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D’un seul coup, j’ai eu le regret brûlant de la ferme des Hunter, de Vicksburg et de la présence rassurante de Georges.

Le soleil se levait. Bientôt, il y aurait du monde sur les routes. Et moi je n’étais qu’une étrangère en fuite, une renégate qui n’avait que quelques malheureux dollars canadiens, fatiguée, les idées floues, assoiffée et affamée.

Mais je n’avais pas à choisir entre mille solutions. Une seule était possible. Il fallait que je me terre une fois encore comme un animal.

On ne rencontre pas beaucoup de bois aux alentours de Winnipeg. Néanmoins, je me souvenais de quelques hectares sauvages, de l’autre côté de la route, quelque part derrière la propriété des Tormey. J’ai donc porté mes pas dans cette direction et je n’ai croisé qu’un seul véhicule, un fourgon de lait.

En quittant la route, j’ai rencontré des buissons et des fourrés, puis quelques arbres bienvenus. Le terrain était accidenté et j’ai franchi un minuscule ruisseau. Je me suis alors arrêtée en me demandant si je pouvais boire. Son eau était-elle potable ? Mes origines, en vérité, me mettent à l’abri de pas mal d’infections. L’eau était fraîche, sans arrière-goût. Après un instant, je me suis sentie beaucoup mieux. Mais il y avait toujours ce malaise au fond de mon cœur.

Je me suis avancée un peu plus profondément dans les buissons, en quête d’un endroit mieux protégé où je pourrais dormir. A cette distance d’une grande ville, je courais un risque énorme : n’importe quelle troupe de boy-scouts pouvait tomber sur moi en patrouillant. Non, ce qu’il me fallait, c’était un lieu abrité et inaccessible.

Je l’ai trouvé. Sur la pente d’un petit ravin, entouré de buissons d’épineux que j’ai immédiatement reconnus en tâtonnant.

Des épineux ?

Il m’a fallu encore dix bonnes minutes pour trouver. Au contact, c’était un bloc de rocher, une partie des moraines abandonnées par la dernière des grandes glaciations. Mais en vérité ce n’était pas de la roche naturelle. Il m’a fallu encore un bon moment pour le déséquilibrer. Ensuite, j’ai sauté dans le noir et, en me redressant, j’ai vu une inscription lumineuse devant moi : PROPRIETE PRIVEE – DEFENSE D’ENTREE.

Je me suis figée sur place. Janet m’avait dit que la commande qui désarmait les pièges mortels était « cachée à l’intérieur, pas très loin ».

Pas très loin ?… Et cachée où ?

Dans l’obscurité totale, on ne voyait que ces lettres menaçantes : Toi qui entres ici, laisse toute espérance…

(Allez, Vendredi, sors ta petite torche fonctionnant sur Shipstone éternelle. Mais ne va pas trop loin sinon…)

Ma petite torche. Elle était dans la combinaison que j’avais laissée à bord du Skip to M’Lou. Avec un peu de chance, en comptant sur la qualité de la pile, elle éclairait peut-être un peu le fond du Mississippi. Ça devait distraire les poissons.

Je n’avais même pas une allumette.

Si j’avais eu un scout sous la main, j’aurais toujours pu essayer de faire du feu en lui frottant une jambe contre l’autre. Oh, ça va, Vendredi ! On ne délire pas !

Je me suis laissée tomber sur le sol et j’ai versé quelques larmes. Le béton était froid et dur, mais je me suis étendue quand même. Je me suis endormie. C’était doux, agréable, tiède…

20

En me réveillant, très longtemps plus tard, je me suis aperçue que le sol était vraiment froid et dur. Mais je ne me sentais plus fatiguée. Je me sentais même presque bien. J’avais seulement faim, très faim. Je me suis massée consciencieusement avant de constater que le tunnel, devant moi, était illuminé.

L’inscription était toujours là, mais le tunnel était aussi clair qu’un living-room. Je me suis demandé d’où cette lumière pouvait bien provenir.

