journalistes qui remplissent leurs stylos, des photographes qui remplissent leurs Rolleiflex, des femmes de suiveur qui remplissent leur devoir et le taulier qui remplit son tiroir-caisse.

Je vois passer Berthe, harnachée à bloc, avec son berlingot dans le dos et escortée d’Alfred.

— Alors, les amoureux, je leur virgule, c’est l’épopée berlinguière qui se poursuit ?

La Gravosse donne un coup de nageoire pour mettre le cap sur moi.

— Ma tête de cochon est reparti sans m’embrasser, fait la gente dame. Quand vous le reverrez, vous lui direz ma façon de penser !

— Que me chantez-vous là, protesté-je. Béru n’est pas reparti.

— Si, si ! intervient Alfred, je l’ai aperçu, de ma fenêtre, qui quittait l’hôtel, une valise à la main.

— Ce départ fut de courte durée, dis-je, en montrant le Gros coincé dans la porte-tambour de l’établissement.

Il coltine une monumentale valoche, Béru. Et qui doit être lourdingue ! Un coureur de l’équipe du Vermifuge Saturne (slogan : Chacun à son ver à soi) veut sortir alors que le Mastar rentrait. La porte subissant deux poussées contraires reste dans une relative immobilité.

— Barre tes os, Pomme-à-l’eau ! crie Béru, tu vois pas que je suis coincé avec mon bagage ?

Mais comme le coureur est tchécoslovaque (il s’agit d’Adolf Petzec) et ne comprend pas le français, il continue de s’acharner. Lors, l’Impatient lâche sa valoche, prend un léger recul, autant que le lui permet l’exiguïté de l’alvéole dans lequel il se trouve, et donne un coup d’épaule forcené dans le panneau. Sous la frénétique poussée, la porte tourne violemment. Béru chute sur la moquette du hall tandis que le malheureux Petzec décrit trois tours complets à l’intérieur du tambour avant d’être éjecté sur le trottoir. Il pousse des glapissements car il s’est démis l’épaule. Indifférent à ses clameurs, le Gravos récupère sa valise qui s’est ouverte dans le tourbillon. Nous avons une vue imprenable sur son contenu. Il y a là des flacons, des gants de crin, des vibro-masseurs. Et puis encore des choses confuses, inidentifiables à première vue.