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— Ce qu’elle cause bien, s’extasie Béru, acagnardé contre un robuste platane, elle eusse dû z’être avocate avec un bagou pareil !

— Approchez, messieurs ! invite Berthe. A titre gracieux, la maison Poursantif vous offre un berlingot expérimental. Et s’il se trouve parmi vous un homme de bonne volonté, M. Alfred, ici présent, le génial inventeur, se fera un plaisir de lui appliquer soi-même son éminent produit.

Un moment d’indécision pétrifie la plage de galets qui s’étale aux pieds de Berthe.

— Allons, insiste la Gravosse. Quel est celui d’entre vous tous qui veut se voir transformer en Napollon comme si on le toucherait avec une baguette magique ?

Lors, un vieux kroumir bavocheur, avec le bocal en forme d’aquarium, tapissé à la base de poils jaunâtres, s’avance. C’est un Anglais monoculé. Il a le teint roux, l’œil dilué, l’appareil photographique plaqué au baquet et la veste en tweed pied-de-poule.

— Moa ! acharde-t-il.

— Bravo ! complimente B.B. Êtes-vous marié, monsieur ?

— Yes !

— Alors je peux vous dire d’orge et d’orgeat qu’il faudra prévenir par téléphone madame de la transformation, autrement sinon elle éprouverait une commotion en vous voyant arriver tout à l’heure.

Elle se baisse, tend la main au Rosbif pour l’aider à escalader l’estrade. Mais elle tire si violemment que le curiste fait un vol plané qui le déchausse et le démonocule. On remet de l’ordre dans sa mise, on lui revitrifie le vasistas et on le fait asseoir dans un fauteuil tubulaire à dossier orientable.

Sanglé dans une blouse immaculée boutonnée par l’épaule, Alfred s’approche pour officier. Il porte des gants de caoutchouc bleu. Il tient ses mains écartées de son corps, soucieux de préserver leur stérilisation.

— Peignoir ! ordonne-t-il.

Berthy, docile assistante, s’empresse de nouer une sortie de bain-éponge au cou de l’Angliche.

— Berlingot ! continue Alfred.

Le Gravos me pousse son coude dans le plexus.

— Je te jure qu’y se prend pour le professeur Aboule Quiès en train d’éplucher une prostate présidentielle ! ricane-t-il.

« Son produit lui monte tellement au donjon qu’il va en devenir chauve, lui aussi ! »

Sur l’estrade, Berthe découpe le coin verseur d’un super-berlingot et le présente au grand patron. Alfred s’en saisit et verse le contenu de la poche cristallisée sur le dôme du Britiche. Le liquide est quasi visqueux. Il suit néanmoins la ligne de partage des eaux et dégouline sur le front et sur la nuque du patient. Alfred commence alors de l’étaler sur toute la surface du crâne, en massant bien pour faire pénétrer. L’Anglais glousse, on dirait qu’il a la tête en glaise car ça l’oint d’un crépi ocre foncé.

— Micro ! lance Alfred.

La Berthe lui brandit l’objet demandé devant la bouche et, d’une voix ample, caverneuse, métallique et un rien satanique, Alfred commente :

— Première phase du traitement : j’enduis la tête du client avec le contenu du berlingot. Il s’agit que le moindre millimètre carré de peau soit recouvert d’une mince pellicule de produit.

« Voilà qui est fait. Le patient éprouve alors une certaine sensation de fraîcheur, n’est-ce pas, monsieur ? »

— Non, ça me brûle au contraire, affirme le curiste.

— Cela dépend des natures, se retranche Alfred. Deuxième phase de l’opération, je shampouine avec le contenu B du berlingot, madame, plize !

Berthe se hâte d’ouvrir le second angle verseur du coussinet de plastique. On frictionne le pauvre crâne d’Outre-Manche avec un produit plus fluide que le précédent et d’un beau bleu lessive.

Alfred microte, sentencieux :

— Le phénomène suivant est en train de s’opérer : alors que le premier produit donne à la peau du crâne un ton ambré qui rappelle le bronze méditerranéen, le second produit exerçant une action cu-soutannée dans les pigments concentriques donne aux pores de la peau une couleur bleue absolument indélébile, si bien que l’intéressé semble jouir d’une chevelure abondante qu’il aurait fait tondre.

