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Je ne suis pas parvenue à faire admettre à ce foutu terminal qu’il était impossible de téléphoner dans l’Imperium. Ce petit désastre digital n’avait pas été programmé pour dire non. Il était poli, un point c’est tout. Bon sang ! quel soulagement j’aurais éprouvé s’il s’était mis à débiter tout à coup : « Ça suffit, pétasse. Tu l’as déjà dit. »

Ensuite, j’ai tenté d’appeler la poste de Bellingham pour savoir quelle était la situation du courrier avec l’Imperium. Je veux dire : lettres, télégrammes, colis, rien d’électronique…

J’ai eu droit à une conférence sur le thème : « Faites vos envois de Noël avant la date. » Pour ça, il n’y avait rien d’urgent.

J’ai recommencé. Je me suis fait rembarrer sur les numéros de code postal.

J’ai essayé une troisième fois. Je suis tombée sur le service clientèle de Macy’s[11] : « Nous vous prions d’attendre. Tous nos aimables employés sont pour l’instant occupés. »

Je n’ai pas attendu.

Je ne voulais pas téléphoner, encore moins envoyer une lettre : je voulais avoir affaire au Patron en personne. Pour cela, il me fallait du liquide. Le terminal dégoulinant de politesse me fit savoir que le bureau local de la MasterCard se trouvait représenté à Bellingham par les bureaux de la TransAmerica. J’ai donc composé leur code et j’ai immédiatement entendu une voix très douce, pas du tout synthétique.

— Nous vous remercions d’avoir appelé MasterCard. Dans un souci de sécurité et d’épargne, les fonds de nos millions de clients de la Confédération californienne ont été centralisés à notre siège de San José. Pour le service express, veuillez utiliser le code inscrit au verso de votre carte.

Ma carte avait été émise à Saint Louis et elle ne possédait sans doute pas le code de San José mais seulement celui de l’Impérial Bank de Saint Louis. J’ai pourtant essayé, sans trop d’espoir.

Comme réponse, j’ai eu : « Composez une prière. »

Pendant qu’un ordinateur m’enseignait l’humilité, Georges lisait leLos Angeles Times.

— Georges, que disent-ils de l’état d’urgence ?

— Quel état d’urgence ?

— Pardon ?

— Vendredi, mon amour, la seule urgence concerne un avertissement du Sierra Club concernant certaines espèces de Rhus diversiloba apparemment en danger. Ils envisagent une manifestation devant la Dow Chemical. Autrement, à l’Ouest rien de nouveau…

J’ai plissé le front pour stimuler un peu ma mémoire.

— Georges, je ne connais pas grand-chose à la politique californienne mais…

— Ma chérie, personne n’y connaît grand-chose, y compris les politiciens eux-mêmes.

— Pourtant, il me semble avoir entendu parler d’une bonne dizaine d’assassinats dans la Confédération. Des personnalités de premier rang auraient été éliminées. Est-ce que tout ça ne serait pas un canular ? Prenons les divers fuseaux horaires concernés. Ça nous donne combien ? Trente-cinq heures ?

— J’ai relevé des avis de décès concernant effectivement des hommes et des femmes importants dans les informations de la nuit précédente… mais il n’était pas question d’assassinats. Pour l’un, on parle d’« accident avec une arme à feu ». Il y a également un « décédé des suites d’une longue et douloureuse maladie », un « accident inexplicable » pour lequel le procureur a demandé une enquête. Mais il me semble justement qu’elle a été abandonnée aussi.

— Mais que se passe-t-il, Georges ?

— Je l’ignore absolument, Vendredi. Mais je crois qu’il serait périlleux de chercher à en savoir trop actuellement.

