Выбрать главу

— Vous le pouvez.

— Vraiment ?

(Il n’allait pas me demander de l’argent ? Oh, non !)

— Si un jour vous trouvez quelqu’un dans l’ennui, pensez à nous et venez-lui en aide.

— Oh, mais bien sûr ! Bien sûr !

— Mais ne vous donnez pas la peine de nous écrire. Les gens qui reçoivent du courrier se font remarquer. Et nous ne voulons pas qu’on nous remarque.

— Je vois. Mais je ferai ce que vous m’avez demandé et je penserai à vous. Plutôt deux fois qu’une.

— C’est bien. Un bienfait n’est jamais perdu, mademoiselle. Mrs Hunter priera pour vous.

Des larmes me vinrent aux yeux.

— Dites-lui que moi non plus, je ne l’oublierai pas dans mes prières.

(Que m’arrivait-il ? Jamais je n’avais prié de ma vie. Mais… oui, j’étais décidée à le faire, rien que pour eux.)

— Merci, mademoiselle. Est-ce que je peux me permettre de vous donner un petit conseil ?

— J’en ai besoin. Je vous en prie.

— Vous n’avez pas l’intention de vous arrêter à Eudora ?

— Non. Je dois continuer vers le nord.

— C’est ce que vous nous avez dit, oui. Eudora, vous savez, ce n’est qu’un poste de police et quelques magasins. Plus loin, il y a Lake Village. Les Greyhounds s’y arrêtent. C’est à environ douze kilomètres. Si vous y arrivez avant midi, vous avez une chance d’attraper le bus. Mais il fait très chaud.

— J’y arriverai. Comptez sur moi.

— Alors, vous pourrez aller jusqu’à Pine Bluff, et même jusqu’à Little Rock. Mais ça va vous coûter cher.

— Mr. Hunter, vous avez été plus que gentil. Mais j’ai une carte de crédit. Avec ça, je peux payer.

Mes papiers et mon argent avaient été parfaitement protégés dans la ceinture étanche de Janet, celle qu’elle m’avait offerte des siècles auparavant. Quand je la reverrais, je la féliciterais.

— Parfait. Mais j’aimais mieux vous le dire. Une chose encore. Les gens par ici ne s’occupent que de ce qui les regarde. Si on vous pose des questions dans le bus, ne répondez pas. Ça sera mieux. Bonne chance.

Il s’est éloigné. J’aurais bien aimé l’embrasser mais les filles bizarres dans mon genre n’embrassent jamais les Mr. Hunter.

J’ai réussi à avoir le bus de midi et je me suis retrouvée à Little Rock à douze heures cinquante-deux très exactement. Une capsule pour le Nord était en partance à la station de métro et j’ai atteint Saint Louis vingt minutes après. J’ai appelé le Patron selon le code de contact.

— Le numéro de code que vous avez demandé n’est pas en service actuellement, a dit une voix. Ne quittez pas. Une opératrice va vous…

J’ai raccroché et je me suis éloignée très vite.

J’ai erré au hasard pendant plusieurs minutes, sans quitter le sous-sol, faisant semblant de m’intéresser aux vitrines des magasins.

J’ai finalement découvert un terminal dans un petit centre commercial et j’ai composé le code d’urgence.

— Votre appel codé n’est pas…

J’ai appuyé sur la touche d’annulation mais la voix a continué de débiter son message. J’ai quitté la cabine en courant pour éviter d’être photographiée, ce qui pouvait être catastrophique.

Pendant quelques minutes, je me suis mêlée à la foule. Quand j’ai été à peu près certaine que personne ne m’avait suivie, je suis descendue d’un niveau et j’ai pris le métro régional pour Saint Louis Est.

Je disposais d’un troisième code d’urgence, mais je n’avais pas l’intention de m’en servir dans l’immédiat, du moins sans préparation.

Je savais que le quartier général du Patron était à une heure de voyage, mais j’ignorais totalement sa situation. Je veux dire par là que je n’avais qu’une certitude : quand j’avais quitté l’infirmerie après mon traitement, il m’avait fallu très exactement soixante minutes en VEA. Et soixante minutes pour le voyage retour. Et quand j’avais été expédiée à Kansas City, il s’était également écoulé soixante minutes.

