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« Vas-y ! »

Et ils y vont tous, en tortillant le baigneur. Ils y vont en tirant la langue, en poussant des grognements, en enfonçant ces garces de pédales qui s’obstinent à remonter toujours, tels des pistons sous pression.

Jeannot revient à notre hauteur, l’air plus que pas content.

— Courzidor s’est échappé ! nous tonitrue-t-il par-dessus le bastingage.

— Et alors, qu’est-ce qu’on en a à branler, vu que c’est pas un gars de notre équipe ? objecte le Pertinent impertinent. Il court pour les sièges Sitdavne, rien d’étonnant à ce qu’il arrivasse dans un fauteuil !

Sa boutade monte au nez de Jean Méhunraillon.

— Ouais, glapit-il, en attendant, Alonzo Giro, mon roi de la montagne, roule en zigzag et en queue de peloton. J’sais pas quel massage vous lui avez fait subir, mais il est pas dans son assiette.

— C’est tout de même pas ma faute si votre Condor bat de l’aile ! riposte durement le Mastar. Si un massage suffisait pour déguiser un zig en champion, tout le monde gagnerait le Tour de France !

— En attendant occupez-vous de lui. Je l’ai vu au départ, Alonzo, il était frais comme un gardon. Tâchez qu’il retrouve sa forme, sinon moi je trouverai un autre masseur !

Ayant dit, il ordonne à son chauffeur de filer un coup de gomme et nous tire sa révérence dans un gros pet poussiéreux.

— Avanti, San-A., italianise le Gros. On va essayer de lui le repêcher son Espago en déroute !

Je distribue une double ration de picotin dans les cylindres de notre zinzin et les bornes se bousculent à nos côtés. La route grimpe sérieusement maintenant. Tandis que j’active, Béru est en train de farfouiller à nouveau dans sa mystérieuse valoche.

— Que prépares-tu ? m’inquiété-je.

— T’occupe pas, c’est ma botte secrète ! Mon astuce à tricoter les vainqueurs.

— Tu lui as fait avaler quoi, au gars Giro, tout à l’heure ?

— Un coup de rhum dans du cacoua, histoire de lui regonfler un peu les accus, mais il m’a l’air de pas bien carburer, cécoinsse.

Nous retrouvons le peloton, plus étiré qu’un bandonéon accroché à un clou. Effectivement, le maillot violet, bleu et vert du champion ibérique flotte à quelques encablures des autres.

— Il est aux portes de l’abandon ! m’exclamé-je, car je suis un lecteur assidu de l’Equipe et rien de ce qui touche au vocabulaire sportif ne m’est étranger.

— Arrête-toi ! m’enjoint le réputé masseur.

Il fait peine à voir, Alonzo. Il a des chandelles grosses comme mon pouce sur le front, le nez pincé, les yeux qui bredouillent et les genoux qui font bravo. Sa langue a la couleur du drapeau espagnol. Et quand il respire, on se croirait dans une gare de triage.

— Stop ! internationalise le Gros.

Comme le coureur ne demande que ça, il se grouille de délacer ses cale-pieds pour se délasser. Lors, l’Ingénieux déroule un écheveau de nylon transparent. Il attache une extrémité du filin invisible à un bouchon.

— Ouvre ton bec, ma petite tête de condor ! ordonne-t-il.

Je traduis d’abord de l’argot en français, puis du français en espago. Giro obéit. Le Masseur lui glisse le bouchon dans la bouche.

— Tu l’auras, ton Big Prix of the mountain, mon pote, promet-il, fais confiance à Béru.

L’autre ne pige toujours pas.

— Causes-y, à cette truffe, supplie mon compagnon. Dis-y qu’on va l’haler mine de rien. Qu’y tienne bien sa gauche surtout ! Toi tu roules en klaxonnant à tout va et tu doubles le peloton. Y a cinquante mètres de fil. Ce qu’il faut c’est qu’il faut pas que d’autres endoffés traversent dans le tervale.