Mon cerveau s’est remis à fonctionner. L’inscription PROPRIETE PRIVEE était la seule source de lumière. Mes yeux s’étaient adaptés, c’est tout. Ça s’était, produit pendant mon sommeil. Et le phénomène, chez moi, était plus sensible que chez les humains.

J’ai commencé aussitôt à chercher la commande de neutralisation des pièges. Il fallait faire marcher mon cerveau à fond. Et c’est plus difficile que pour les muscles. Mais cela brûle quand même moins de calories. C’est la seule chose qui nous sépare nettement du singe, enfin presque. Si j’avais eu à cacher une commande ou un simple contact dans un endroit pareil, où l’aurais-je mis ?

La chose devait être suffisamment cachée pour que les intrus ne la trouvent pas aisément, mais il fallait aussi que Janet et ses époux protègent leur vie. Avec ce genre de facteurs, que pouvais-je faire ?

Ça ne devait pas être trop haut pour Janet. Donc, je pouvais l’atteindre aussi. Donc, cela se trouvait à ma portée sans que j’aie besoin de dénicher un tabouret.

Les lettres lumineuses de l’inscription se trouvaient à trois mètres environ de la porte. La commande ne devait pas se trouver très loin puisque Janet m’avait dit que le deuxième panneau, qui annonçait : DANGER DE MORT, se déclenchait tout près de là. « A quelques mètres. » Quelques, ça fait rarement plus de dix…

Je me suis avancée dans le tunnel jusqu’à me trouver immédiatement sous le panneau lumineux. Juste au-dessus, le haut du tunnel était indiscernable. Même pour mon regard. Alors, j’ai levé la main. Mes doigts ont aussitôt rencontré quelque chose qui pouvait être un bouton. J’ai appuyé.

Les lettres ont clignoté, puis se sont éteintes. Le plafond est devenu lumineux, tout au long du tunnel.

Des aliments surgelés et les moyens de les faire cuire, de grandes serviettes et de l’eau chaude, un terminal qui pouvait me donner les dernières informations, des Shipstones, de la musique, de l’argent liquide en cas d’alerte, des piles, des armes, des munitions, des vêtements de toutes sortes qui étaient à ma taille puisqu’ils étaient à Janet, une horloge-calendrier qui m’indiqua que j’avais dormi treize heures d’affilée, un lit bien douillet qui était une invite à finir la nuit après avoir mangé et pris un bain et dévoré toutes les nouvelles du jour et de la veille… un sentiment de sécurité absolue qui me rasséréna jusqu’à ce que je n’aie plus à me servir de mon contrôle psychique…

J’appris donc que le Canada britannique était revenu à l’état d’alerte premier degré. La frontière avec l’Imperium restait cependant fermée. Celle du Québec était toujours sous contrôle mais on commençait à accorder des passe-droits pour certains voyages d’affaires. Le problème le plus brûlant semblait être le montant des dédommagements que le Québec devrait verser pour ce que l’on considérait maintenant comme une attaque militaire due à une erreur ou à une faute stupide. Les mesures d’internement étaient encore appliquées mais on estimait qu’au moins quatre-vingt-dix pour cent des prisonniers québécois avaient été relâchés sur parole… Et vingt pour cent des citoyens de l’Imperium. J’avais bien fait malgré tout de ne pas me faire remarquer.

Mais, apparemment, Georges pourrait maintenant rentrer quand bon lui semblerait. Ou bien y avait-il des problèmes qui ne m’apparaissaient pas encore ?…

Le Conseil pour la Survie annonçait une troisième vague d’exécutions « exemplaires » dans dix jours… Les Stimulateurs semblaient s’aligner sur eux avec un jour de décalage, tout en condamnant nettement le Conseil pour la Survie. Cette fois-ci, les Anges du Seigneur n’avaient fait aucune déclaration, du moins aucune qui ait pu filtrer sur le réseau canadien.