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— Par début, dis-je, je veux parler des activités de M. James Ledvise.

Je pourrais très bien faire un bide avec ça, mais aux prompts regards qu’ils échangent, je devine que mon petit lutin souffleur remplit magnifiquement son turbin. Et ça me permet de réaliser combien notre subconscient est travailleur. Il s’est fait une idée à lui de l’affaire, le petit misérable. Et vous croyez qu’il m’en aurait causé ? Va-te-faire-considérer-chez-les Grecs, oui ! Un cachottier, voilà ce qu’il est !

Valérie fait claquer ses doigts. Le Charcutier la regarde d’un air interrogateur. Elle lui fait signe de la rejoindre au fond du fourgon et lui chuchote quelques mots que je ne perçois pas. Il acquiesce et revient à moi.

— Parle-moi un peu de ses activités, à M’sieur Ledvise, dit-il.

Coincé, il est, le malin San-A. Si je joue les gars qui savent mais qui ne veulent rien dire, le boucher de Charenton va ressortir ses accessoires de tortionnaire. Le mieux, comme toujours, c’est de jouer franco.

— A vrai dire, soupiré-je, j’ignore leur nature véritable.

Et je lui bonnis l’histoire de mon entrée en piste à dater du cruel décès d’Hans Brocation. A quoi bon biaiser ? Il me file le train attentivement, cependant que la coquine Valérie continue de me brandir le micro sous le pif. Je lui dis tout jusqu’à la présente soirée. Il m’avoue alors que c’est lui qui accompagnait Jojo la Défouraille au garage. J’aime pas beaucoup les malfrats qui font des confidences aux poulardins en leur pouvoir. Ça indique que lesdits poulagas après être tombés entre leurs griffes ne sont pas loin de tomber au champ d’honneur. Et pourtant, le démon de la curiosité professionnelle me poussant, je m’efforce d’éclairer ma lanterne, ou plutôt de me la faire éclairer.

— Bravo pour la manière dont vous m’avez épinglé au casino !

— Valérie est irrésistible !

— Vous me surveilliez donc ? dialogué-je.

— Depuis Dijon car la manière dont vous êtes intervenu spontanément nous a surpris…

— Parce que vous étiez sur les lieux, à Dijon ?

— On avait de bonnes raisons pour ça, gouaille le boucher de Charenton.

— C’est vous qui avez repassé le masseur ?

— Oui, monsieur le commissaire.

Il a l’air de bien s’amuser, Freddy Vergeot. Les tueurs adorent faire état de leur tableau de chasse.

C’est toujours comme ça qu’on les possède : à la vanité !

— Vous au moins, vous ne faites pas le détail ! apprécié-je en saupoudrant d’admiration.

— Je vous donnerai bientôt une preuve supplémentaire, féroce-t-il avec son rire en forme de pet de travers.

Je passe outre, comme disait un caravanier du désert à qui on réclamait à boire.

— Et l’attentat contre Méhunraillon aussi c’est vous ?

— Méhunraillon ? fait-il surpris.

Valérie murmure, agacée :

— Mais oui, la bagnole du directeur sportif…

— Oh ! réalise le Louchébem de Charentoche, évidemment que c’est nous !

— Et La Meringue ? Il fait partie de la bande aussi ?

— Freddy ! interrompt Valérie avec irritation, le jour où tu auras envie de publier tes mémoires, tu les vendras à Ici-Paris, ça te fera au moins de l’argent. J’aimerais bien rentrer à Evian, demain nous avons du pain sur la planche !

— D’accord, ma jolie ! répond l’interpellé.

Il tire de sa ceinture un pétard long commak, chapeauté du classique silencieux.

— On sort, fait-il, allons, debout commissaire. Si vous n’avez pas encore la Légion d’honneur, je peux vous assurer qu’on va vous la décerner dans pas longtemps à titre posthume.

Je me lève, sans hâte, sans joie, et avec difficulté à cause de mes mains menottées.

— On va faire une balade au clair de lune ? je rigole.

— En amoureux, répond-il.

— Dépêche-toi, lance Valérie, maussade, je commence à avoir sommeil.

