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— Non, tu n’es pas une étrangère. Tu es une vieille amie que nous ne connaissons que depuis peu de temps. Oui, il y a effectivement une faible chance pour que quelqu’un tombe par hasard sur l’issue de secours. D’abord, si cela se produisait, il déclencherait une atroce sonnerie d’alarme dans toute la maison. Ensuite, nous aurions une image immédiate du tunnel sur toute sa longueur grâce aux caméras de contrôle reliées aux terminaux. Et nous n’aurions plus qu’à prendre les mesures nécessaires, du gaz lacrymogène aux moyens les plus radicaux. Dans ce cas, je plains Ian autant que Georges.

— Et pourquoi ?

— Parce que j’éprouverais tout à coup une crise de faiblesse féminine. Je ne peux pas évacuer les cadavres, surtout ceux qui ont passé quelques jours à… mûrir.

— Mmm… je vois.

— Marj, n’oublie pas que je suis une professionnelle des dispositifs de défense, et garde bien en mémoire ma politique des deux niveaux. Supposons que quelqu’un repère notre porte et qu’il se casse les ongles en l’ouvrant. A ce stade, il n’est pas encore mort. S’il s’agit de l’un d’entre nous – c’est concevable mais très improbable –, nous appuyons sur une touche de commande dissimulée. Il faudrait d’ailleurs que je t’indique son emplacement. Mais si nous avons vraiment affaire à un intrus, il rencontrera très vite un avertissement : PROPRIETE PRIVEE – DEFENSE D’ENTREE. Admettons qu’il n’en tienne pas compte. Quelques mètres plus loin, il entendra une voix lui répéter le même avertissement en ajoutant que la propriété où il vient de pénétrer dispose de moyens de défense actifs. Bon, notre crétin continue d’avancer. Des sirènes partout, des lumières rouges, et pourtant il s’entête… Et ensuite, ce pauvre Ian et ce pauvre Georges seront obligés de sortir sa carcasse puante du tunnel. Pas question de la jeter dehors, bien entendu, encore moins de la cacher dans la maison. Non, si quelqu’un trouve la mort en essayant de percer le dispositif de défense, on ne risque pas de trouver son corps, jamais. Tu as vraiment envie de savoir comment on s’y prend ?

— Je suis certaine de ne pas en avoir besoin.

(Un tunnel latéral camouflé, Janet, et un puits sans fond… Je me demande d’ailleurs combien de cadavres s’y trouvent déjà. Janet, tu as l’air aussi tendre que la rosée du matin… et tu as toutes les chances de survivre à ces années dingues. Ton esprit est aussi gracieux que celui d’une Médicis…)

— Moi non plus. Est-ce qu’il y aurait autre chose que tu désirerais voir ?

— Je ne le crois pas, Janet. Et je ne pense pas non plus que j’aie la moindre chance d’utiliser cette merveilleuse cachette. Nous remontons, à présent ?

— Nous n’allons pas tarder, a dit Janet en posant les mains sur mes épaules. Qu’est-ce que tu m’as chuchoté à l’oreille ?

— Je croyais que tu l’avais entendu.

— Oh oui ! je l’ai entendu.

Elle m’a attirée contre elle et c’est à cette seconde que le terminal s’est illuminé.

— Le déjeuner est prêt !

Elle a pris un air accablé.

— Voilà comment périssent toutes les bonnes choses !

13

Ce fut un repas délicieux. Il y avait un pot-au-feu entouré de radis, de céleri, d’échalotes, de noisettes, de fromage mariné, de pickles, de petits pains. Il y avait aussi du pain à l’ail tartiné de beurre tout frais. Georges s’occupait du bouillon avec des gestes majestueux et la dignité d’un maître d’hôtel, maniant une énorme louche. Quand je me suis assise, Ian a noué une gigantesque serviette autour de mon cou.

— Maintenant, tu peux manger comme une petite truie, m’a-t-il dit.

J’ai goûté le bouillon.

— C’est certain. Janet, depuis combien de temps cuit ce bouillon ? Depuis hier ?

