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J’avais obéi à ma première impulsion et demandé une audience devant le conseil familial au grand complet. Cela pour m’entendre dire que j’avais déjà été jugée in caméra et à l’unanimité, par six voix à rien.

Je ne suis même pas retournée à la maison. Quand nous étions dans les jardins botaniques, cet appel téléphonique qu’Anita avait reçu lui apprenait simplement que mes effets personnels avaient été empaquetés et portés au service bagages de la navette.

Bien sûr, j’aurais pu ne pas me fier aux déclarations d’Anita et exiger une assemblée. Mais pourquoi ? Pour obtenir gain de cause ? Pour exposer mes arguments ? Pour couper les cheveux en quatre afin de me faire plaisir ?… Mais j’avais compris en un instant que tout ce à quoi j’avais tenu était parti. Effacé, disparu comme un arc-en-ciel, comme une bulle de savon. Je ne faisais plus partie de rien. Je n’avais plus aucun enfant à moi. Et jamais plus je ne me roulerais sur le tapis avec des bébés et des chiens.

J’avais les yeux secs et le cœur plein de chagrin, et j’ai failli ne pas m’apercevoir qu’Anita, en fait, s’était montrée « généreuse » avec moi. Les alinéas du contrat que j’avais passé avec la famille stipulaient que l’avoir principal était payable à tout instant si je venais à dénoncer le contrat. Le fait d’être une non-humaine constituait-il un motif de dénonciation ? (Même si je n’avais jamais manqué un seul versement ?) D’un côté, s’ils décidaient de me virer de la famille, j’allais toucher au moins dix-huit mille dollars néo-zélandais. De l’autre, non seulement j’avais manqué à mes règlements, mais je devais plus de deux fois cette part.

Mais ils se montrèrent « généreux » : si je choisissais de m’éclipser tranquillement et rapidement, ils ne me poursuivraient pas. Mais on ne disait pas ce qui pourrait m’arriver si je faisais un scandale.

Je me suis évanouie dans la nature.

Je n’ai pas besoin d’un psychiatre pour m’expliquer que j’avais fait cela contre moi. C’était évident dès l’instant où Anita m’avait annoncé la sentence. Mais la seule question intéressante était : Pourquoi ?

Par colère.

J’étais incapable de trouver une meilleure réponse. J’en voulais à la race humaine tout entière de décider ainsi que moi et mes pareils n’étions pas humains et que, par conséquent, nous n’avions aucun droit à la justice et à l’égalité. Ce que j’éprouvais, c’était toute la rancœur qui s’était accumulée en moi depuis le premier jour où j’avais pris conscience que les enfants humains, simplement parce qu’ils étaient nés d’une mère, jouissaient de certains privilèges que je n’aurais jamais parce que je n’étais pas vraiment humaine.

Le fait de passer pour un humain normal vous apporte certains privilèges mais n’efface nullement l’amertume que l’on éprouve à l’égard du système. Et la pression est d’autant plus forte qu’elle ne peut s’exprimer. Et un jour était venu où il était plus important pour moi de savoir si ma famille adoptive pouvait m’accepter telle que j’étais réellement, c’est-à-dire un être artificiel, que de préserver mes rapports harmonieux avec mon entourage.

Maintenant je savais. Personne n’avait fait un geste pour moi… pas plus que pour Ellen. Je crois que je m’étais doutée qu’ils m’abandonneraient dès que j’avais appris ce qui se passait pour Ellen. Mais je l’avais pensé au plus bas niveau de mon esprit, une zone sombre que je ne connais pas très bien mais où, selon le Patron, s’élaborent mes pensées véritables.

Je suis arrivée à Auckland trop tard pour prendre le vol quotidien SB pour Winnipeg. J’ai réservé un berceau pour le vol du lendemain et mis tous mes bagages à la consigne excepté mon sac de vol. Ensuite, je me suis demandé ce que j’allais bien pouvoir faire des vingt-quatre heures qui me restaient et, aussitôt, j’ai pensé à mon gentil loup, le commandant Ian. D’après ce qu’il m’avait dit, il y avait une chance sur cinq pour qu’il fût en ville. Mais son appartement (s’il était libre) serait certainement plus agréable qu’une chambre d’hôtel. Je me suis donc rendue dans un terminal public et j’ai tapé son code.

