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— Ian… est-il possible qu’une ou plusieurs multinationales mènent tout ce cirque… en utilisant des mannequins ?

Ian s’est assis si brusquement qu’il a renversé son assiette.

— Marj, franchement, tu me stupéfies. Si je t’ai remarquée, tu sais, c’est essentiellement pour des raisons qui n’ont rien à voir avec ton esprit et ton intelligence…

— Je m’en serais doutée.

— Mais quand même, tu as un cerveau. Par exemple, tu as mis immédiatement le doigt sur les vices de contrat de la compagnie pour l’emploi des pilotes artificiels… Et je compte bien me servir de tes arguments quand je serai à Vancouver. Et voilà maintenant que tu trouves ce qui ne va pas dans tout cet imbroglio dément… En fait, tu as découvert la seule pièce du puzzle qui donne un sens à l’ensemble…

— Je n’en suis pas certaine. Mais, si j’en crois les bulletins d’informations, il y a eu des assassinats, des sabotages et des attentats sur toute la planète aussi bien que sur la Lune et Cérès… Ce qui implique des centaines ou même des milliers de personnes, plus probablement. L’assassinat et le sabotage sont des boulots de spécialistes qui exigent une certaine formation. Les amateurs, lorsqu’ils sont recrutés, ont tendance à gâcher le travail, la plupart du temps. Donc, tout cela signifie une importante somme d’argent. Beaucoup, beaucoup d’argent. Ce qui exclut un groupe de dissidents politiques plus ou moins fêlés ou une organisation religieuse. Qui peut disposer de suffisamment d’argent pour une démonstration de force à l’échelle planétaire ? Je n’ai pas le moindre nom sur la langue, mais j’attends vos suggestions…

— Oui, je crois que tu as trouvé la solution. A défaut de savoir exactement « qui ». Marj, qu’est-ce que tu fais exactement dans la vie quand tu ne te trouves pas avec ta famille de South Island, en Nouvelle-Zélande ?

— Je n’ai pas de famille à South Island, Ian. J’ai divorcé d’avec mes époux et mes sœurs de groupe.

(En disant cela, je me sentis aussi choquée qu’il le semblait.)

Le silence s’installa autour de nous. Puis Ian me déclara avec beaucoup de calme :

— Je suis vraiment désolé, Marjorie.

— Mais il n’y a pas de raison, Ian. C’était une simple correction d’erreur. Je ne retournerai pas en Nouvelle-Zélande. Mais j’aimerais bien aller jusqu’à Sydney pour rendre visite à Betty et Freddie, cependant.

— Oui, je suis sûr que ça leur ferait plaisir.

— Ils m’ont invitée tous les deux. Ian, Freddie enseigne quoi exactement ? Nous n’en avons jamais parlé…

— Federico est un bon collègue à moi, intervint Georges. Ma chère Marjorie, c’est grâce à cet heureux tour du destin que je me trouve ici aujourd’hui.

— C’est exact, dit Janet. Chubbie et Georges ont découpé des gènes en tranches tous les deux à McGill et c’est comme ça que Georges a fait la connaissance de Betty. Betty me l’a envoyé et je l’ai recueilli, pauvre petit chat…

— Georges et moi avons fait un marché, dit Ian. Nous n’avions ni l’un ni l’autre le droit de diriger Janet… Exact, Georges ?

— Tu as mille fois raison, mon frère. A supposer que nous puissions l’un ou l’autre diriger Janet un jour.

— Et moi, j’ai bien du mal à vous diriger, a conclu Janet. Je ferais mieux d’engager Marj pour m’aider. Marj, qu’en dis-tu ?

Je ne l’ai pas prise au sérieux car j’étais persuadée qu’elle ne l’était pas. En fait, tout le monde bavardait pour essayer d’oublier la petite bombe que je venais sournoisement de leur glisser. Nous le savions tous. Mais étais-je donc la seule à m’apercevoir qu’on ne faisait plus allusion à ma profession ? Je savais ce qui s’était passé. Mais pour quelle raison ce niveau profond de mon cerveau venait-il de décider d’accorder une telle importance à ce sujet ? Pour rien au monde je n’étais prête à révéler les secrets du Patron !

Tout à coup, j’avais une envie fébrile de l’entendre. Quel rôle jouait-il dans ces événements étranges, pour autant qu’il jouât un rôle ?… Et si oui, de quel côté se trouvait-il ?

— Un peu de potage, chère jeune fille ?

— Interdit de lui en donner jusqu’à ce qu’elle me le demande.