— Faux ! s’est écrié Ian. La grand-mère de Georges lui a légué ce bouillon dans son testament.

— C’est quelque peu exagéré, a protesté Georges. Ma très chère mère, Dieu la protège, a entamé la préparation de ce potage l’année de ma naissance. Ma sœur aînée avait toujours espéré le recevoir en héritage, mais elle a épousé un Canadien britannique – une mésalliance, en quelque sorte – et c’est moi qui ai hérité. J’ai tout fait pour maintenir la tradition. Mais je pense cependant que le bouquet était bien supérieur du temps de ma mère.

— Je ne comprends absolument pas ce genre de chose, ai-je répondu. Tout ce que je sais, c’est que ce bouillon n’a jamais cuit dans une marmite.

— Je l’ai commencé la semaine dernière, a dit Janet. Mais ensuite, c’est Georges qui s’en est emparé. Il s’y connaît mieux que moi.

— Tout ce que je connais du bouillon, c’est le manger. Je pense qu’il y en a suffisamment pour tout le monde.

— Rien de neuf aux informations ? a demandé Janet.

— Et cette bonne vieille règle ? Pas question durant le repas…

— Ian, mon amour, tu devrais savoir depuis le temps que mes commandements s’appliquent aux autres et non à moi. Maintenant, réponds-moi.

— Pas de changements en général. Plus d’assassinats. S’il y a eu quelque revendication pour les troubles de ces dernières heures, notre bon vieux gouvernement paternaliste a choisi de n’en rien dire. Bon sang ! qu’est-ce que je peux détester cette attitude : « Papa sait ce qui est bien pour toi. » Mais papa ignore dans quelle merde nous nous trouvons. S’il avait une meilleure solution à nous proposer, de toute façon nous n’en serions pas là. Ce qui est certain, c’est que le gouvernement utilise à plein la censure. Ce qui sous-entend que nous ne savons rien, en fait. J’ai bien envie de tirer sur quelqu’un.

— Tu ne crois pas que ça suffit comme ça ? A moins que tu ne désires rejoindre les Anges du Seigneur ?

— Quand on dit ce genre de chose, on fait un petit sourire… Janet, quelquefois tu es trop raisonnable. Ce qui me tue, vois-tu, c’est ce grand trou dans les bulletins d’informations… sans la moindre explication.

— Oui ?…

— Les multinationales. Tous les bulletins jusqu’ici concernent les États, mais il n’est pas question des sociétés. Pourtant, n’importe quel idiot sait où se trouve le pouvoir aujourd’hui. Est-ce que ces crétins assoiffés de sang le savent seulement ?

— Mon vieux, a dit doucement Georges, c’est peut-être bien pour cette raison que les sociétés n’ont pas été désignées comme cibles éventuelles.

— Mais…

Ian s’est interrompu.

— Ian, ai-je dit, le jour où nous nous sommes rencontrés, tu m’as dit qu’il n’existait aucun moyen de frapper un État corporatif. Tu m’as parlé de la Russie et d’IBM.

— Je n’ai pas vraiment dit ça, Marj. J’ai dit que la force militaire pourrait bien être sans effet contre une multinationale. D’ordinaire, quand ils se font la guerre, les géants se servent d’argent, de représentants. Ils jouent sur des manœuvres qui impliquent des banquiers, des hommes de loi, plutôt que la violence. Oh ! d’accord, il leur arrive de combattre avec des armées de mercenaires, mais ce n’est pas réellement leur style et, en tout cas, ils se refusent à l’admettre. Mais nos petits rigolos qui se déchaînent en ce moment utilisent précisément les moyens avec lesquels on peut atteindre une multinationale : assassinat et sabotage. Et c’est tellement évident que je suis très fâché de ne pas en entendre parler du tout ; Ce qui m’amène à me demander ce qui se passe réellement et que l’on nous cache…

J’ai avalé un gros morceau de pain perdu qui avait trempé dans ce bouillon des dieux et j’ai dit :