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Tandis que nous nous dirigions vers les toilettes, Georges me dit tranquillement, en français, que des gendarmes étaient passés pendant que nous discutions, qu’ils avaient fouillé les toilettes, et qu’ils étaient revenus sous la coupole.

Je l’ai interrompu – en français également – pour lui dire que je savais cela mais que le coin devait être truffé d’Yeux et d’Oreilles et qu’il valait mieux ne pas parler.

Mais je ne voulais pas le rembarrer. Il avait réussi à discuter tranquillement du prix des billets de loterie pendant que les gardes nous cherchaient. Pas mal. Du vrai travail de professionnel.

Mais il ne fallait pas que je lui dise ça tout de suite. A l’entrée des toilettes, une personne de sexe indéterminé vendait des tickets. Je lui ai demandé où étaient les toilettes dames. Il ou elle ?… Les deux petits mamelons que je distinguais sous son T-shirt pouvaient être faux.

— Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Vous êtes dingue ou quoi ? Vous voudriez qu’on fasse de la discrimination dans les toilettes, c’est ça ?… Oh ! je crois bien que je devrais appeler un flic… (Elle me regarda plus attentivement.) Ou alors vous n’êtes pas d’ici… C’est ça ?…

Oui, j’admis que je n’étais pas du coin.

— Compris. Mais ne dites pas des choses comme celle que vous venez de dire. Ça risque de ne pas plaire. Nous vivons en démocratie, vous comprenez ? C’est la même chose pour tout le monde. Alors, vous prenez un ticket ou vous dégagez l’entrée…

Georges a pris nos deux tickets.

Sur notre droite, en entrant, il y avait une rangée de cabines ouvertes. Au-dessus de chacune, un holo annonçait :

CES TOILETTES SONT A VOTRE DISPOSITION POUR VOTRE HYGIENE ET VOTRE CONFORT, GRATUITEMENT, GRACE A LA CONFEDERATION DE CALIFORNIE – JOHN TUMBRIL, DIT « CRI DE GUERRE », CHEF DE LA CONFEDERATION.

Le tout était surmonté d’un holo grandeur nature du Chef.

Plus loin, les cabines avaient des portes et elles étaient payantes. Au-delà, des rideaux masquaient plusieurs autres portes. L’être qui présidait au bureau de renseignements était de sexe parfaitement déterminé, si j’ose dire : la gouine bouledogue parfait pedigree. Georges me surprit en achetant un flacon de parfum à bon marché et quelques tubes de maquillage. Ensuite, il demanda un ticket pour les cabines du fond, celles qui se trouvaient derrière les rideaux.

— Un seul ticket ? (La créature le regarda d’un air incisif.) Oh, le vilain ! Pas de cochonneries ici, mon grand.

Georges ne répliqua pas. Il lui tendit simplement un billet d’un dollar canadien qui disparut aussitôt.

— Bon, souffla-t-elle. Ne restez pas longtemps. Et si je sonne, essayez d’être présentable en une seconde, d’accord ? Numéro sept, au fond à droite.

Georges a tiré soigneusement le rideau, remonté le zip avant d’ouvrir l’eau froide en grand. Très vite, il m’a dit en français que nous allions transformer notre apparence sans avoir recours à des déguisements.

— … alors, ma chérie, je t’en prie, déshabille-toi et mets ce vêtement que tu as dans ton sac.

Ce qu’il voulait, m’expliqua-t-il plus avant sans cesser de faire du bruit, de tirer la chasse, d’ouvrir et de fermer les robinets, c’était que je porte mon Superskin, que je me maquille de façon outrée, que je finisse par ressembler à une prostituée de Babylone.

— Je sais que ce n’est pas ton métier, ma douce, mais fais ton possible.

— Je vais essayer d’être… « adéquate », c’est cela ?

— Et toc !

— Et tu as l’intention de porter les vêtements de Janet ? Je ne pense pas qu’ils t’aillent, très sincèrement.

— Non, pas question de jouer les travelos.

— Pardon ?

— Je veux dire que je ne vais pas porter des vêtements de femme. Je vais simplement me débrouiller pour avoir l’air efféminé.

