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Elles continuèrent de parler un moment de ce qui s’était passé au lycée. La mère de Caitlin jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule de sa fille, qui craignit qu’elle n’ait repéré un signe de la présence de Webmind sur l’un de ses écrans. Mais non. Apparemment, elle aussi regardait le soleil se coucher.

— Ton père va bientôt rentrer, dit-elle. Il faut que j’aille préparer le dîner.

Et elle redescendit l’escalier.

Caitlin retourna aussitôt à son programme de messagerie instantanée. Elle avait deux ordinateurs dans sa chambre, maintenant. Le logiciel d’IM tournait sur celui qui avait été autrefois dans le sous-sol, quand le Dr Kuroda séjournait chez eux. Elle avait laissé Webmind seul pendant quinze minutes tandis qu’elle bavardait avec sa mère, et c’était sans doute une éternité pour lui. La dernière chose qu’il lui avait dite était : « Dans le seul endroit où nous puissions aller, Caitlin. Dans l’avenir. Ensemble. »

Mais… quinze minutes ! Un quart d’heure, en plus de son propre retard à répondre. Il avait eu largement le temps d’absorber des milliers de nouveaux documents, et d’en apprendre plus qu’elle n’aurait pu le faire en un an.

Je suis de retour, écrivit-elle dans la fenêtre de messagerie.

La réponse fut immédiate : Salutations.

Caitlin se dispensa de remettre le son, préférant se servir de sa tablette braille pour lire le texte tout en regardant l’écran. Elle faisait de gros efforts pour s’entraîner à lire visuellement. Quand elle était petite, elle avait joué avec des lettres en bois, mais c’était vraiment superpénible d’essayer de distinguer un B d’un H ou d’un g, ou encore de ne pas confondre ce foutu q avec un p, ce qui lui arrivait tout le temps.

Qu’est-ce que tu as fait pendant que j’étais partie ? demanda-t-elle. 

Tu n’es pas partie, répondit Webmind. Tu as effectué une rotation lévogyre dans ton fauteuil et tu t’es trouvée face à un autre personnage.

Elle avait permis à Webmind de lire l’intégralité des textes du domaine public rassemblés par le Projet Gutenberg. Le résultat, c’était qu’il avait tendance à utiliser un vocabulaire un peu suranné. Caitlin fut très fière de savoir que lévogyre signifiait dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

C’était ma mère, répondit-elle.

La porte de la maison s’ouvrit de nouveau, et elle entendit le pas lourd de son père qui rentrait et celui plus léger de sa mère qui allait l’accueillir.

C’est ce que j’ai supposé, répondit Webmind. Je suis désireux de voir une plus grande partie de ton monde. Je crois comprendre que ta localisation actuelle est Waterloo, au Canada, mais jusqu’à présent, tout ce que j’ai vu correspond uniquement à ce que je crois être ta maison, ton lycée, un complexe commercial multimarchand et quelques points intermédiaires. J’ai lu les entrées dans ton LiveJournal relatant ton récent périple à Tokyo, au Japon, et je sais que tu as précédemment résidé à Austin, aux États-Unis. Comptes-tu prochainement te rendre dans l’un de ces deux lieux ?

Caitlin haussa les sourcils. Non, dit-elle. Il faut que je reste ici et que j’aille au lycée. J’ai déjà manqué trop de cours comme ça.

Ah, fit Webmind. Il faut donc que j’explore des alternatives.

Caitlin eut un pincement de cœur. Webmind était…

Non, non. Elle se conduisait comme une enfant. Elle allait avoir seize ans, et elle ne devrait pas se faire des idées comme ça !

