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— Non.

— Alors, c’est parfait. Parce que le seul et unique moyen de pénétrer dans le tunnel, c’est de prendre sa respiration et de plonger. Il est relativement facile de progresser une fois qu’on est sous l’eau car j’ai prévu des entailles dans le fond. Mais il faut se persuader que ça ne va pas durer trop longtemps et qu’on pourra bientôt respirer de nouveau. D’abord, tu te retrouveras dans le noir, mais la lumière revient assez vite. Nous avons installé un contacteur thermique. Bon, pour cette première fois, je pars devant toi. Prête ?

— Oui, je crois.

— Alors, allons-y.

Janet est venue à côté de moi. Elle a occupé le siège voisin, puis elle est descendue. L’eau lui arrivait aux hanches.

— On respire à fond !

Elle m’a donné l’exemple en souriant et elle a disparu.

Je l’ai suivie. Impossible de voir le tunnel, même sous l’eau, mais je n’ai eu aucune difficulté à le trouver en tâtonnant et, ensuite, j’ai progressé très rapidement grâce aux entailles. Mais il m’a bien semblé que je parcourais plus de six mètres.

Brusquement, une lumière est apparue droit devant moi. Je n’ai pas tardé à l’atteindre, je me suis redressée et la main de Janet a saisi la mienne. Nous étions dans une pièce minuscule. Le plafond était à moins de deux mètres au-dessus du sol de ciment. C’était peut-être un peu plus agréable qu’une tombe, mais à peine.

— Retourne-toi, chérie. Par là.

« Par-là », c’était une épaisse porte d’acier, entre sol et plafond. Nous avons franchi le seuil les pieds en avant, et le lourd battant s’est refermé sur nous avec une sorte de gros soupir, comme la porte d’un coffre.

— Porte à surpression, m’a expliqué Janet. Si une bombe venait à exploser à proximité, l’onde de choc repousserait l’eau dans le petit tunnel. Évidemment, en cas de coup direct… Bah ! je crois que nous ne nous en apercevrions pas et j’ai tout simplement omis de prévoir quoi que ce soit. Bon, fais comme chez toi. Je vais aller chercher une serviette.

Nous nous trouvions dans une pièce très étroite et longue, au plafond voûté. A droite, il y avait des lits-couchettes, une table avec des chaises, plus loin un terminal et, tout au bout, une petite cuisine et une porte qui, de toute évidence, accédait à une salle d’eau ou une douche car Janet revint bientôt avec une grande serviette.

— Ne bouge pas et ta petite maman va te sécher, dit-elle. Pas de soufflante à air chaud ici, hélas ! Tout est simple, non automatique et fiable.

Elle me frictionna jusqu’à ce que je brille, et je lui rendis la politesse. Ce qui était un plaisir car Janet était d’une beauté rare.

— Ça suffit, amour, me dit-elle enfin. Maintenant, je vais te faire faire le tour des lieux, encore qu’il y ait peu de chances que tu te retrouves ici, sauf si tu dois t’y réfugier, bien sûr. Et tu pourrais t’y retrouver seule. A ce moment-là, ta vie dépendrait de ce que tu sais de l’endroit.

» D’abord, tu vois ce livre attaché par une chaîne au-dessus de la table ? C’est le mode d’emploi et l’inventaire de l’endroit, et la chaîne est une vraie chaîne. Avec ce bouquin, tu n’as pas besoin de visite guidée, en fait, parce que tu y trouveras tout. Et tu sauras tout ce dont tu peux disposer ici : aspirine, munitions, chutney de pommes… tout.

Elle me fit faire pourtant, à toute allure, une petite visite guidée : réserves de nourriture et d’air, freezer, pompe à main pour la pression d’eau en cas de panne, vêtements, médicaments, etc.

— Tout a été prévu pour trois personnes et pour trois mois, me dit-elle.

— Et pour remplacer les stocks, tu procèdes comment ?

— Tu ferais quoi ?

J’ai réfléchi un instant.

— Je crois que je pomperais l’eau du bassin.