— Ça, je veux le voir. D’accord, essaie.

Pour moi, ç’a été facile. Le Superskin, comme une peau mouillée, qui avait attiré Ian, un peu plus de maquillage que d’ordinaire (Georges se chargea de l’opération car il semblait estimer s’y connaître un peu plus que moi dans le domaine, ce qui était vrai), et une démarche un peu plus balancée.

Pour lui, Georges utilisa encore plus de maquillage, s’aspergea de ce parfum vulgaire qu’il avait acheté et se noua autour du cou l’écharpe orange vif qui m’avait servi de ceinture jusqu’à présent. Il me laissa le soin de donner du gonflant à sa coiffure. C’était tout… mais il avait réussi le changement. Il était toujours Georges, mais il n’avait plus rien de l’étalon viril qui m’avait épuisée la nuit précédente.

J’ai bouclé mon sac et nous sommes sortis. La vieille chèvre a ouvert de grands yeux en nous voyant. Mais elle n’a rien dit. L’homme qui se tenait appuyé contre le stand s’est redressé, a pointé le doigt vers Georges et lancé :

— Eh ! vous ! Le Chef veut vous voir. (Et il a ajouté, comme pour lui-même :) Je n’arrive pas à le croire.

Georges a levé les mains, l’air affolé.

— Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! Mais il doit y avoir une erreur, n’est-ce pas ?

Le type a craché le cure-dents qu’il suçait :

— Moi aussi, je le crois, camarade. Mais je n’ai rien à dire et vous non plus. Venez. Pas vous, la fille.

— Il est hors de question que j’aille où que ce soit sans ma chère sœur ! a dit Georges.

La chèvre est intervenue.

— Morrie, elle peut attendre ici. Venez, ma jolie, asseyez-vous là, à côté de moi.

Georges me fit le plus discret des signes de tête, mais c’était inutile. Si je restais, la vieille chèvre n’allait pas tarder à m’accompagner dans une des pièces du fond, ou bien elle allait se retrouver tassée dans une poubelle. Je penchais plutôt pour cette dernière solution. Je suis capable de ce genre de fantaisie même en mission. Et si jamais il me prenait l’envie de changer de camp, ce serait avec quelqu’un que j’aime et que je respecte.

Je me suis approchée de Georges et je lui ai pris le bras.

— Nous n’avons jamais été séparés depuis que maman, sur son lit de mort, m’a fait jurer de prendre soin de lui. (Et j’ai ajouté en prenant un air buté :) Alors…

Pour autant que cela eût quelque signification.

Le nommé Morrie m’a dévisagée, puis il s’est tourné vers Georges avec un soupir.

— Oh, et puis merde ! D’accord, fillette, vous restez avec lui. Mais vous la fermerez, hein ?

Il nous fallut passer six postes de contrôle – à chaque fois on chercha à me déshabiller – avant de nous retrouver en Sa Présence. Ma première impression fut que le Chef John Tumbril était plus grand que je ne l’avais estimé. Mais il ne portait pas sa coiffe de plumes, ce qui expliquait sans doute la différence. Ma deuxième impression fut qu’il était en fait plutôt laid. Comme beaucoup d’autres hommes politiques avant lui, il avait fait de sa laideur une véritable image politique.

(Est-ce qu’il est vraiment nécessaire d’être laid pour gouverner ? En remontant le cours de l’Histoire, il fallait aller jusqu’à Alexandre le Grand pour trouver un homme acceptable qui avait réussi à se frayer un chemin jusqu’au pouvoir.)

Tel quel, John « Cri de Guerre » Tumbril évoquait une grenouille en train de se changer en crapaud. Sans y parvenir, bien entendu.

Il se racla la gorge avant de demander :

— Eh bien, qu’est-ce qu’elle fait ici, celle-là ?

— Monsieur, je dois élever une plainte ! lança Georges. Cet homme… cet homme a tenté délibérément de me séparer de ma sœur adorée ! Il convient que vous le réprimandiez !

Tumbril regarda Morrie, puis me dévisagea, avant de reporter son attention sur le parasite.