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Il ne s’émeut jamais beaucoup, Pinuchet, en matière de turbin. C’est pas le gars à pousser des « Ah ! Oh ! Hi ! Hy, He ! » ou des « Par exemple ! ». Non, il est flic, simplement. Son turbin est d’enquêter. Pour qu’il y ait enquête il faut qu’il y ait délits, non ? Comme on fait son délit on se couche !

— Je m’en occupe, promet-il. Tu retéléphones ?

— Demain soir sans faute !

— Qui est-ce qu’à gagné l’étape d’aujourd’hui, j’ai pas écouté la radio ?

— Alonzo Giro, le petit Condor de notre équipe !

— Présente-lui mes compliments.

— Il en sera touché, assuré-je. Tchao, Vieillard, et soigne ton rhume !

Bérurier surgit dans la chambre que nous partageons. Il a troqué son accoutrement de Tourdefranceur contre une tenue plus raisonnable.

— Voilà qui est terminé, dit-il. Bicco dort comme la Loire à la suite du litre de vin chaud sucré que j’y fais absorber et j’ai fini de masser mes pieds-nickelés. Je vais pouvoir m’occuper un brin de ma Berthy. Tu viens avec moi en ville ?

— Pourquoi pas.

— T’as l’air en plein sirop, mec ? observe le sagace.

— Y a de quoi.

Je lui apprends la vérité à propos de « l’accident » survenu à Jean Méhunraillon.

— En effet, ça tourne à la grosse hécatombe, convient-il. Il faudrait en conclure, donc, que des vilains-pas-frais en ont après l’équipe Fafatrin ?

— Pas seulement à l’équipe Fafatrin, car La Meringue n’en faisait pas partie…

Il branle la hure dubitativement (ce qui est un exercice susceptible de provoquer de dangereux torticolis).

— Fouette dents de scie ! comme disent les Anglais, murmure le Gros.

Et obligeamment il me donne la traduction de sa citation :

— Attendre et regarder, San-A. S’il y a eu du vilain y en aura z’encore !

CHAPITRE VIII

Au moment où nous nous apprêtons à sortir de l’hôtel, Alonzo Giro se précipite sur nous.

— Mon dentier ! clame-t-il. Où est mon dentier ? On va passer à table et je ne peux pas manger !

Comme il a dit cela en espagnol, je traduis au fameux masseur ; mais Béru a déjà pigé.

— Son concasseur est resté dans la bagnole, dit-il.

— Et où l’as-tu remisée, ta chignole ?

— Dans un garage, à l’autre bout de la ville, pour qu’on y fasse une vidange.

Il pose sa main secourable sur la chétive épaule de son maillot jaune.

— Je te le rapporterai ce soir, promet-il. En attendant, t’auras qu’à te faire faire un hachis Parmentier pour le dîner et forcer un peu sur les compotes !

L’Espagnol n’est pas très satisfait de cette solution ! Un maillot jaune se doit de bouffer de la solide barbaque s’il entend conserver son trophée bouton d’or. C’est pas avec des purées qu’on gagne le Tour de France.

Seulement, Béru est pressé de retrouver bobonne. C’est l’heure où ça nostalgise en lui et où sa chair élève la voix.

— Ecoute, Alonzo, lui dit-il, les yeux dans les orbites, c’est pas en une noyé que tu vas te dévitaminer. Si demain t’as encore le coup de pompe, compte sur moi pour t’assurer la victoire, je crois t’avoir donné une démonstration, non ?

Vaincu, l’Ibérique regagne la salle à manger, laquelle n’est provisoirement pour lui qu’une salle à gober.

— Ce qu’ils sont dépotiques, ces coureurs, soupire Béru. Si on les écouterait, y aurait pas moyen de prendre dix minutes pour vivre sa vie !

