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Et alors ?… Pourquoi m’étais-je donc mêlée de cette histoire ? J’aurais pu laisser le tueur faire son travail et descendre le vénéré chef de la Confédération californienne avec son chapeau si ridicule et tellement repérable.

Mais j’avais été conditionnée pour cela, ne l’oubliez pas. J’avais tout simplement obéi à mes réflexes. Me battre ne me passionne pas. Vraiment. Mais je le fais, un point c’est tout. C’est comme ça.

Mais je n’ai pas eu trop le temps de m’appesantir sur mes responsabilités : Georges venait de prendre les siennes. Jusqu’à présent, je l’avais entendu pratiquer un anglais canadien presque parfait, et voilà qu’il s’exprimait en français, de façon violente, incohérente, tout en essayant de me dégager de l’emprise de mes deux prétoriens.

L’homme aux lunettes m’a lâché le bras gauche parce qu’il essayait de repousser Georges, et je lui ai envoyé un coup de coude juste en dessous du sternum. Il a poussé un très gros soupir avant de s’effondrer. L’autre se cramponnait toujours à mon bras droit. Je l’ai frappé au même endroit que l’autre, juste avec trois doigts de ma main gauche. Il est tombé sur son camarade et ils se sont mis à vomir tous les deux en même temps.

Tout cela s’est passé évidemment plus vite que je ne le raconte. En deux secondes, peut-être, entre le moment où Georges est intervenu et celui où je me suis libérée. En tout cas, l’assassin avait disparu.

Je m’apprêtais à l’imiter. Et j’étais prête à porter Georges. Mais il avait déjà décidé pour moi. Il me tenait par le coude et nous grimpions vers l’entrée du palais, au-delà des colonnes. Comme nous pénétrions sous la coupole, il me souffla :

— Doucement, maintenant, chérie… doucement… Prends mon bras.

J’ai obéi. Il y avait pas mal de monde sous la coupole mais l’ambiance était plutôt calme. Impossible de deviner ici que le chef de l’exécutif venait juste d’échapper à un attentat. Les loges de pari et de loterie étaient bondées. A quelques pas sur notre gauche, une jeune femme vendait des billets de loterie, ou du moins telle était son intention car je ne voyais aucun client à proximité et elle semblait surtout s’intéresser au feuilleton projeté sur son terminal.

Georges s’approcha d’elle. Sans même lever les yeux, elle lui dit :

— Ça va bientôt être fini. Je suis à vous tout de suite. Faites un petit tour.

Les loges occupaient toute la périphérie. Georges parut soudain leur porter un intérêt intense et surprenant, et je l’imitai. Quelques minutes s’écoulèrent. Les publicités succédèrent au feuilleton, et la jeune femme coupa brusquement le son avant de s’intéresser à nous.

— Je vous remercie d’avoir attendu, dit-elle avec un sourire aimable. Je ne manque jamais Chagrin de femme. Surtout que Mindy Lou est encore une fois enceinte et que son oncle prend ça très mal… Vous suivez ça, ma chérie ?

Je lui ai dit que je n’en avais pas vraiment le temps, à cause de mon travail.

— Quel dommage… C’est très instructif, vous savez. C’est comme Tim, mon petit copain : il ne regarde que le sport. Et il manque tout ce qu’il y a de meilleur dans la vie. Le problème de Mindy Lou, par exemple. Son oncle Ben ne la persécute que parce qu’elle ne veut pas lui dire qui l’a mise enceinte. Ça, Tim s’en fiche. Ce que personne ne comprend, c’est qu’elle ne peut rien dire parce que la chose s’est passée pendant une réunion de district. Dites-moi : vous êtes née sous quel signe ?

Je devrais toujours avoir la même réponse prête pour ce genre de question parce que, inévitablement, les gens la posent, quelles que soient les circonstances. Mais quand on n’est pas vraiment né, on a tendance à évacuer ce genre de problème. J’ai pris une date au hasard.

— Un 23 avril.