— Je reviens, petite fille, il gazouille, le boucher de Charenton, en me poussant hors du fourgon avec le cylindre du silencieux.

C’est pourtant vrai qu’il fait une belle nuit d’été, les amis. La lune est là, avec sa cour d’étoiles toutes mieux fourbies les unes que les autres. Le ciel c’est du velours et, au milieu des sapins, l’air a un petit goût de sirop des Vosges.

La clairière au milieu de laquelle stationne le fourgon de Miss Valérie n’est pas très grande. Elle s’élargira because on a entamé une vaste coupe de bois. C’est plein de bûchers qui, dans la clarté blafarde, ressemblent à des huttes.

Nos ancêtres les Gaulois devaient drôlement bien se porter au milieu de toute cette chlorophylle ! De leur temps le flingue à silencieux n’existait pas. On se payait l’adversaire à la lance ou à l’épée.

— Vous me la placez dans le chignon ? interrogé-je en désignant son pétard d’un hochement de tête par-dessus mon épaule.

— Parce que vous m’êtes sympa, révèle Freddy Vergeot. Sinon, ma spécialité c’est un coin de tripaille. Le client se tortille pendant deux heures avant de lâcher la rampe !

— Merci pour la faveur, soupiré-je.

— Vous n’avez pas les jetons ? s’étonne mon tourmenteur.

Je m’abstiens de lui dire que je ne me bile pas outre mesure vu que je suis le narrateur car il ne faut jamais narguer personne, ça manque de générosité chrétienne !

— Un peu, soyons logique, le rassuré-je. Mais je me dis que puisque nous devons tous y passer…

Je m’arrête.

— On fait ça ici ?

— J’aimerais mieux plus loin, c’est trop près de la clairière et l’on vous découvrirait demain matin.

Vous le voyez mes amis, nous nous trouvons entre gentlemen intelligents. Il fait bon causer « à plat ».

— Je vous comprends parfaitement, assuré-je.

Et tout en foulant le sol, hérissé de résidus de fausses souches, je me tiens le langage suivant : « Mon petit San-A., d’accord t’es le narrateur. T’as de la malice, du talent, beaucoup d’imagination et juste ce qu’il faut de génie pour te donner l’air d’en posséder beaucoup : seulement faudrait tout de même trouver le moyen de sortir tes pinceaux de cette tartine de miel, gars ! A force de jouer avec le feu (comme dirait Barbusse) tu vas finir par te laisser brûler les plumes. Un moment d’inattention de ton ami Frédéric et c’est râpé pour ta pomme, beau commissaire au teint bruni ! Que faire ? On n’affronte pas un homme armé, menottes aux poignets ! On ne se sauve pas non plus avec les bras ramenés à l’avant du corps. Surtout que c’est pas n’importe qui, Freddy Vergeot. Pour le prendre en défaut il convient de s’entraîner pendant quelques mois avec du matériel approprié, j’ai pas le temps.

Nous achevons de traverser la clairière et allons pénétrer dans l’épaisseur du bois. C’est alors que j’avise quelque chose de magnifique, grâce à la participation efficace du clair de lune. Un objet banal lorsqu’on déambule dans une rue de Paris, de Bordeaux, de Lyon, de Marseille, de Lille, de Rouen, d’Orléans, de Strasbourg, de Toulouse, de Lautrec, de Nice, de Chambéry, de Poitiers, de Caen, d’Angoulême, de Nancy, de Romorantin, de Beauvais, de Toulon, d’Angers, de Montpellier, de Pau, ou même d’ailleurs, d’ailleurs, et qu’on l’avise à la vitrine d’un quincaillier, mais qui revêt une signification toute particulière quand on se promène en forêt, menottes aux mains, avec le canon d’un 9 mm entre les omoplates. Oui, les objets inanimés possèdent une âme qui captive notre âme et la force d’aimer dans certains cas. Ainsi je puis vous dire que la cognée plantée à la verticale contre un arbre, et sur laquelle je louche à m’en faire gicler les lotos, possède bien une âme et mieux encore : une lame. L’objet se trouve à quelque trois mètres zéro cinq de moi, sur ma droite. Encore deux pas et j’aurai dépassé l’arbre dans lequel elle est enfoncée.