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« Oh ! hisse ! » dit-il sobrement, pour soi seul, onaniste de l’effort suprême.

Les quatre pneus retrouvent la terre promise. Ils eviantent à nouveau. Béru reberlingue. Il refoule la foule. Il la disperse, l’évacué ! La hue !

— Rien de cassé, ma grosse poule ? demande-t-il à sa femme.

— Non, quelques esquimaudes seulement, fait la courageuse épouse.

Alfred sanglote sur sa faillite. L’Anglais bleuté attend la fin de son chagrin, patient comme une quittance de gaz.

Béru s’occupe de lui.

— Qu’est-ce t’espères, bonhomme ? lui demande-t-il, qu’on te passe la deuxième couche ?

— Je voudrais connaître pour les dommages et intérêts, fait le curiste. Je dois câbler à mon avocat.

Le Gros se fait maquignon, soudain. Il récupère son sens de l’amitié.

— Tu vas pas chercher du suif à mon pote ! s’indigne-t-il. En v’là des façons ! On n’est pas été te réclamer dans ta Grande Albion, Mec ! Alors Môssieur vient boire notre flotte et en plus il nous causerait des ennuis ! C’est comme ça, sincèrement que t’espères faire débloquer des crédits pour le perçage du tunnel sous la Manche, pépère ?

— Je souis tout bleu ! proteste l’autre, débordé.

— Premièrement c’est faux : t’es bleu et jaune, s’enflamme l’Hénorme. Et deuxièmement, je te trouve bien plus marrant comme ça. Si tous tes compatriotes on les peindrait, ils feraient plus gais que nature ! T’as donc pas maté ta devanture avant la séance ? Un vrai mur de gogues à toi tout seul ! Tandis que maintenant te v’là pimpant comme une pissotière repeinte. Ta Gracieuse Majesté va te cloquer l’ordre de la jarretelle quand tu auras repris le ferriboîte, je te promets. Au lieu de jouer les pères La Chicane, rentre à ton hôtel pour épater la masure qui doit te servir de brancard. En montant sur l’estrade tout à l’heure, qu’est-ce t’espérais ? Avoir du succès ? Alors soye heureux bébi, t’en auras !

Il lui plaque un gros baiser sur le front et renvoie le bonhomme à son destin.

Ensuite il s’approche de son camarade Alfred.

— Te monte pas le système nerveux en mayonnaise, Fredo, murmure-t-il, seulement à dater de dorénavant, évite la démonstration en public du Poursantif, c’est trop aléatoire.

Il hausse les épaules.

— J’étais venu chercher Berthy pour une java monstre sur les bords du Léman, mais j’ai plus le cœur à te la soustraire ce soir. Alors on va tous aller tortorer de première pour arroser la victoire de mon champion, et puis vous finirez la notte ensemble, les deux…

Il soupire, renifle, et enfle sa voix pour ajouter :

— Mais en camarades, hein !!!

* * *

Après la bouffe Mme Bérurier se déclare fatiguée par le voyage et demande un out. Alfred fait droit à sa requête, et les messagers du berlingot prennent congé de nous en nous laissant l’addition.

C’est l’heure moite où Béru regarde la vie à travers des lunettes aux verres de velours. Il s’apaise comme un champ de blé quand le vent tombe et que la touffeur du soir laisse somnoler les épis sous leur poids de froment neuf[7].

Il éructe à plusieurs reprises, le regard sirupeux perdu dans les auréoles de la nappe.

— Eh ben ! on va y aller aussi, soupire-t-il. Les périphéries de cette étape m’ont vidé.

Nous quittons l’usine à bouffe et accomplissons un détour pour aller récupérer le dentier d’Alonzo au garage. La ville-étape est en pleine fiesta. Sur un podium, Zézette Bordemer, la virtuose de l’accordéon, joue « Prends ma figue mais fais gaffe aux pépins », sur un arrangement de Milliat Frères. Un peu plus mieux loin, sur une autre estrade, c’est Tono Rissi qui murmure sa toute dernière chanson (créée en 1935) : « Y a une voie d’eau à ma gondole ».

Et je passe sous silence (afin de ne pas réveiller les voisins) les nombreux publicitaires en délire qui, dans les carrefours et sur les plages, virgulent aux passants des harangues terribles pour glorifier la mayonnaise en tube Machine ; la poudre à éterauer Chose ou le filtre à yé-yé Truquemuche (s’adapte sur tous les transistors et diffuse le grand Largo de Haendel à la place de « Ça pue les collins »).

Le garage est sis au fond d’une obscure venelle chaotique.

Il est fermé par une large porte de fer à bascule à l’intérieur de laquelle on a percé une porte plus petite. Une sonnette lumineuse met dans l’ombre une tâche ver-luisante.

Béru engloutit la minuscule lumière sous la spatule de son index. On perçoit le timbre réverbéré par l’immensité du garage. On mijote un bout de moment, et puis, comme rien ne se passe, il sonne à nouveau.

— Les veilleurs de nuit sont en fait des dormeurs de nuit, observé-je avec ce sens de l’humour dont je vous fais profiter si largement.

— Bouge pas, riposte Sa Majesté, je vas y frictionner les étiquettes.

Et le voilà qui interprète un solo de batterie sur la chétive sonnette lumineuse.

Toujours pas de réponse.

— C’est bien la province, rouscaille l’Enflure-masseuse. Dès poltron-minette, les gus en écrasent. Bon, eh bien le maillot jaune n’aura droit à son râtelier qu’au moment du départ…

— Et son entrecôte matinale, Gros, il la sucera ?

— Que veux-tu que j’y fasse ? désinvolte Bérurier.

— Bouge pas, j’ai mon sésame. Il remplace avantageusement les veilleurs de nuit endormis.

Je sors de ma profonde mon ouvre-boîtes universel et il ne me faut pas deux minutes pour mettre la serrure au courant de mes intentions. Nous passons la petite porte de fer et je me mets à tâtonner à la recherche de l’interrupteur. Le vaste local est éclairé par des tubes fluorescents récents.

Le Gravos siffle en matant les bagnoles serrées comme sardines en boîtes. Toutes appartiennent à la caravane du Tour et la plupart sont hérissées de vélos, roues en l’air.

— Ça va être coton pour retrouver mon baquet dans ce parkinge, lamente-t-il. Quand j’ai arrivé le garage était quasiment vide…

— On pourrait interviewer la Belle au Bois dormant qui exerce les fonctions de gardien de nuit ici, fais-je en montrant un petit appentis, sur la gauche. Un écriteau émaillé recommande justement de « S’adresser au Gardien ».

Je m’approche du box et toque à la porte.

En vain.

— Pour moi, décide le Mastar, au lieu de jouer les sentinelles le gars est allé écouter la musique en ville.

Je pousse la porte qui n’est fermée qu’au loqueteau.

— Je ne crois pas, fais-je.

Et je montre à mon cher équipier abasourdi, un bon vieillard ligoté sur un lit-cage.

CHAPITRE IX

On a beau en avoir vu d’autres, ça fait toujours quelque chose. Je m’approche promptement du bonhomme. C’est un petit chétif d’une septentaine d’années, avec les cheveux blancs et des lunettes aux verres épais comme des culs de bouteilles.

On l’a bâillonné avec un bas de femme, et on lui a lié les pieds et les mains aux montants de son plumard métallique. Je m’hâte de le libérer et il pare au plus pressé en chialant comme un veau.

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7

Ce que c’est beau ! Je vous en referai une ou deux avant de partir !