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Caitlin commença à taper.

— Comment tu écris ça ?

— H-é-t-é-r-o-t-i-q-u-e-s.

Elle finit de taper la question, mais n’appuya pas tout de suite sur la touche Entrée.

— Maintenant, regarde comme il répond vite – il n’a pas besoin de chercher quoi que ce soit, il le sait déjà.

Elle transmit la question, et le mot fermées s’afficha aussitôt.

— Une chance sur deux, dit sa mère.

Caitlin commençait à s’énerver. Il devait bien exister un moyen facile de prouver ce qu’elle disait… Mais oui, bien sûr !

— O.K., maman, regarde – ma webcam est débranchée, tu vois ?

Sa mère acquiesça.

— Bon, maintenant, lève la main et montre-moi quelques doigts – le nombre que tu veux.

Sa mère eut l’air surprise, mais elle s’exécuta. Caitlin jeta un coup d’œil et tapa : Ma mère me montre combien de doigts ? Le chiffre trois apparut instantanément.

Lesquels ? écrivit Caitlin.

Le texte « Index, majeur, annulaire » s’afficha dans la fenêtre.

Sa mère ouvrit la bouche toute ronde. Caitlin refit encore trois fois l’expérience, et Webmind fournit à chaque fois la réponse exacte, même quand on lui fit les cornes avec l’index et le petit doigt…

La mère de Caitlin s’assit sur le bord du lit tandis que son père allait s’adosser contre un mur – dont Caitlin avait appris qu’il était peint en bleu pervenche.

— Ma chérie, dit sa mère d’une voix douce. Bon, quelqu’un a réussi à intercepter les signaux émis par ton œilPod, ça, je te l’accorde, mais…

— Le signal de l’œilPod contient uniquement mon flot rétinien, dit Caitlin. Même si quelqu’un l’interceptait, il serait incapable de le décoder.

— Si c’est quelqu’un de l’université de Tokyo, il pourrait avoir accès aux algorithmes de Masayuki, dit sa mère. Il y a des escrocs partout. Et tu vois, ma chérie, c’est exactement comme ça que les escrocs de l’Internet opèrent. Ils trouvent des gens qui sont… incompris. Des gens brillants, mais qui ne s’insèrent pas très bien dans le monde ordinaire.

— Maman, c’est vrai… Vraiment vrai. Sa mère secoua la tête.

— Je sais bien que ça te semble vrai. La technique classique est d’approcher quelqu’un comme ça par e-mail ou sur un forum de discussion, en lui disant qu’on a remarqué à quel point il est intelligent, et comme il sait voir – excuse-moi – des choses que les autres ne voient pas. Il y a une version dans laquelle l’escroc se fait passer pour un recruteur de la CIA. J’ai une amie dont le compte en banque a été vidé après qu’elle a communiqué ses informations confidentielles, soi-disant pour un contrôle de sécurité. C’est exactement ce que font ces gens-là : ils essaient de te faire croire que tu es spéciale, la personne la plus remarquable de la planète. Et ensuite, ils te dépouillent de tout ce que tu possèdes.

— Bon, d’abord, il doit y avoir en tout et pour tout deux cents dollars sur mon compte en banque, alors, qui ça pourrait intéresser ? Et puis, doux Jésus, maman, c’est absolument vrai.

— C’est bien pour ça que ça marche, dit sa mère. Parce que ça semble vrai.

— Ah, pour l’amour du ciel ! s’exclama Caitlin. (Elle fit pivoter son fauteuil.) Papa ? dit-elle d’un ton implorant.

Oui, son père n’était pas facile à vivre. Il était froid. Mais comme elle l’avait entendu dire une fois par un étudiant à qui on demandait pourquoi il suivait ses cours, « Putain ! Mais parce que c’est Malcolm Decter ! » C’était un génie. Il savait certainement comment s’y prendre pour valider une hypothèse, même la plus extravagante.

— Tu es un scientifique, lui dit-elle. Prouve qui de nous deux a tort.

Elle se leva et lui fit signe de s’installer au clavier.