Mais Webmind était à elle. C’était elle qui l’avait découvert, et plus encore, elle était la seule capable de le voir. Quand elle regardait le webspace, elle arrivait tout juste à distinguer de petits carrés dans l’arrière-plan, qui alternaient entre le noir et le blanc. D’après les descriptions qu’elle lui en avait faites, le Dr Kuroda lui avait dit qu’il s’agissait d’automates cellulaires. Et leur complexité avait considérablement augmenté au cours de la semaine écoulée. Ils étaient presque certainement à l’origine de l’émergence de cette nouvelle conscience.

Elle respira profondément, puis elle tapa : À quel genre d’alternatives penses-tu ?

Je suis fort contrarié, vint la réponse, qu’une solution idoine ne se présente pas plus promptement. Mais je vais être entravé par tes rythmes circadiens. Tu vas sans doute avoir bientôt besoin de dormir. J’ai cru comprendre que le temps s’écoulera très vite pour toi, mais il n’en sera pas de même pour moi.

Caitlin réfléchit. Il restait encore quelques heures avant qu’elle n’aille se coucher, mais effectivement, elle finirait par devoir dormir. Elle ne savait pas quoi faire. Elle avait peur d’en parler à ses parents. Mais elle avait peur aussi de ne pas le leur dire. C’était tellement énorme, et…

— Cait-lin !

Sa mère l’appelait.

— Oui ?

— Viens mettre la table !

C’était l’une des rares corvées dont elle avait été capable quand elle était encore aveugle, et elle avait toujours bien aimé ça. Elle avait une image mentale parfaite de leur table de salle à manger, et elle y disposait les assiettes et les couverts avec une grande précision. Mais là, maintenant, c’était bien la dernière chose qu’elle avait envie de faire.

— Une minute ! lança-t-elle.

— Tout de suite, jeune fille !

Par habitude, elle tapa l’abréviation brb. En voyant ce qu’elle venait de faire, elle faillit le retaper en clair, mais elle se ravisa. Voilà qui donnerait de quoi réfléchir à Webmind pendant son absence…

Elle s’obligea à garder les yeux ouverts en descendant l’escalier, malgré sa sensation de vertige. Sa mère lisait dans le salon – apparemment, ce qu’il y avait dans le four (un truc italien, à en juger par l’odeur) ne nécessitait pas son attention constante. Jusque-là, Caitlin ne s’était pas rendu compte du temps que sa mère passait le nez plongé dans un bouquin. Ça lui faisait plutôt plaisir de la voir comme ça.

Elle savait que son père était dans son bureau car elle entendait le Bloody Well Right de Supertramp – et son père était tellement écolo qu’il éteignait sa stéréo en sortant.

Elle entra dans la cuisine, et là…

Là, comme pour tout le reste, elle fut encore sidérée de la voir. Bien sûr, c’était la nouvelle cuisine, et il lui avait fallu quelque temps pour se familiariser avec sa disposition. Elle était certaine de mieux en connaître les dimensions que ses parents, mais…

Mais jusqu’à récemment encore, elle n’avait pas su que les murs étaient peints en vert clair, que le carrelage était marron, qu’il y avait des tubes lumineux au plafond derrière des sortes de panneaux translucides, ou encore que la porte du four était vitrée (elle n’avait même pas imaginé que cela puisse être nécessaire), et qu’un tableau représentant, hem, des montagnes, peut-être, était accroché au mur, et qu’il y avait un gros – allez, un gros machin posé sur le réfrigérateur. Le webspace était tellement simple à côté du monde réel !

Elle examina le four, avec ses petits chiffres bleutés brillant sur le tableau de contrôle. Mais ce n’était pas une horloge, à moins qu’elle ne soit mal réglée, et… Ah, mais non, bien sûr ! C’était un minuteur qui affichait un compte à rebours. Il restait quarante-sept ou quarante et une minutes – elle n’était pas très sûre de ce que le dernier chiffre était censé représenter – jusqu’à ce que le contenu du four soit prêt. Elle respira profondément : des lasagnes, peut-être. Ah, et sur le plan de travail à côté, dans un grand bol en plastique rouge : sa mère avait mélangé des, hem…