— Pas très réglo, ton système, réprouvé-je.

Mais Béru se fâche.

— Le catéchisme c’est l’église à côté, mec. Alors écrase. Dans ce Tour t’es pas mon supérieur hiéraldique mais mon support-donné.

Je donne donc au Condor pyrénéen les explications voulues. C’est faire fi de la fierté espagnole. Descendant de Charles Quint, il est, Alonzo. Le raisin de la noble Espagne circule dans ses tuyaux. Il fait « groin, groin » vu qu’il ne peut articuler autre chose avec le bouchon qui lui remplit le clapoire. Mais il fait « groin groin » sur un ton réprobateur. Il préfère abandonner. Il n’a pas l’âme d’un frelaté. Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! Voilà ce qu’on lit dans ses yeux qui fulminent. Voilà ce qu’il ponctue et acuponctue de la main et de la jambe.

— Il nous les brise ! fait le Gros, démarre !

Je repars. Las, Alonzo n’a pas encore réussi à se débarrasser du bouchon (il s’agit d’un bouchon de champagne). La secousse manque le déséquilibrer. Il n’a que le temps de porter ses mains gantées de trous à son guidon. On le tire, je prends de la vitesse. Au début il a le cou allongé par-dessus son vélo. Il tente toujours de se défaire de cette poire d’angoisse, mais sa mâchoire de mulot n’est pas apte à servir de réceptacle à un objet de cette forme et de cette dimension. Force lui est de suivre. Il se résigne, s’organise. Il trouve ça bon, malgré tout, cette traction providentielle. Il est comme qui dirait dans le cosmos, Alonzo. La pesanteur c’est plus pour lui, il s’est affranchi. L’archange Béru l’emmène sur ses ailes dorées vers le sommet glorieux.

Nous recollons une fois encore au peloton de plus en plus en pointillé. Je klaxonne véhémentement pour obtenir le passage. La foule acclame le retour en force de Giro.

— Vas-y Alonzo ! qu’elle lui crie, la foule, ils sont pas loin !

Alonzo grimpe les pentes jurassiennes à soixante à l’heure. Au passage, je vois un reporter noter fiévreusement sur son bloc à débloquer que « le Condor des Pyrénées dans une irrésistible envolée d’aigle impérial se rit des plis anticlinaux jurassiques. » La phrase reste belle bien qu’il ait, dans sa hâte oublié un « r » à irrésistible.

Nous dépassons les demi-porcifs, les porteurs d’eau, les échangeurs de roue, les coupeurs de train, lesquels subissent l’épreuve de vérité qu’est la montagne. Et puis nous retrouvons les champions des courses classiques mal à l’aise dès que les routes se mettent à basculer. J’avise Tik Danlœil, André Barricade, Stable-Enski, Rudy Manther, Van d’Ouest, Krokzy et d’autres encore, le dos arqué, le regard en visière, la bouche entrouverte.

On se les paie, on les double, on les perd, entraînant dans notre sillage l’éblouissant, le réputé Alonzo Giro, incroyable d’aisance, lequel non seulement escalade la Faucille les mains en haut du guidon, mais presque en faisant roue libre ! Un exploit ! J’entends, en le dépassant, un gars de Radio-Brandgbourg dire aux z’auditeurs que le roi de la montagne est en train de devenir le Roi-Soleil.

Nous parvenons à la hauteur de Jeannot ! Il est ravi, le dirlo sportif du Fafatrin. Il exulte. Sur une ardoise il a écrit « Courzidor à 30'' ». Il brandit le panneau sous les yeux exorbités de Giro qui secoue la tête désespérément. A l’allure où on l’entraîne vers la victoire, il a du mal à conserver son équilibre, le pauvre.

Béru qui regarde gesticuler Jeannot s’inquiète.

— Cet abruti va couper le fil à gigoter commak. Donne un coup de sauce, gars.

Docile, votre San-A., mes loutes ! Au service du Preux Béru. Dévoué corps et biens, corps et âmes, l’arme sur le pied de guerre.