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Elle regarda ses parents. Son père avait toujours la même expression impassible. Sa mère avait le front plissé et les lèvres pincées.

— Alors, Dr Kuroda, dit Caitlin, vous êtes avec nous, oui ou non ?

Kuroda resta silencieux six secondes, et dit enfin :

— D’accord, d’accord. Je suis avec vous. Mais…

— Mais quoi ? lança sèchement Caitlin. Kuroda répondit d’une voix douce :

— Mais il est plus facile de travailler directement avec… hem… disons, l’utilisateur final.

Caitlin se détendit.

— Oui, bien sûr. Avez-vous un programme de messagerie instantanée sur l’ordinateur de chez vous ?

— J’ai une fille de seize ans, répondit Kuroda. Je ne peux même plus compter les programmes de ce genre.

— D’accord, dit Caitlin. Il s’appelle Webmind.

— Ah, vraiment ?

— C’est mieux que Fred, dit-elle.

— Pas beaucoup mieux…

Elle ne put s’empêcher de sourire.

— Donnez-moi une seconde, dit-elle.

Elle écrivit dans sa fenêtre de messagerie : Tu vas être contacté par le Dr Kuroda.

Le mot Merveilleux apparut à l’écran.

Après s’être assurée que Kuroda enregistrait bien ses échanges sur son disque dur, elle entreprit de lui expliquer comment ouvrir une session avec Webmind. Elle ne pouvait pas voir ce qu’il tapait, ni les réponses de Webmind, mais elle l’entendit marmonner en japonais. Il dit enfin :

— Mon cœur bat très fort, mademoiselle Caitlin. C’est… comment disent les jeunes Américaines d’aujourd’hui ?

— Géant ? proposa Caitlin.

— Oui, exactement !

— Alors, vous êtes en contact ?

— Oui, je… oh ! Il a une drôle de façon de s’exprimer, vous ne trouvez pas ? Bon, toujours est-il que nous sommes en contact. C’est incroyable !

— Bon, très bien, dit-elle. (Elle ôta ses lunettes et se frotta les yeux – aussi bien celui qui voyait que celui qui ne voyait pas.) Écoutez, nous tombons de sommeil. Il est largement passé minuit. Est-ce qu’on peut vous laisser continuer seul avec lui ? Nous avons vraiment besoin de dormir un peu.

6.

Il y avait des interstices dans mon travail avec le Dr Kuroda – des délais lacunaires tandis que j’attendais ses réponses textuelles, ou qu’il me dirige vers un lien pointant vers une autre portion de programme qu’il avait écrite.

Durant ces intervalles, je cherchais à en savoir plus sur Caitlin, sur cet être humain qui m’avait tendu la main et aidé à m’extraire des ténèbres.

Il n’y avait pas d’entrée sur elle dans Wikipédia, ce qui voulait sans doute dire qu’elle n’était pas – pas encore ! – digne d’intérêt.

Ah, mais voyons un peu… Certes, il n’y avait pas d’entrée la concernant, mais il y en avait une sur son père, Malcolm Decter… et Wikipédia ne se contentait pas de conserver la version courante de ses entrées. On pouvait aussi consulter toutes les versions précédentes. Bien qu’il n’y eût aucune référence à Caitlin dans le texte actuel, une itération précédente avait contenu ceci : « À une fille, Caitlin Doreen, aveugle de naissance, qui vit avec lui. La baisse du rythme des publications de Decter au cours des dernières années pourrait être due au temps considérable qu’il doit consacrer à s’occuper d’une enfant handicapée. »

Ce paragraphe avait été effacé treize jours plus tôt. L’historique des modifications n’indiquait pas le nom de l’utilisateur, seulement une adresse IP. C’était celle de la maison des Decter. Cette modification avait pu être effectuée par Caitlin ou ses parents, ou encore par cet homme – je savais maintenant qu’il s’agissait du Dr Kuroda – que j’y avais souvent vu.

Cette suppression avait peut-être été faite quand Caitlin avait recouvré la vue. Mais il était plus vraisemblable que ce texte avait été coupé parce que quelqu’un – probablement Caitlin – n’en avait pas aimé le contenu.

Ce n’était cependant qu’une supposition. Il était possible d’étudier Caitlin plus directement – et c’est ce que j’entrepris de faire.

Je pus rapidement lire tout ce qu’elle avait jamais écrit publiquement en ligne : chaque billet de son blog, chaque commentaire sur d’autres blogs, chaque critique de livre qu’elle avait rédigée sur Amazon.

Mais il y avait aussi beaucoup de ses textes auxquels je ne pouvais pas accéder. Son e-mail sur Yahoo contenait tous les messages qu’elle avait reçus ou envoyés, mais son accès était sécurisé par un mot de passe.

Une situation fâcheuse. J’allais devoir trouver un moyen d’y remédier.

LiveJournal : La Zone de Calculatrix

Titre : Relève de la garde 

Date : Samedi 6 octobre, 00 :15 EST

Humeur : sidérée 

Localisation : Waterloo 

Musique : Lee Amodeo, Nightfall

J’ai comme l’impression que vous n’allez pas beaucoup me voir ces prochains jours. Il se passe plein de trucs. Que des bonnes choses – miraculeuses, même – mais je suis forcée de garder profil bas… Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai révélé ce soir à mes parents un truc el grande mucho, et qu’ils n’ont pas piqué de crise de nerfs. J’espère que tout le monde le prendra aussi bien qu’eux…

Bien qu’elle se sentît épuisée, Caitlin mit à jour son LiveJournal et parcourut rapidement ceux de ses amis, puis elle mit à jour sa page sur Facebook (où elle modifia son statut en « Caitlin pense que donner vaut mieux que recevoir ») et vérifia enfin ses e-mails. Il y avait un message de Bashira avec comme titre : « Une colle pour la génie en maths. »

Quand elle était plus jeune, Caitlin avait adoré les casse-tête mathématiques qui circulaient dans les courriers. Ils lui donnaient l’impression d’être très intelligente. Mais maintenant, elle les trouvait en général plutôt ennuyeux. Il était rare qu’ils lui donnent vraiment du fil à retordre, mais ce fut le cas pour celui que Bashira lui proposait. Apparemment, il était tiré d’un ancien jeu télévisé, Let’s Make a Deal, avec comme présentateur vedette un certain Monty Hall. Dans ce jeu, on demandait au concurrent de choisir entre trois portes. Derrière l’une d’elles, il y avait une voiture toute neuve, et une chèvre derrière chacune des deux autres… Ce qui fait que le joueur avait une chance sur trois de gagner la voiture.

L’animateur sait derrière quelle porte se trouve la voiture. Une fois que le concurrent a fait son choix, Monty ouvre une des deux autres portes et révèle qu’il y a une chèvre derrière. Il demande alors au joueur : « Est-ce que vous maintenez votre choix, ou préférez-vous l’autre porte fermée ? »

Bashira posait la question : Est-ce que le joueur a intérêt à changer d’avis ?

Bien sûr que non, pensa aussitôt Caitlin. Ça ne fait aucune différence : il y a une voiture derrière une des deux portes, et une chèvre derrière l’autre. Le joueur a donc une chance sur deux d’avoir choisi la bonne.

Sauf que ce n’était pas du tout ce que disait l’article que Bashira lui avait transmis. On y lisait que les chances étaient bien meilleures si on changeait de porte.

Et ça, Caitlin en était convaincue, c’était archifaux. Elle se dit que quelqu’un avait dû rédiger une réfutation de cet article, et elle chercha donc dans Google. Il lui fallut quelques minutes pour trouver son bonheur, avec les mots-clefs « problème Monty Hall », et…