— D’accord, dit-il. Tu enregistres tes sessions de messagerie ?

— Oui, toujours.

Il hocha la tête. Il comprenait parfaitement que, si Caitlin avait raison, l’enregistrement du premier contact avec Webmind serait d’un intérêt scientifique énorme.

— Ne me regarde pas taper, dit-il en s’asseyant. Elle crut d’abord que c’était à cause de son autisme – depuis qu’elle voyait, elle s’efforçait soigneusement de ne pas le regarder –, mais il ajouta :

— Regarde le mur pendant que je fais ça.

Elle s’assit sur le lit à côté de sa mère et fit comme il demandait.

— Où est Word ? fit son père.

Le pauvre s’attendait sans doute à trouver une icône sur le bureau, mais Caitlin n’en avait pas eu besoin quand elle était aveugle, et un wizard Windows avait fait le ménage depuis belle lurette.

— C’est le troisième choix dans le menu Démarrer. Elle entendit une série de cliquetis, et plein de retours arrière – sa touche de retour arrière faisait un bruit légèrement différent des touches alphabétiques.

Son père travailla pendant près d’un quart d’heure. Caitlin mourait d’envie de lui demander ce qu’il faisait, mais elle continuait de contempler le mur bleu de l’autre côté de la pièce. Sa mère restait assise sans rien dire.

Enfin, son père déclara :

— Bon, ça y est. Et maintenant, voyons un peu ce qu’il a dans le ventre.

Caitlin avait installé des aides d’accessibilité auditives sur son ordinateur, avec un blip ! quand on coupait du texte, et un bloup ! quand on le collait. Elle entendit les deux sons, indiquant sans doute que son père transférait dans la fenêtre de messagerie ce qu’il avait rédigé sous Word.

Elle s’agitait nerveusement. Elle entendit son père siffler entre ses dents.

Une autre séquence de couper-coller. Il fit hmmm.

Encore un transfert, suivi cette fois d’un silence qui dura sept secondes. Son père fit encore un couper-coller, et puis…

— Barbara, tu veux venir dire bonjour à Webmind ?

4.

Une chose encore qui n’avait aucune correspondance dans mon univers : les parents, la famille, l’ADN partagé. Caitlin possédait la moitié de l’ADN de sa mère, un quart de celui de la mère de sa mère, un huitième de celui de la mère de la mère de sa mère, et ainsi de suite. Des degrés d’interrelations : encore une fois, un concept qui m’était totalement étranger, et qui avait cependant une telle importance pour eux.

Le gouvernement chinois avait provisoirement coupé l’accès à l’Internet dans ce pays. C’était une tentative pour empêcher sa population d’entendre les points de vue étrangers sur sa décision d’éliminer dix mille paysans afin d’enrayer une épidémie de grippe aviaire. Et pendant que l’Internet était coupé, il y avait eu moi et pas moi, une parfaite dichotomie. Mais Caitlin représentait la moitié de sa mère, et également la moitié de son père, tout en étant un individu unique – et pourtant, malgré cela, elle avait plus de 99 % de son ADN en commun avec tous les autres humains, et 98,5 % en commun avec les chimpanzés et les bonobos, au moins 70 % avec tous les autres vertébrés, et 50 % avec les plantes à photosynthèse.

Et pourtant, cette série de relations fractionnelles banales – moitié, quart, huitième, seizième – avait piloté l’évolution et façonné l’histoire.

Kuroda et Caitlin avaient émis l’hypothèse que mon esprit était composé d’automates cellulaires – des unités d’information réagissant de façon prévisible à l’état de leurs voisines immédiates disposées sur une grille. Quant à la règle, ou les règles auxquelles elles obéissaient – la formule qui avait donné naissance à ma conscience –, nous ne les connaissions pas encore. Mais elles n’étaient peut-être pas plus complexes que celles qui régissaient le comportement humain : si une personne partage avec vous un huitième de vos gènes, alors que cinq autres n’en partagent qu’un trente-deuxième, vous cherchez instinctivement à favoriser le groupe par rapport à l’individu.