Выбрать главу

Cela s’appelle the last chance, en anglais et le dernier coup de pot en français. Félicie m’a toujours répété qu’il ne faut pas jeter le manche après la cognée, mais moi je me jetterais volontiers sur le manche de la cognée si je n’étais absolument certain d’héberger, dans la seconde qui suivrait mon mouvement, une série de projectiles dans le bibus.

Je stoppe. Le canon du feu s’enfonce durement entre mes épaules athlétiques.

— Marchez ! enjoint Vergeot.

— Puisque vous m’avez à la chouette, camarade, lui dis-je d’une voix paisible, vous ne me refuserez pas l’ultime satisfaction de pisser avant de mourir.

Ça le surprend, mais ça l’amuse.

— Vous ne pouvez pas vous retenir quelques minutes encore ?

— Là n’est pas la question, seulement je me sentirais plus à mon aise pour prendre mon envol. En somme je voudrais vider ma vessie comme on fait son testament, Freddy. C’est du reste le dernier legs qu’un homme fait au monde : un peu de pipi dans sa culotte. Notre vie est mise entre parenthèses par deux pissats, ce qui en situe bien la grandeur !

Je le noie de bla-bla, en m’efforçant de ne pas regarder en direction de l’énorme hache. Elle m’appelle, la chérie. Je pressens le contact lisse et rond du manche, j’ai la notion de son poids dans mes avant-bras.

— Eh bien soulagez-vous, commissaire, consent le boucher de Charenton, je ne vais pas refuser à un monsieur de votre qualité cette petite satisfaction.

— Vous êtes bien bon, dis-je en commençant péniblement de déballer coquette.

Ici j’en demande pardon aux jeunes demoiselles qui me usent, mais que fait automatiquement le monsieur sur le point de changer l’eau du perroquet en pleine nature ? Hmm ? Il cherche un arbre. C’est en cela qu’il rejoint le geste auguste de son fidèle compagnon le clébart.

Tout naturellement je me dirige vers le fût porteur de cognée.

Je redemande pardon aux jouvencelles, mais faut bien que j’explique, non ? Je suis là pour ça. Si je moulais le clille en plein fada sans le finir, mon éditeur opérerait une retenue à la base sur mes droits. Je commence donc d’accomplir contre le tronc ce que j’ai prétendu avoir besoin de faire. Je me suis placé de telle façon que la cognée se trouve de l’autre côté du tronc, donc hors la vue du boucher.

Je sais qu’elle est enfoncée dans le sapin et qu’il faut une vache secousse pour l’en déloger. Si je ne la décolle pas du premier coup, j’ai droit à la bonne tisane pour le foie ! C’est couru, c’est recta ! Alors pas de blague. O temps, suspends ton vol ! Suspends-le où tu voudras, mais pas après le manche de cette cognée afin de ne pas gêner mes mouvements.

Je décris un léger arc de cercle en m’écartant de l’arbre.

— Autant se rebraguetter avec des gants de boxe, je rouscaille en faisant tinter les cabriolets.

Vergeot se marre.

— Je suis ankylosé, j’ajoute en commençant de lever les bras avec un geignement d’oisif réveillé.

— Qu’est-ce que ça sera tout à l’heure ! plaisante macabrement le boucher de Charenton.

Ça y est, j’ai les paluches à hauteur du manche. Je bande mes muscles dorsaux et mes muscles brassaux.

Mes doigts se nouent à ce morceau de bois porteur de toutes mes espérances et de ma santé. Si Vergeot a une seconde de doute je serai mort dans celle qui suivra. Heureusement il n’a pas vu la hache et ne se doute de rien. D’une secousse terrible j’arrache l’instrument, Dieu que c’est lourd ! Je lui fais décrire une légère rotation et je l’abats. Pas le temps de calculer ! Pas le temps de juger ! Pas le temps de regarder côté danger. Non, il y a ce poids énorme que je brandis de mes bras rapprochés et que j’assène de toutes mes forces. Rrraôum ! Floc ! Oui, ça donne à peu près ce bruit-là, sauf qu’il faut peut-être un « r » de plus à rrrraôum !

