— Je me sentais fort ! il élude.
— Tu veux dire que tu étais terrible ! renchérit le beau Robert. Pourtant, objecte-t-il, parvenu à quelques mètres du sommet, on a eu l’impression que quelque chose venait de craquer, je me trompe ?
— Nnnnon ! avoue l’Espagnol.
— Tu as subi une grosse défaillance ?
— Si.
— Tu peux nous en donner la raison ?
A toutes fins utiles, Béru file un coup de ribouis dans le tibia de son client afin de renforcer son self-contrôle.
— J’avais perdu mon dentier, avoue Alonzo en ouvrant un clapoire aussi désolé qu’une maîtresse de maison que son maître d’hôtel vient de quitter en plein repas après avoir renversé le homard à l’américaine sur la braguette d’un invité.
Cassepatte sourit.
— Et tu avais peur de ne plus pouvoir dévorer les kilomètres ! plaisante le plaisant téléreporter.
Les subtilités de notre langue échappant au petit Condor il s’abstient d’accueillir cette saillie avec les rires qu’elle mérite.
— Allez, au massage ! tranche Jeannot. Après un effort pareil, il doit avoir les muscles qui font des « 8 », mon léadère !
— Si vous permettrez, murmure Béru, j’aimerais aller faire la bibise à ma bonne femme qui fait partie de la caravane publicitaire.
— C’est pas l’heure des tendresses, tranche Méhunraillon. T’as une tripotée de gus à masser, camarade, si tu les entreprends pas du temps qu’ils sont chauds, demain, au cours de l’étape contre la breloque, ils pédaleront dans la colle forte !
Boudeur, Béru balbutie « Banco ».
— Dites donc, Jeannot, chuchoté-je dans le mollusque du dirlo sportif, j’aimerais bien avoir un bout de converse avec vous pendant que mon petit ami embroque vos esclaves.
— Pas le temps maintenant, faut que j’aille à l’hôtel pour surveiller leur installation.
Je lui bloque le triceps d’une poigne solide.
— Ils s’installeront tout seuls. J’ai besoin de vous quelques minutes seulement !
Mon ton tond ses objections.
— Dites, Jeannot, auriez-vous des ennemis, à votre connaissance ?
Ça le surprend, l’offusque, le peine et l’ulcère.
— Moi ! clame-t-il en absorbant une forte quantité d’oxygène, nettement au-dessus de ses moyens thoraciques. Vous êtes dingue !
Nous sommes au bord du lac dont les grands flots bleus barbotent, clapotent, papotent, tangotent, gigotent, et où, la nuit, viennent se mirer les étoiles. Ses embarcations déguisées en bateau se laissent bercer par la houle. Le soleil passe la ville au Miror. C’est plein de touristes habillés en estivants. Dans Gloire à Dieu ! Vive Boussac ! Amenez-moi des gonzesses et faites monter du vin frais !
— Des ennemis ! sarcastique-t-il. Des ennemis ! Et pourquoi pas des amis pendant que vous y êtes ! Non, mon garçon, dans mon job on n’a personne, ni amis ni ennemis. Des coureurs à faire courir, et ce ne sont pas toujours les mêmes ! La garce de route à dompter ! Pas d’ennemis : seulement des saligauds qui vous jalousent ; et pas d’amis ; si ce n’est les petits copains qui vous détestent.
Je lui souris. Il me plaît dans le fond, Jeannot. Grognon, pas relingé, mal soigné, teigneux. Mais conscient du monde où il vit. Un frère en scepticisme.
— Il s’agit de s’entendre sur le mot « ennemi », dis-je. De s’accorder sur son sens réel. Ma définition à moi est simpliste mais vigoureuse, Jeannot. Un ennemi est un monsieur qui veut votre peau et qui met tout en œuvre pour l’obtenir. D’accord ?
— Qui donc pourrais-je intéresser suffisamment pour l’amener à me bousiller, soupire-t-il.
Je fouille ma vague.
— Par exemple le type qui a tiré tout à l’heure cette balle dans votre pneu, mon bon ami !
