Avec « Rocks », ce fut plus difficile. Il fallait jouer C plus A. Il avait une haleine abominable. De toute façon, rien n’était propre chez lui et il me fallut un certain effort pour arriver à l’oublier et pour flatter son ego macho par mes réactions.
Quand il fut flasque, il dit :
— Mac, on perd notre temps. Cette salope y prend plaisir !
— Alors, laisse tomber. Le gamin va essayer encore une fois. Il est prêt.
— Non, pas tout de suite. D’abord, je vais lui donner une ou deux tartes. Peut-être que ça lui apprendra à prendre ça au sérieux.
Il m’a cognée très dur, sur la pommette gauche, et j’ai poussé un glapissement.
— Ça suffit !
C’était la voix de « Petit Patron ».
— Comment ? Eh ! Mac, tu prends la grosse tête !
— Moi, je te dis que ça suffit ! (C’était une voix nouvelle, amplifiée, sans doute diffusée par un haut-parleur dans le plafond.) Rocky, Mac est ton chef d’équipe, tu le sais. Mac, envoie-moi Rocky. J’ai deux mots à lui dire.
— Mais, Major, j’essayais seulement d’aider !
— Rocks, dit calmement « Petit Patron », tu l’as entendu. Allez, remonte ton pantalon et fonce.
Brusquement, je ne sentis plus le poids du type sur moi et je n’avais plus son haleine puante dans les narines. Le bonheur est une chose très relative.
— Mac, reprit la voix qui venait du plafond, est-ce que c’est vrai que miss Vendredi prend plaisir à la petite cérémonie que nous lui avons préparée ?
— C’est possible, Major, dit lentement « Petit Patron ». On dirait bien, en tout cas, à la façon dont elle se comporte.
— Qu’est-ce que vous en dites, Vendredi ? C’est comme ça que vous aimez prendre votre pied ?
Je n’ai pas répondu à sa question. Mais j’ai émis quelques commentaires détaillés sur sa famille, et plus particulièrement sur sa mère et son père. Si je lui avais dit la vérité – que « Petit Patron » aurait pu être agréable en d’autres circonstances, que « Le Petit » et l’autre type m’étaient indifférents, mais que « Rocks » était une immondice que je détruirais à la première occasion –, j’aurais bousillé la méthode C.
— La même chose pour toi, ma jolie, me répondit la voix avec un accent joyeux. Heureux de vous décevoir, mais je suis un bébé de la crèche. Je ne suis même pas une femme, encore moins une mère ou une sœur. Mac, mets-lui les menottes et jette une couverture dessus. Mais pas de piqûre. Je lui parlerai plus tard.
Amateur. Jamais mon Patron ne préviendrait un prisonnier qu’il doit s’attendre à un interrogatoire.
— Eh ! le bébé de la crèche !
— Oui, ma chérie ?
Je l’ai accusé d’avoir un vice qui ne requérait ni mère ni sœur mais qui est possible anatomiquement pour certains mâles – du moins à ce que l’on m’a dit.
— Mais bien sûr, ma douce, tous les soirs, me répondit la voix. C’est très bon pour les nerfs.
Un point pour le Major. Je me suis dit qu’avec un peu d’entraînement, il aurait pu être un pro. Mais malgré tout, c’était un foutu amateur et je n’avais pas le moindre respect pour lui. Il avait gaspillé un homme, peut-être deux, et deux heures de temps, ou plus. Et je lui devais des contusions et des ecchymoses inutiles, plus de multiples outrages personnels – dont certains auraient pu être dramatiques pour une femelle non entraînée. Si le prisonnier ou la prisonnière avait eu affaire à mon Patron, il aurait très vite craché ses tripes et en deux heures il aurait balancé ses moindres souvenirs dans un micro.