— C’est ça, exactement. Il existe un réservoir dissimulé qui ne figure même pas sur les plans de construction, comme ceci d’ailleurs. Bien sûr, il y a pas mal de choses qui ne craignent pas l’eau ou qui peuvent être acheminées en emballages étanches. A propos, comment se porte ta ceinture ?

— Je crois qu’elle va bien. J’ai chassé l’air jusqu’à la dernière bulle avant de la fermer. Janet… cet endroit n’est pas seulement un refuge contre les bombardements, non ? Sinon tu ne te serais pas donné autant de mal pour le cacher, et tu n’aurais certainement pas dépensé autant d’argent.

Son visage s’est assombri.

— Chérie, tu es très intuitive. Non, c’est vrai, je ne me serais pas autant passionnée pour la construction d’un abri antibombes. Si jamais des bombes H nous tombent dessus, je ne crois pas que j’aie vraiment envie de survivre. Non, j’ai conçu cette tanière pour survivre à ce que l’on appelle fort bizarrement des « troubles civils ». Mes grands-parents me parlaient toujours de cette époque où les gens étaient encore courtois, où personne n’hésitait vraiment à sortir la nuit, où les portes n’étaient pas toujours fermées et où les maisons n’étaient pas cernées de murailles et de barbelés et de faisceaux lasers… C’est peut-être cela… Je ne suis pas assez vieille pour m’en souvenir. Il me semble que, durant toute ma vie, les choses n’ont fait qu’empirer. Quand j’ai quitté l’école, mon premier boulot a été de concevoir des systèmes défensifs cachés dans les immeubles que l’on reconstruisait. Mais les trucs que j’ai utilisés – et ce n’était pourtant pas il y a si longtemps – sont périmés aujourd’hui. L’idée de base, avant, c’était d’arrêter l’ennemi et de le repousser. A présent, nous avons une défense à deux niveaux. Si le premier niveau ne l’arrête pas, le second est conçu pour le neutraliser, le tuer. C’est tout à fait illégal mais tous ceux qui peuvent se le permettre s’en tiennent à cette technique. Marj, qu’est-ce que je ne t’ai pas encore montré ? Ne regarde pas dans ce livre, tu trouverais. Ne te sers que de ta tête. Quel est le point essentiel du trou que nous n’avons pas encore vu ?

(Elle voulait vraiment que je le lui dise ?)

— Eh bien !… ça me paraît complet… du moins, ça le sera quand tu m’auras montré le réseau principal et auxiliaire d’énergie.

— Réfléchis, chérie. La maison au-dessus de nous est détruite. Ou bien occupée par l’envahisseur. Ou encore par notre police, qui vous cherche, toi et Georges. Que faut-il d’autre ?

— Eh bien… tous les animaux qui vivent dans le sol ont une voie de retraite : les renards, les lapins, les taupes… ils ont tous une issue dérobée.

— Bravo ! Et où est-elle ?

Je fis semblant de regarder autour de moi et de chercher. Mais j’avais depuis un bon moment réagi à un réflexe qui datait de ma période de formation (« Surtout ne jamais se détendre avant d’avoir trouvé une issue. »).

— Je pense que la porte dérobée devrait se trouver à l’intérieur de ce placard à vêtements.

— Je me demande si je dois te féliciter ou me demander si je n’aurais pas dû mieux la dissimuler. Oui, c’est bien là qu’elle s’ouvre. Elle part vers la gauche et elle est éclairée par un rayonnement à trente-sept degrés, comme le tunnel par lequel nous sommes venues. Ces lampes sont alimentées par des Shipstones et ont une durée de vie pratiquement illimitée, mais je pense qu’il serait plus prudent de se munir d’une torche, et tu sais où elles se trouvent. Le passage est assez long et il débouche loin des murs dans un buisson d’épineux. La porte camouflée est plutôt lourde, mais il suffit de la pousser un peu de côté et elle bascule d’elle-même.

— Eh bien, ça me paraît plutôt au point. Mais, Janet, que se passerait-il si quelqu’un découvrait l’entrée et arrivait jusqu’ici ? Ou si moi je l’utilisais ? Après tout, je suis encore presque une étrangère.