« Décret spécial : La fabrication des pseudo-êtres devra cesser sur l’heure. Tous les êtres artificiels ainsi que les prétendus artefacts vivants devront se tenir prêts à se présenter devant les autorités de réforme quand ils se le verront notifier. Durant l’intérim, des plans seront mis au point afin que ces quasi-humains puissent continuer le cours de leur existence sans plus menacer l’humanité et dans des circonstances qui interdiront toute concurrence déloyale. Ces créatures devront jusqu’à nouvel ordre poursuivre leurs fonctions mais il leur est interdit de sortir.
« Il est interdit aux autorités locales de tuer ces…»
L’annonce fut brutalement interrompue. Un visage apparut sur l’écran, celui d’un homme visiblement perturbé, le front luisant de sueur.
« Ici, le sergent Malloy. Je m’exprime au nom du chef Henderson. Il ne sera plus toléré aucune déclaration subversive. Nous allons reprendre le cours normal des programmes. Restez sur ce canal dans l’éventualité de bulletins exceptionnels. (Il soupira.) Nous vivons un sale moment, les amis. Soyez patients. »
12
— Eh bien, mes enfants, a lancé Georges, les jeux sont faits. Vous n’avez plus qu’à choisir. Une théocratie avec ses chasseurs de sorcières. Un socialisme fascisant d’écoliers demeurés. Ou bien une légion de pragmatistes purs et durs qui abattent tous les chevaux qui ne sautent pas l’obstacle. Allons-y ! Un article seulement par client ! Pressons !
— Arrête ça, Georges, a dit Ian. Il n’y a vraiment pas de quoi plaisanter.
— Mais, mon frère, je ne plaisante pas. Je pleure. Je suis consterné. Une des équipes a l’intention de m’abattre à vue, l’autre met mon art, ma profession hors la loi, quant à la troisième, avec ses menaces informulées, elle me semble personnellement plus redoutable encore. En attendant, ce bienfaisant gouvernement, l’alma mater de mon existence, me considère comme un étranger, un ennemi tout juste bon à emprisonner. Qu’est-ce que je peux faire ? Plaisanter ou bien verser toutes les larmes de mon corps ?
— Tu pourrais peut-être, en attendant mieux, cesser de te comporter comme le fichu Latin que tu es. Le monde est en train de devenir dingue sous tes yeux. Nous ferions bien d’essayer de trouver ce que nous pouvons faire.
— Arrêtez, tous les deux, voulez-vous ? a dit Janet d’un ton doux mais ferme. Une chose que toutes les femmes savent mais que peu d’hommes apprennent, c’est qu’il y a dans la vie certains moments où l’attitude la plus sage est encore d’attendre. Je vous connais tous les deux. Vous aimeriez bien vous précipiter vers le bureau de recrutement et vous engager pour la durée de la crise. Comme ça, les sergents s’occuperaient de vos belles petites consciences. Cela a été utile à vos pères et à vos grands-pères, et je suis vraiment navrée que ça ne soit pas le cas pour vous. Notre pays est en danger et notre manière de vivre également, c’est clair. Mais si quelqu’un connaît une meilleure solution dans l’immédiat que d’attendre, qu’il s’exprime. Sinon, inutile de tourner en rond. On ne doit pas être loin de l’heure du déjeuner. Est-ce que quelqu’un peut penser à quoi que ce soit de mieux ?
— On a pris notre breakfast très tard.
— Et il en sera de même pour le déjeuner. Quand il sera servi, tu le mangeras, et Georges aussi. Ah ! il y a aussi une chose à faire, au cas où cela tournerait vraiment mal : Marj doit savoir où se mettre à l’abri si des bombes nous tombent dessus.
— Des bombes ou pis encore…
— Oui, ou pis… oui, Ian. La police, par exemple, en quête d’ennemis cachés. Est-ce que vous avez réfléchi à ce qu’il conviendrait de faire s’ils viennent frapper à la porte ?
— J’ai pensé à cela, a dit Georges. Avant tout, il faut livrer Marj aux cosaques. Ça les distraira et ça me donnera le temps de m’en aller loin, très loin. Voilà un plan.