L’écran s’est éclairé et j’ai vu une fille assez jolie, souriante.

— Salut ! Je m’appelle Torchy ! Qui êtes-vous ?

— Marj Baldwin. Je me suis peut-être trompée de code. Je voudrais parler au commandant Tormey.

— Pas du tout, mon chou. Attendez un moment que je le tire de sa cage. (Elle s’est écartée de l’écran et je l’ai entendue appeler.) Eh, mon gros ! T’as une chouette nana qui veut te parler. Elle connaît ton vrai nom !

J’avais pu voir qu’elle avait les seins nus mais, quand elle revint vers l’écran, je m’aperçus qu’elle ne portait absolument rien. Elle était plutôt belle, avec des fesses un rien trop larges mais de longues jambes, la taille fine et une poitrine aussi importante que la mienne… à propos de laquelle je n’ai jamais eu aucune plainte.

Je me suis adressé quelques insultes en silence. Je savais très bien pourquoi j’avais appelé le vaillant commandant : pour oublier trois hommes dans les bras d’un quatrième. D’accord, je l’avais retrouvé, mais il m’avait l’air plutôt pris.

Il apparut bientôt sur l’écran, plus ou moins habillé, l’air intrigué. Puis il me reconnut :

— Eh ! miss Baldwin ! C’est ça, non ? Super ! Vous êtes où ?

— Au port. Je vous ai appelé à tout hasard, juste pour dire bonjour.

— Ne bougez pas. Restez où vous êtes. Laissez-moi dix secondes pour trouver une chemise et un pantalon, et je suis là !

— Mais non, commandant. C’était juste pour vous faire signe. Je suis encore entre deux vols.

— Pour où ? A quelle heure ?

Merde, merde, trois fois merde ! Je n’avais même pas préparé un mensonge. Allons-y : quelquefois, la vérité vaut mieux qu’un mensonge embrouillé.

— Je repars pour Winnipeg.

— Vraiment ? Alors, vous avez devant vous votre pilote, le seul, le vrai ! Je suis sur le vol de demain midi. Dites-moi seulement où vous êtes et je suis là dans… disons trois quarts d’heure si j’arrive à trouver un taxi.

— Commandant, je crois que vous êtes aussi gentil que vous êtes fou. Vous avez déjà de la compagnie. C’est bien Torchy qu’elle s’appelle, n’est-ce pas ?

— Torchy, ce n’est pas son nom, c’est son état permanent. Elle s’appelle Betty. C’est ma sœur, et elle vient de Sydney. Elle vient toujours ici quand elle est de passage. Mais je crois que je vous en ai parlé. (Il tourna la tête pour l’appeler.) Betty ! Viens ici et présente-toi. Mets une tenue décente !

— C’est trop tard ! lança-t-elle en s’approchant de l’écran, tout en essayant de passer un lava-lava[4] autour de ses hanches. (Elle ne devait guère en avoir l’habitude et se débrouillait plutôt mal.) Ah, ça ira comme ça ! Mon frère a remplacé mon père, si vous voyez ce que je veux dire, chérie. Mon père a laissé tomber. Donc, maintenant, je suis sa sœur-épouse. A moins que vous ne désiriez vous marier avec lui, auquel cas je suis sa fiancée. C’est votre intention ?

— Non.

— Parfait. Alors, vous pouvez venir. Je vais faire du thé. Est-ce que vous buvez du gin ou du whisky ?

— Ce que vous prendrez, vous et le commandant.

— Il n’a droit à rien. Il décolle dans moins de vingt-quatre heures. Mais vous et moi, on peut se péter si on veut.

— Alors, je boirai n’importe quoi sauf de la ciguë.

J’ai ensuite réussi à persuader Ian qu’il était plus pratique que je me trouve un cab dans le port plutôt que de l’obliger à faire le trajet aller retour.

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4

Dans les îles du Pacifique, une jupe ou un short des plus simples, en calicot le plus souvent. (N.d.T.)