« Le chauve de naguère ressemble à un bel athlète doré et rasé. Cuvette, plize ! »

Berthe place un rinçoire sous le menton du monoculé et présente à l’inventeur du Poursantif une cuvette d’eau.

— Ultime phase du traitement ! le rinçage, annonce Alfred.

Il verse l’eau abondamment, puis, faisant claquer ses doigts encaoutchouctés, réclame une serviette. Le voici qui fourbit énergiquement la coquille britannique, proposée à sa science capillaire. Il frotte, il s’évertue, il le tâte avec lenteur.

— Comme vous pouvez le constater, trémole Alfred, rien n’est plus simple, plus rapide. Et quelle transformation ! Attention ! J’ôte la serviette, et le miracle s’est accompli !

Il dévoile l’Anglais. Un « Oh » stupéfait parcourt le champ de melons. Le monoculé ressemble à un homme bleu du désert ! Il a la tranche bleu foncé, avec des rigoles de même couleur sur le visage et, au sommet de son crâne une sorte de blouse d’or, omelette amarante, s’étale en festonnant.

La foule se met à férociter. Elle hurle, s’indigne, menace ! Elle lapide ! Elle assaille ! Elle abordage ! Elle envahit ! Elle bouscule ! Elle déberlingote ! Elle dévaste ! Elle détruit ! Les chauves réunis sont devenus dingues. Leurs têtes de lézards préhistoriques brandissent de la fureur, vomissent la foudre ! L’Anglais bleu et jaune (bravo Pernod Fils) cherche une glace pour se délecter de son désastre. Il se mire dans les crânes luisants accumulés à ses pieds.

Il pleurerait s’il n’était anglais, donc britannique ! Mais quand on perd l’Égypte et les Indes sans sourciller, on ne peut pas s’affaisser parce qu’on a le crâne peint en bleu !

Alfred est au bord de la déroute, de la banqueroute, du suicide. C’est Law démasqué, Stavisky confondu ! Il glapit encore au micro, mais des mots sans grande suite. Il plaide non coupable, mordicus ! La fatalité ! Une enquête sera ouverte ! Il attaquera ses fournisseurs à boulets rouges ! Il les confondra (avec d’autres), les jettera sur la paille, leur en fera bouffer ! Il est la victime d’un coup fourré, d’une machination. C’est le syndicat des chevelus qui lui a fait ça, il est sûr ! Ou bien un labo de recherche pour la repousse ! Son produit a été contrôlé, lu et accepté, répertorié, immatriculé. Mais c’est pour son matricule à lui que ça barde ! Un chauve hors de lui ça ne se contrôle plus. Ça vire à l’orage ! Alors mille chauves, vous pensez d’un ouragan ! Les gros typhons mississippiens, foutaises ! Pets de lapereau ! Zéphirs ! Ils s’unissent, se conjuguent pour basculer le camion porteur d’espérances bernées. Un crâne sans cheveux, fût-il anglais, ça se respecte, misère de Dieu !

On le lui enseigne à Alfred. Son véhicule est retourné, avec Berthy à l’intérieur ! Elle coule dans le berlingot, comme en sables mouvants émouvants. Elle hurle au secours ! Alors Béru béruche ! Le cerf aux abois, tous bois dehors ! Le mâle fait un malheur ! Il fonce, il cogne ! La rage aux poings, la hargne au cœur, la grogne aux pieds !

— Sagouins ! Tondus ! il crie pour se donner du mordant.

Et il avance dans la masse des chauves comme un cheval napoléonien à travers les glaçons de la Berezina. Heurtant ! Choquant ! Tuméfiant ! De-ci de-là, à droite, à gauche, tout droit ! L’épaule rouleuse, le pied ânesque. Il va jusqu’au camion dévasté. C’est Jean Valjean secourant le charretier ! Il la remet droit tout seul, Berthe et chargement compris. C’est le cric du peuple, Béru ! Le mari de mon treuil à la Mairie de Montreuil.