Donc, si je me fiais à la géographie, à la géométrie et au simple bon sens, ainsi qu’à ma connaissance des possibilités des VEA, le quartier général du Patron devait se situer aux alentours de Des Moines, plus ou moins. Mais « plus ou moins », dans ce cas précis, équivalait à une bonne centaine de kilomètres. Inutile de me livrer à des conjectures.

Dans Saint Louis Est, j’ai acheté une cape légère avec un capuchon et, un peu plus loin, un masque en latex, le moins ridicule possible. Ensuite, je me suis évertuée à brouiller les pistes avant de choisir un autre terminal. Mon idée était que le Patron avait été attaqué et, cette fois, durement touché. Mais je ne paniquais pas. Parce que j’avais été entraînée pour ne pas paniquer en état de crise.

Affublée de mon masque, le capuchon rabattu sur le front, je me suis donc présentée devant un terminal et j’ai composé le dernier code dont je disposais. Avec le même résultat. Et, une fois encore, la voix a refusé de se taire. J’ai battu en retraite en ôtant mon masque que j’ai laissé tomber quelques mètres plus loin, très lentement. J’ai tourné l’angle d’une ruelle, je me suis débarrassée de ma cape que j’ai jetée dans une poubelle. Puis je suis retournée à Saint Louis…

Et là, sans me laisser abattre, je me suis servie de ma carte de l’Impérial Bank de Saint Louis pour payer mon passage jusqu’à Kansas City. Une heure auparavant, à Little Rock, je n’avais pas eu la moindre crainte, mais depuis je savais qu’il était arrivé quelque chose au Patron. Et je me rendais compte que j’avais toujours eu la conviction presque religieuse que rien ne pouvait lui arriver, jamais.

A présent, j’étais bien obligée d’agir comme s’il avait été victime d’un attentat ou de je ne sais quoi. Ce qui signifiait que ma carte de crédit de Saint Louis (qui dépendait de son compte et non du mien) pouvait être périmée d’un moment à l’autre.

Quatre cents kilomètres plus loin, quinze minutes plus tard, j’étais à Kansas City. Je n’ai pas quitté le métro. En appelant le service de renseignements, j’ai appris que toutes les capsules étaient en circulation entre Kansas City, Omaha, Sioux Falls, Fargo et Winnipeg. Au-delà de Pembina, passé la frontière, cependant, tout était interrompu. Cinquante-six minutes plus tard exactement, je me suis retrouvée à la frontière du Canada britannique, au sud de Winnipeg. L’après-midi n’était pas encore trop avancé. Dix heures auparavant à peine je sortais de la vase du Mississippi pour me demander si j’étais dans l’Imperium ou le Texas.

A présent, j’avais une envie particulièrement pressante de quitter l’Imperium. Jusque-là, j’avais réussi à maintenir un écart d’un saut de puce entre moi et la police impériale, mais je n’avais plus le moindre doute : ils voulaient me parler. Et je n’avais pas du tout envie de leur dire quoi que ce soit parce que j’avais entendu pas mal de rumeurs sur la façon qu’ils avaient de conduire un interrogatoire. Les petits malins qui s’étaient occupés de moi des mois auparavant n’étaient que de doux amants comparés aux spécialistes de la police impériale qui vous grillaient définitivement le cerveau…

19

Quatorze heures plus tard, je n’étais qu’à vingt-cinq kilomètres à l’est de l’endroit où j’avais été dans l’obligation de quitter le réseau du métro. J’avais passé une heure à faire des achats, une autre à me nourrir, deux autres à consulter un spécialiste, six encore à dormir, et quatre heures, enfin, à me déplacer avec prudence à l’est de la barrière frontalière sans trop m’en approcher. A présent, l’aube pointait et l’heure était venue de franchir la barrière, tranquillement, puisque j’étais censée faire partie des équipes de réparation.