Je n’ai pas jeté le manche, mais j’ai cogné comme un cogne qui ne serait pas un manche. J’ai réussi au-delà de toute espérance. La hideur du spectacle me file la nausée. Jamais rien vu de pareil, les gars. Oh non, jamais ! Y a de quoi douter de ses sens (qu’ils soient uniques ou interdits). Le boucher de Charenton vient de faire philippine. Partagé en deux jusqu’au thorax, le v’là déguisé en i grec. Ça floconne, ça floflotte, ça bouillonne, ça dégouline.

Pas de Cartier, comme murmure M’sieur Van Clyft en s’endormant.

Rrraôum ! Floc ! que je vous dis. En deux ! Pour la cervelle ç’a été facile, la coquille ayant pété sans bavures. Le reste a suivi, sauf le naze qui a choisi de rester à gauche. Le cou : partagé en deux. Le sternum : en deux ! Il n’y a qu’à la fin des cerceaux que la section a fait halte. Je lâche la hache de naguère et M’sieur Vergeot, pas si vergeot que ça pour une fois, part en avant. Le manche de la cognée se plante dans le sol moussu et le défunt reste à soixante degrés, les bras ballants. Jamais vu ça, je répète ! Le gnace qui découvrira ce spectacle demain, il aura droit à un coup de rouge pour se calmer la trouillance. Je me baisse pour ramasser le soufflant du boucher. Entre nous, pour un boucher, c’est une fin logique, non ?

CHAPITRE XII

A la fin du chapitre précédent, tellement riche en péripéties que je ne saurais trop vous conseiller de le faire encadrer, je ramassais le pistolet de feu M. Vergeot. Au contact gaufré de la crosse, je me dis que cette fois j’ai la situation bien en main. Une situation de 9 mm, croyez-moi, c’est une situation enviable. Mon projet, vous l’avez deviné sans peine, malgré votre notoire insuffisance de matière grise, consiste à retourner en loucedé au fourgon afin de faire à la gentille Valérie une surprise susceptible de la guérir à jamais du hoquet (qu’il soit sur glace ou sur gazon). Malheureusement, comme je me redresse, un cri terrible retentit, poussé par cette petite curieuse qui est venue en loucedé voir comment qu’on dessoude un commissaire.

Elle s’attendait à trouver Grouchy revolvérisé, manque de bol c’est Blûcher qui lui tombe sous la rétine, avec une cognée enfoncée jusqu’au milieu du corps. Notez qu’une hache c’est fait pour pénétrer dans des troncs après tout.

Folle de peur, la môme se met à cavaler éperdument vers son carrosse. Je la course aussi vite que je peux, mais avec mes deux mains arrimées sur le devant de mon académie et qui tiennent par surcroît un lourd revolver, je peux peu.

— Arrêtez, idiote ! lui crié-je.

Mais on n’arrête pas plus une nana dingue de trouille que le progrès ! Elle est drôlement véloce cette panthère ! Elle a pris son essor et je vous parie ce que vous savez, contre ce que j’aimerais, qu’elle a un tigre dans son moteur !

— Arrêtez ou je tire ! lui enjoins-je.

Mais elle ne s’arrête pas et votre San-A. bien-aimé, toujours galantin, s’abstient de défourailler. Si je tirais dans le dos d’une jolie femme vous me mépriseriez, pas vrai mes chéries ? Or je tiens à votre estime autant (ou presque) qu’au contenu de votre Firestone à bretelles.

Elle me prend du terrain et saute dans son fourgon alors que je me trouve encore à cinquante mètres au moins d’icelui. En général quand on veut démarrer en trombe on tâtonne, on s’affole, on fait plein de fausses manœuvres. Valérie pas ! Vrrroum ! Le moteur tourne. Zzzim ! La première est passée ! Fllouf ! Un coup de sauce fait bondir le véhicule.