« Petit Patron » se donna la peine de m’accompagner jusqu’à la salle de bains et il attendit tranquillement pendant que je pissais, sans en tirer le moindre profit. Et ça aussi, c’était très amateur. Une technique très utile, à effet cumulatif, quand on interroge un amateur (et non un pro) consiste à l’obliger à briser ses habitudes d’hygiène. Pour la fille qui a toujours vécu à l’abri des mauvais traitements ou pour le mâle doté d’un amour-propre excessif (ce qui est le cas de la plupart des mâles), c’est au moins aussi efficace que la souffrance, presque équivalent à d’autres humiliations.
Je ne crois pas que Mac était au courant de cela. Je me le représentais en gros comme un être assez convenable, malgré son penchant, ou plutôt mis à part son penchant pour le viol – penchant partagé par un nombre notable de représentants du sexe masculin, si l’on en croit les différents rapports sexuels.
Quelqu’un avait remis le matelas en place sur le lit. Mac m’y accompagna et me dit de m’étendre en écartant les bras. Avec les menottes, il m’attacha aux pieds du lit. Elles n’étaient pas du modèle police courant, mais d’un type spécial, doublées de velours, le genre de truc dont les débiles se servent pour les jeux sadomasos. Je me suis demandé si c’était le Major le pervers.
Mac s’assura qu’elles n’étaient pas trop serrées avant de me mettre une couverture. Je n’aurais pas été surprise qu’il m’embrasse en me souhaitant bonne nuit. Mais il s’en abstint et il sortit sans un mot.
Selon la méthode C, est-ce que j’aurais dû lui rendre son baiser ou le repousser ? Intéressante question. La méthode C est fondée sur le principe du c’est-plus-fort-que-moi, et elle requiert un jugement précis quant à l’instant où il convient de montrer quelque enthousiasme et à quel degré. Si le violeur en vient à soupçonner sa victime de simuler, elle a perdu.
J’en étais venue à décider, un peu à regret, qu’il fallait refuser ce baiser hypothétique, quand je sombrai dans le sommeil.
On ne me permit pas de dormir suffisamment longtemps. Tout ce qui m’était arrivé m’avait épuisée et je m’étais abîmée dans un sommeil lourd quand une gifle me réveilla. Ce n’était pas Mac, mais « Rocks », bien sûr. Il ne m’avait pas frappée aussi violemment qu’auparavant, mais c’était tout aussi inutile. J’eus l’impression qu’il me tenait rigueur de la leçon qu’il avait dû recevoir du Major… et je me promis de procéder très lentement quand l’heure serait venue pour moi de le liquider.
— Mac a dit de ne plus la frapper ! dit « Le Petit », quelque part.
— Je ne l’ai pas frappée. C’était juste une petite tape amoureuse pour la réveiller. Ferme-la et occupe-toi de tes affaires. Tu te mets là et tu la braques avec ton flingue. Pas moi, crétin, elle !
Ils me conduisirent au sous-sol, dans l’une de nos propres chambres d’interrogatoire. « Le Petit » et « Rocks » sortirent. Du moins, je présumai que « Le Petit » était parti. Pour « Rocks », j’en étais certaine, à cause de l’odeur. Une équipe d’interrogatoire me prit en main. J’ignore combien ils étaient ou qui ils étaient parce qu’ils ne dirent pas un mot. La seule voix que j’identifiai était celle du « Major ». Mais elle semblait toujours venir d’un haut-parleur.
— Bonjour, miss Vendredi.
(Bonjour ? C’était donc le matin ? Ça me semblait peu probable.)
— Comment ça va, bébé-crèche ?
— Je suis heureux de vous voir en forme, ma chère, car cette séance risque très probablement d’être longue et fatigante. Et même désagréable. Je veux tout connaître de vous, mon amour.
— C’est parti. Par quoi commençons-nous ?
— Parlez-moi de ce voyage que vous avez fait, jusqu’au moindre détail. Et décrivez-moi l’organisation à laquelle vous appartenez. Je ferais peut-être bien de vous dire que nous connaissons beaucoup de choses sur vous, très chère. Donc, si vous venez à mentir, je le saurai. Je ne veux pas une seule petite craque, car je risque de regretter ce qui se passera alors et vous encore plus.