Shakespeare est né un 23 avril. Ça m’était venu comme, ça…

— Ah, oui ? Alors, j’ai un billet de loterie pour vous ! Vous voyez ? Quelle veine ! Vous tombez comme ça et j’ai précisément ce qu’il vous faut. Ça ne coûte que vingt ours[12].

Je lui ai tendu un billet d’un dollar canadien.

— Ah ! je n’ai pas la monnaie.

— Gardez tout. Ça me portera chance.

Elle a pris le billet.

— Chérie, vous êtes quelqu’un qui me plaît. Quand vous viendrez chercher votre argent, nous prendrons un verre. Et vous, monsieur, vous avez trouvé le numéro qui vous plaît ?

— Pas encore. Je suis né le neuvième jour du neuvième mois de la neuvième année de la neuvième décennie. Est-ce que vous avez une solution à me proposer ?

— Mmm ! Quel mélange affreux ! Je vais essayer… Et si je n’y arrive pas, je ne vous vends rien, d’accord ?

Elle a plongé dans ses piles de billets et de diagrammes en chantonnant doucement. Puis elle a regardé sous le comptoir, a farfouillé un peu partout. Finalement, elle a refait surface avec un sourire rayonnant, en brandissant un billet de loterie.

— Je l’ai ! Regardez un peu ça !

Le numéro était le 8109999.

— Je suis très impressionné, a déclaré Georges.

— Impressionné ? Mais vous êtes riche ! Il y a les quatre neuf dont vous avez besoin. Maintenant, ajoutez les nombres impairs. Vous avez neuf encore une fois. Faites la division. Encore une fois neuf. Ajoutez les quatre derniers chiffres. Ça nous fait trente-six. Non… quoi que vous fassiez, vous trouverez toujours les données de votre naissance. Qu’est-ce que vous désirez, monsieur ? Des danseuses ?

— Je vous dois combien ?

— Là, le chiffre est spécial. Vous pouvez avoir n’importe quel autre numéro pour vingt ours. Mais celui-là… Je vous propose une chose : mettez de l’argent devant moi jusqu’à ce que je vous fasse un sourire.

— Ça me semble correct. Et si vous ne souriez pas au moment où je pense que vous devriez sourire, je reprends mon argent, c’est ça ?… Et je m’en vais.

— A moins que je ne vous rappelle.

— Non, pas question. Si vous ne me proposez pas un prix fixe, je ne vous laisserai pas discuter.

— Eh ! vous êtes plutôt dur. Je voulais seulement…

L’hymne américain a éclaté tout à coup dans tous les haut-parleurs, suivi du Golden Bear Forever californien.

— Attendez ! Ça sera bientôt fini ! a crié la jeune femme.

Une foule de gens a franchi le seuil et traversé la coupole en suivant le couloir principal. J’ai repéré aussitôt notre Chef emplumé mais, cette fois, il était bien entouré et un assassin éventuel aurait eu du mal à l’atteindre.

Quand il fut possible d’entendre de nouveau quelque chose, la jeune femme nous a dit :

— Il est sorti il y a moins d’un quart d’heure. Si ça n’était pas pour quelque chose de sérieux, je me demande bien pourquoi il n’a pas envoyé quelqu’un à sa place. Tout ce boucan, ça n’est bon pour personne. Et alors, vous avez décidé quel prix vous étiez prêt à mettre pour être enfin riche ?

— Oh, oui ! a déclaré Georges d’un air grave en posant un billet de trois dollars devant elle sans la quitter des yeux.

Pendant plusieurs longues secondes, leurs regards se sont affrontés. Puis elle a dit d’un air triste :

— Je souris. Oui, je pense que je souris. (Elle a pris les trois dollars d’une main et tendu le billet de loterie de l’autre.) Je crois quand même que j’aurais pu vous soutirer un dollar de mieux.

— Ça, on ne le saura jamais, pas vrai ?

— Quitte ou double ?

— Avec vos cartes ? a demandé doucement Georges.

— Je crois que vous allez m’épuiser. Disparaissez avant que je ne change d’idée.

— Les toilettes ?

— Au fond du couloir à ma gauche. Eh ! admirez le dessin en passant.

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12

L’animal symbole de la Californie. (N.d.T.)