— D’accord, fit Janet. Ce qui laisse à penser que tu en as un autre.
— Il n’a pas la simple élégance du premier. Mais le voilà tel que je le conçois. Je me rends à la Gestapo. Simple test destiné à vérifier si un honorable résident et contribuable respectable qui a toujours donné son obole aux œuvres de la police et au bal des pompiers peut réellement être jeté en prison sans le moindre prétexte valable. Tandis que je me sacrifierai ainsi au nom d’un principe, Marj peut très bien se terrer dans la cachette. Ils ignorent d’ailleurs qu’elle se trouve ici. Ce qui n’est pas, malheureusement, le cas pour moi.
— Ne sois pas aussi noble, mon chéri, ça ne te va pas du tout. Non, je pense que nous allons combiner les deux plans. Si… non, quand… quand ils viendront vous chercher, vous vous cacherez tous les deux dans l’abri et vous y resterez aussi longtemps que nécessaire. Des jours. Des semaines. Qui peut savoir…
Georges secoua la tête.
— Ah non ! très peu pour moi. C’est humide et malsain.
— Et de plus, intervint Ian, j’ai promis à Marj de la protéger contre Georges. A quoi bon lui sauver la vie si c’est pour la jeter entre les pattes d’un obsédé ?
— Il ne faut pas le croire, chérie. L’alcool est mon point faible.
— Mon amour, est-ce que tu désires que l’on te protège de Georges ?
J’ai répondu alors en toute sincérité que c’était peut-être Georges qu’il fallait protéger de moi. Et je l’ai dit sans ambages.
— Pour ce qui est de ta crainte de l’humidité, Georges, le trou a exactement le même degré hygrométrique que le reste de la maison, un quarante-cinq très modéré. Je l’ai conçu comme ça. Si les circonstances nous y obligent, on vous mettra dans le trou, donc, mais il est hors de question que vous vous rendiez à la police. (Janet s’est tournée vers moi.) Viens avec moi, chérie. A propos d’humidité, nous allons nous offrir un petit bain.
Elle m’accompagna jusqu’à ma chambre et prit mon sac de vol.
— Qu’est-ce que tu as là-dedans ?
— Pas grand-chose. Mes culottes et quelques chaussettes. Mon passeport aussi. Une carte de crédit inutilisable. Un peu d’argent. Des papiers d’identité. Un carnet. Mes bagages sont en transit au port.
— C’est aussi bien comme ça. Parce que tout ce qui est à toi, nous allons le mettre dans ma chambre. Pour les dessous ou les vêtements, nous avons à peu près la même taille.
Elle fouilla dans un tiroir et me présenta une ceinture avec une enveloppe de plastique de style féminin courant. Le genre d’objet que je ne pouvais utiliser dans ma profession parce que trop voyant.
— Mets là-dedans tout ce que tu ne peux te permettre de perdre et ferme l’enveloppe hermétiquement. Ensuite, tu mettras la ceinture. Parce que tu vas être immergée des pieds à la tête, tu sais. Ça t’ennuie d’avoir les cheveux mouillés ?
— Mon Dieu, non.
— Bien. Alors, mets là-dedans ce que tu veux y mettre et déshabille-toi. Inutile de mouiller tes vêtements. Mais si les gendarmes se montrent, n’hésite pas à plonger tout habillée. Tu te sécheras dans le trou.
Un instant plus tard, nous étions ensemble dans son grand bain. Je portais sur moi la ceinture étanche. Avec un sourire, Janet me montra le fond.
— Chérie, regarde sous le siège, là-bas.
Je me suis approchée.
— Je ne vois pas très bien.
— Ç’a été fait exprès. L’eau est limpide et en principe on devrait avoir une vision parfaite. Mais à l’endroit où l’on doit se trouver pour regarder sous le siège, il y a le reflet d’un spot qui vous arrive droit dans les yeux. C’est là que s’ouvre le tunnel. Impossible de le voir, en fait, mais on peut le toucher. Il mesure moins d’un mètre de large, il est haut de cinquante centimètres à peu près et fait six mètres de long. Est-ce que tu as des problèmes de claustrophobie ?