— Mais enfin, Janet, tu n’étais pas sérieuse. Georges, si je reprends encore du bouillon, je vais reprendre également du pain à l’ail, et du poids par la même occasion. Non, ne me tente pas.

— Encore un peu cependant ?

— D’accord… mais rien qu’un petit peu.

— Je suis très sérieuse, insista Janet. Je n’essaie pas de te séduire parce que tu ne dois pas être très chaude pour le régime matrimonial en ce moment. Mais tu devrais y réfléchir et, dans un an, nous en reparlerons. Si tu le veux bien. En attendant, tu seras ma petite biche familière… et ces deux vieux boucs seront autorisés à se trouver dans la même pièce que toi seulement si je les en juge dignes.

— Un instant ! lança Ian. Qui l’a amenée ici ? C’est moi. Marj est ma petite amie.

— Si j’en crois Betty, ce serait plutôt la petite amie de Freddie. De toute façon, c’était hier, et à présent, elle est à moi. Si l’un ou l’autre d’entre vous désire lui parler, il faudra venir me voir et présenter votre ticket. N’est-ce pas, Marjorie ?

— C’est comme tu veux, Janet. Mais tout cela est théorique, puisqu’il faudra bien que je parte. Est-ce que vous avez une carte à grande échelle de la frontière ? De la frontière sud, j’entends…

— Demande à l’ordinateur. Si tu veux une copie, utilise le terminal de mon bureau… juste à côté de ma chambre.

— Je ne voudrais pas interférer avec les informations.

— Aucun risque. Nous pouvons isoler n’importe quel terminal des autres. Ce qui est nécessaire dans une maison où ne vivent que des individualistes purs et durs.

— C’est surtout valable pour Janet, insista Ian. Marj, est-ce que tu veux une grande carte de la frontière avec l’Imperium ?

— Je préférerais rentrer en métro. Mais c’est impossible apparemment. Donc, je dois bien trouver un autre moyen.

— C’est bien ce que je pensais. Chérie, il va falloir que je cache tes chaussures. Est-ce que tu comprends seulement que tu peux être abattue à tout moment en essayant de passer la frontière ? Des deux côtés, les gardes ont le doigt sur la détente…

— D’accord… mais je peux quand même jeter un coup d’œil sur la carte, non ?

— Certainement… si tu promets de ne pas essayer de traverser la frontière.

— Mon frère, intervint Georges d’un ton très doux, nul ne devrait induire son prochain en tentation de mensonge…

— Georges a parfaitement raison, dit Janet. Il n’est pas question de promesse forcée. Vas-y, Marj. Fais ce que tu veux. Ian, tu m’as proposé de m’aider.

J’ai passé les deux heures suivantes dans ma chambre, à mémoriser la frontière devant le terminal. Puis je suis passée à divers points de détail au grossissement maximal. J’ai appris certains détails par cœur. Il n’existe pas de frontière vraiment infranchissable, pas même celles des Etats totalitaires cernés de murailles. D’ordinaire, les meilleures voies d’accès passent à proximité des ports. Souvent, les itinéraires des contrebandiers sont plus sûrs et plus anciens. Mais il était hors de question que je suive un itinéraire connu.

Il existait plusieurs ports non loin de nous : Emerson Junction, Pine Creek, South Junction, Gretna, Maida, etc. Je me suis aussi intéressée un instant à Roseau River, mais elle se jetait au nord dans la Red River, ce qui ne m’arrangeait pas. De toute façon, la carte n’était pas très précise.

Au sud-sud-est de Winnipeg, il y avait une langue de terre bizarre dans le lac des Bois. Les couleurs de la carte la désignaient comme appartenant à l’Imperium et aucun signe ne montrait qu’il était interdit de franchir la frontière à cet endroit. A condition d’accepter une bonne marche de plusieurs kilomètres en terrain éminemment marécageux. Je ne suis pas vraiment Superwoman. Ces marais pouvaient très bien m’avaler à tout jamais. Mais ce secteur non gardé de la frontière était terriblement tentant. Finalement, j’y ai renoncé. Ce bout de terre faisait partie de l’Imperium, d’accord, mais il en était séparé par vingt et un kilomètres d’eau. Voler un bateau ? J’étais prête à parier avec moi-même que n’importe quelle embarcation traversant ce bras d’eau déclencherait l’alerte en coupant un faisceau ou un autre. Et ensuite, les lasers se mettraient en action et il ne serait plus tellement pratique d’avancer avec un trou dans la coque gros comme un boxer de deux ans. Pas moyen de discuter avec les lasers, ni de les acheter. Non, définitivement non : j’ai chassé cette idée de mon esprit.