* * *

Le camion de démonstration du berlingot Poursantif est installé place Maréchal-de-Mac-Mahon (1). On le détecte facilement, car il se trouve cerné par la population chauve de la ville. Tous les rasibus de la dragée semblent s’être filé rembour ici. Il y a là un échantillonnage parfait de toutes les calvitie sournoise, style tapis-dont-on-voit-la-trame. entièrement capitonné peau de fesse, jusqu’à la calvitie sournoise, style tapi-dont-on-voit-la-trame. On peut admirer des crânes plats, des crânes roses, des jaunes, des blancs ; des couronnes frisottées ; des crins collés en travers de l’esplanade pour faire plus habillé ; des crânes à bosses, d’autres à loupes, à verrues, à taches de vin, à taches de rousseur, à rides, arides, à creux, à cratères, à cicatrices, à trépanation, à fermeture éclair, à points de sutures, à l’idée large, de piaf, à bourrelets ; des crânes en forme d’olive, de suppositoire, de poire, de prune, de pomme, de tabouret, de casque américain, de casque russe, de casque à pointe, de tirelire, de cloche, d’abat-jour, d’entonnoir, de carafe renversée, de ballon rouge, d’hémisphère boréal, de phare d’ambulance, de carapace de tortue ; des crânes qui appellent la moumoute, d’autres qui appellent le chapeau, les lunettes, le casque téléphonique, le foulard, le talc, la crème Nivéa, le croisillon de sparadrap, au secours, la couronne, l’instrument contondant, la peinture à l’eau, le coquetier ; des crânes qui évoquent le pithécanthrope de Java, l’homme de Néandertal ou celui de Cro-Magnon. Voilà ce que nous embrassons d’un coup d’œil, nous qui avons l’étreinte à fleur de rétine.

Montée sur son camion, dont une paroi en se rabattant sert d’estrade, Berthe harangue les écorchés de la capsule.

Alfred et elle ont mis au point un laïus Chouïarque qui célèbre le culte de l’homme déchevelé. Là-dedans ça raconte à quel point il est distingué, le désolé du mont Palomar, à quel point il est élégant, racé, intelligent et casanovesque. L’univers lui appartient, avec ses formules mathématiques, ses beaux complets de chez Ted Lapidus, ses nanas carrossées Balmain et ses chignoles silhouette lévrier. A entendre Berthy, il est touché par la grâce, le décapoté du jardin suspendu. C’est le favorisé de l’époque, le petit gâté des fées ! Les dadames renseignées ne s’y trompent pas. Elles le savent que l’homme épluché est un roi du radada-plongeur ! C’est le prince des puciers ! Le maître des matelas Simmons ! Dans son crâne en os y a plein de secrets d’alcôve bien pernicieux, bien efficaces, des secrets qui font crier maman aux orphelines et aux sourdes-muettes.

Il est reconnu d’utilité biblique, l’ovoïde à part entière. Il est bourré de science sous sa coquille. Il sait tout, plus le reste ! Et pour l’esprit il ne craint personne. Tous les grands hommes étaient ou auraient dû être chauves, qu’elle affirme, Berthy. Le cheveu, c’est la plaie de l’humanité, sa honteuse et dégradante moisissure !

La seule chose qu’il n’a pas, le chauve, c’est le courage de sa calvitie. Il s’aimerait tignasseux comme un O’Cédar, Beatles luxuriant, Père Noël, queue de bourrin, algue marine, barbe de maïs, frange de rideau. Il réalise pas ce don fabuleux que le ciel lui a fait en lui plastifiant le couvercle. C’est un ingrat. Mais à quoi bon le fustiger, hein ? Faut lui venir en aide, lui donner l’orgueil de sa lentille concave à ce con-vexé. C’est pourquoi, un génial pommadin (ici salut à la romaine d’Alfred), après quatorze mille heures de recherches et dix secondes de trouvaille, a mis au point le produit sauveur qui donne désormais au chauve un complexe de supériorité. Le berlingot Poursantif, c’est la magie en capsule, la gloire d’une époque, la justification d’une génération de bipèdes ! Il transforme la vie ! Il dope, il bio-dope l’homme déplumé ; le sanctifie, l’ennoblit, le pare, l’agrémente, le complète, le suprême, le transcendante. Avant l’invention de Poursantif, le chauve n’était qu’un moignon. Désormais, il est un Van Gogh. Plus loin que la nature, il va jusqu’à l’art à l’état pur, jusqu’au génie. Il fait le pied de nez à Dieu, Poursantif !