— Oh ! je n’ai pas l’intention de me livrer à une enquête. Je ne me suis jamais mêlée de politique et je n’ai pas l’intention de commencer. Mais je suis décidée à regagner l’Imperium aussi vite que possible. Pour ça, j’ai besoin d’argent liquide, malgré tout ce que peut raconter leLos Angeles Times, car la frontière est bel et bien fermée. Ça me déplaît de vivre sur le compte de Janet avec sa carte Visa. Je pourrais peut-être utiliser la mienne, mais il faut que j’atteigne au moins San José. Est-ce que tu veux m’accompagner ? Ou bien préfères-tu rejoindre Ian et Janet ?

— Ma douce petite, je dépose à tes pieds tous mes biens terrestres. Mais je désire quand même aller avec toi jusqu’à San José. Et pourquoi veux-tu m’interdire d’entrer dans l’Imperium ? Ton employeur n’aurait-il pas un emploi pour quelqu’un d’aussi doué que moi ? Tu sais très bien qu’il m’est impossible de regagner le Manitoba…

— Georges, je ne veux rien t’interdire, mais la frontière est vraiment fermée… ce qui peut m’obliger à jouer les Dracula pour passer par n’importe quelle fente de la muraille. Je sais faire cela. On me l’a appris. Mais je le fais seule. Tu es dans le métier et tu comprends certainement ce que je veux dire. Et puis, nous ignorons exactement ce qui se passe dans l’Imperium, mais nous savons que ce n’est pas très agréable. Quand je serai là-bas, il se peut que j’aie à me démener pas mal pour essayer de sauver ma peau. Et cela aussi, on me l’a appris.

— Oui, je sais, Vendredi : tu as été améliorée, et pas moi. Oui, je comprends…

— Georges chéri ! Je ne voulais pas te blesser. Écoute : dès que je serai arrivée, je t’appellerai. Où que tu sois. Et si j’ai la certitude que tu peux franchir la frontière sans danger, je te le dirai.

(Georges au service du Patron ? Impossible ! Ou bien… Oui, le Patron pouvait avoir besoin d’un ingénieur généticien expérimenté, après tout… En fait, en y pensant bien, je n’avais pas la moindre idée des besoins du Patron ni des emplois disponibles hormis dans mon strict petit domaine.)

— Georges, est-ce que tu es sérieux quand tu parles de rencontrer mon patron pour un emploi éventuel ? Est-ce que je dois lui en parler ?

Georges eut ce doux sourire qu’il utilisait pour dissimuler ses pensées, tout comme moi mon visage photo-passeport.

— Comment puis-je savoir, Vendredi ? Tout ce que je connais de ton employeur, c’est que tu n’en parles qu’avec réticence et qu’il peut se servir de toi comme d’une messagère. Mais je crois que je suis plus à même que toi d’évaluer avec précision tout ce qu’il a fallu investir pour te créer, te conditionner, te former… ainsi que le prix qu’il a fallu payer pour racheter tes contrats.

— Je n’ai aucun contrat. Je suis libre.

— En ce cas, cela a dû coûter encore plus cher à ton employeur. Mais ne m’en veux pas, chérie : je vais arrêter là le jeu des supputations. Est-ce que je suis sérieux ? Il faut toujours s’interroger sur ce qui vous attend. Je vais te donner mon curriculum vitae. S’il s’y trouve quoi que ce soit d’intéressant, je suis certain que ton employeur me fera signe. Maintenant, parlons argent. Tu n’as aucun souci à te faire à propos des finances de Janet : pour elle, l’argent ne signifie rien. Mais je suis là, moi aussi, pour te tirer d’affaire si tu as besoin de liquide. J’ai déjà fait le nécessaire pour que mes cartes de crédit soient honorées ici en dépit de la situation. J’ai utilisé le Crédit Québec pour notre petit breakfast de minuit, j’ai réglé notre brunch avec Maple Leaf, et ici j’ai fait débiter mon compte American Express. J’ai trois cartes parfaitement valides. (Il a eu un immense sourire.) Alors, petite fille, tu peux parfaitement vivre à mes crochets.

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11

Macy’s, apparemment, est toujours «le plus grand magasin du monde», à New York… (N.d.T.)