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— Ça ne se guérit pas en un jour, chérie. Nous ferons tout notre possible pour ça tous les deux. En tout cas, pour ce qui est de ton crédit, tu n’as pas perdu ton sang-froid.

— Quelqu’un m’a dit un jour (c’était le Patron) qu’il était plus facile d’emprunter un million de dollars que dix. Et quand on m’a posé la question, j’ai instantanément trouvé le chiffre. Mais en dollars canadiens britanniques, ça ne fait pas vraiment ça…

— Je ne vais pas discuter là-dessus. Passé neuf cent mille, c’est curieux, j’ai l’impression de manquer d’oxygène. Ma très chère adéquate, connais-tu seulement le salaire d’un professeur ?

— Est-ce que cela a une quelconque importance ? D’après ce que je sais, le moindre design d’être artificiel peut rapporter plusieurs millions, non ?… Est-ce que cela t’est arrivé ? Ou bien ma question est-elle malvenue ?

— Non. Mais changeons de sujet. Où allons-nous passer la nuit ?

— En moins de quarante minutes, nous pourrions être à San Diego. Ou encore plus rapidement à Las Vegas. A partir de l’une ou l’autre, on peut atteindre l’Imperium. Ecoute-moi, Georges : à présent que j’ai suffisamment d’argent, je dois rentrer et faire mon rapport, même si des fanatiques continuent d’assassiner des représentants des gouvernements. Mais je te jure que je ferai un saut jusqu’à Winnipeg dès que je disposerai de quelques heures.

— Il se pourrait bien que je ne parvienne jamais à regagner Winnipeg, tu sais.

— Alors, nous nous reverrons à Montréal. Écoute-moi, chéri : nous allons échanger toutes les adresses auxquelles nous pouvons nous joindre. Je ne veux pas te perdre. Non seulement tu me traites comme un être humain, mais tu me considères comme adéquate. Tu es parfait pour mon moral. Alors maintenant, tu choisis : ou nous allons à San Diego et nous parlons l’espanglais, ou nous filons jusqu’à Las Vegas pour retrouver des petites dames toutes nues…

17

Nous avons fait les deux. Et nous avons fini à Vicksburg.

La frontière entre le Texas et Chicago était bouclée des deux côtés et j’ai décidé d’abord de tenter de passer par le fleuve. Bien sûr, Vicksburg, c’est encore le Texas, mais ce qui comptait pour moi, c’est que la ville était située à quelques kilomètres de l’Imperium, que c’était un port fluvial de première importance et que la contrebande y régnait.

La ville est divisée en trois parties. Il y a la ville basse, le port, au niveau du fleuve, parfois inondée, et la ville haute, bâtie sur une éminence à quelques centaines de mètres de hauteur, divisée elle-même en ville ancienne et ville nouvelle. La ville ancienne est entourée de ce qui subsiste des champs de bataille d’une guerre depuis longtemps oubliée. Ils sont presque sacrés et il est absolument interdit d’y construire quoi que ce soit. Donc, la ville nouvelle a été érigée au large. Elle est reliée aux vieux quartiers par un ensemble de tunnels et de passages souterrains. Et toute la ville haute est reliée à la ville basse par un réseau complexe d’escalators et de funiculaires qui vont jusqu’aux limites de la cité.

Mais j’avais seulement l’intention de dormir dans la ville haute. Nous nous sommes inscrits au Hilton (qui ressemblait tout à fait au Hilton de Bellingham, jusqu’au Breakfast Bar qui était une copie conforme). Mais le devoir m’appelait dans la zone du port. Georges était un peu triste parce qu’il savait très bien que je ne lui permettrais pas d’aller plus loin avec moi et que nous n’en discuterions plus. En fait, je lui avais même interdit de m’accompagner jusqu’à la ville basse. Je l’avais également averti que je pouvais disparaître à tout moment, sans même avoir le temps de lui laisser un message sur l’ordinateur de l’hôtel. Quand le moment viendrait pour moi, je ferais le bond, sans perdre une seconde.

La ville basse de Vicksburg est un lieu de crimes et de débauche où toute la racaille de la planète semble s’être donné rendez-vous. Le jour, les patrouilles de police sont doublées, et il n’y en a aucune la nuit. La population est constituée de voleurs, d’escrocs, de prostituées, de drogués, de revendeurs, de maquereaux, de tueurs professionnels, de mercenaires, de recruteurs de diverses armées, de pédérastes, de mendiants, de maîtres chanteurs, faux chirurgiens, évadés, lesbiennes… On trouve tout à Vicksburg. Un endroit merveilleux. N’oubliez pas de faire une analyse sanguine en repartant.

C’est en tout cas le seul coin de ce monde où un artefact vivant (même s’il a quatre bras, pas de jambes, des yeux derrière la tête) peut entrer (ou ramper) dans un bar et boire tranquillement une bière sans entendre un murmure, et sans que quelqu’un lui prête la moindre attention. Pour moi, le fait d’être d’origine artificielle ne représente rien dans la ville basse de Vicksburg, où quatre-vingt-quinze pour cent des habitants n’osent même pas prendre un des escalators qui conduisent à la ville haute.

J’avais bien envie de demeurer là. Il y avait quelque chose d’amical, de chaleureux chez tous ces bannis, ces hors-la-loi de tous bords. Ils ignoraient le mépris, la différence. S’il n’y avait pas eu le Patron, Georges, ainsi que le souvenir de lieux plus propres, moins malodorants, je crois que j’aurais fini par rester dans la ville basse de Vicksburg et trouvé un job correspondant à mes talents.

Mais il me reste tant de promesses à tenir. Et tant de miles à couvrir avant de dormir.

Le grand Robert Frost savait pourquoi un être humain continue de marcher plutôt que de s’arrêter. Je m’étais habillée comme un soldat au chômage et j’allais en quête de recrutement. Je fréquentais assidûment les bords du fleuve où j’avais quelques chances de trouver un skipper pour un passage clandestin. J’avais été déçue d’apprendre que les traversées étaient devenues rares. Aucune nouvelle ne filtrait de l’Imperium, aucun bateau n’arrivait de là-bas et les commandants des quelques unités restantes n’avaient pas la moindre envie de remonter le fleuve.

Je faisais donc régulièrement la tournée des bars, buvant des bières en prenant soin de faire connaître que j’étais prête à mettre le prix pour un passage.

Il me vint à l’idée de me lancer dans une petite campagne d’affichage. Celles que j’avais vues jusque-là dans la ville basse étaient franchement plus libérales que toutes celles que j’avais rencontrées en Californie. Tout, ou presque, semblait toléré, du moment que cela était limité à la ville basse.

Avez-vous horreur de votre famille ?

Etes-vous frustré, las, dépressif, angoissé ?

Votre époux/épouse n’est-il/elle qu’un vide ?

Offrez-vous un(e) nouvel(le) homme (femme)

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