Il fronce ses épais et broussailleux sourcils. Puis il pêche la balle dans ma paume entre le pouce et l’index, et l’examine avec curiosité, comme s’il s’agissait de quelque pépite.
— Une balle dans mon pneu ! murmure-t-il.
— Parfaitement !
— C’est une balle de revolver ?
— Non, de fusil. Un gars devait être à l’affût dans les sapins. Lorsque votre chignole a amorcé le virage, il a fait éclater le pneu. Le bruit de la détonation s’est confondu avec celui de l’éclatement. Et puis, au milieu du vacarme il aurait aussi bien pu tirer un coup de canon.
D’un coup de patte Jeannot se rabat, le béret sur les yeux. Je le sens plus meurtri qu’inquiet. Il trouve ça malpropre, surtout !
— Et c’est le camarade Riton qui y est resté, dit-il.
Il rejette la tête en arrière et me fixe par-dessous béret et sourcils.
— Ça me dirait de savoir ce qu’on me veut, fait-il sourdement.
— Pas dur, lâché-je, on veut votre peau. Ce qu’il serait intéressant de savoir c’est pourquoi. Vous n’en avez pas la moindre idée ?
— Pas la moindre !
— Vous ne trouvez pas bizarroïde qu’on bute votre masseur, et puis qu’on essaie de vous liquider aussi ? Pour des gens sans ennemis, vous vous posez un peu là dans l’équipe du Fafatrin’s paper !
— C’est un mystère ! grogne Méhunraillon.
— Vous connaissez La Meringue ?
— Le gros guignol des biscuits ?
— La police dijonnaise l’a arrêté parce qu’elle a découvert l’arme, ayant servi à tuer Brocation, dans la poche de son imperméable.
— Pas possible ! Ce gros poivrot n’a pas buté Hans ! C’était son meilleur copain !
— Moi je ne vous dis pas qu’il l’a buté, mais seulement qu’on l’a arrêté. Et je vais vous apprendre deux choses encore…
— Lesquelles ? demande Jeannot en regardant sa montre en nickel jauni.
Vlà que ça le rechope la tourdefrançomanie. Je viens de lui révéler qu’on a voulu l’assassiner, mais déjà il s’inquiète de ses coursiers sur pneumatiques. Le jour où il canera, on mettra un guidon de vélo sur sa tombe en guise de croix.
— On a également essayé de buter La Meringue cette nuit !
— Et la deuxième nouvelle ?
— La Meringue a essayé de se suicider dans sa cellule ce matin !
— Il est mort ?
— Non.
— Alors c’est qu’il a la vie dure, conclut Jean Méhunraillon. Excusez-moi, faut que j’aille voir mon cheptel.
— Je vous accompagne.
L’équipe du papier hygiénique Fafatrin loge à l’Hôtel de la Source et de la Bouteille d’Evian réunies, un fort bel établissement, situé entre la rue et l’immeuble de derrière.
Les Fafatrin’s ont droit à un étage. Lorsque nous débarquons, des cris terribles s’échappent d’une chambre. Jeannot et moi nous nous précipitons. Et nous découvrons Bicco Aisuzi, le champion d’Italie, (autre fleuron de l’équipe Fafatrin) entre les musculeuses pognes du Gros. Le coureur transalpin (de seigle) appelle sa mamma ; se trémousse, se tortille, frétille, anguille pour tenter d’échapper à Béru. Mais Bérurier est un étau, Bérurier est une table de gynécologue ! Bérurier est une pieuvre géante. On ne fuit pas l’étreinte béruréenne. On ne se dégage pas de la prise béruréenne.
— Au plus tu gigoteras, mon Vieux Ravioli, au plus que tu sentiras ta douleur ! sermonne le Terrifie.
— Que se passe-t-il ? demande Jeannot.
— C’est vot’ rival qui veut pas se laisser soigner le furoncle ! dit cette rapporteuse de Béruchette. Monsieur préfère se cloquer un bifteck dans le kangourou plutôt que j’y cotérisasse les bubons ! Causez-y, boss !