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— Faut-il les répéter ?

— Non, monsieur.

— Vous en êtes absolument certaine ?

— Vous pouvez les répéter si vous le souhaitez, monsieur.

— Mmm… Vendredi, est-ce que vous pourriez être assez gentille pour me verser une tasse de thé avant de vous retirer ? J’ai l’impression que mes mains tremblent, aujourd’hui.

— Avec plaisir, monsieur.

24

Le lendemain, à l’heure du breakfast, je ne vis ni Goldie ni Anna. Je mangeai donc seule et assez vite. Ce qui était tout aussi bien. A l’instant où je me levai, j’entendis la voix d’Anna dans le haut-parleur :

— Votre attention, s’il vous plaît. J’ai le pénible devoir de vous annoncer que, durant la nuit, notre président est décédé. Selon ses volontés, il n’y aura pas de service funéraire. Son corps a été incinéré. Une réunion aura lieu à neuf heures dans la salle de conférences afin de débattre de l’avenir de notre société. Chacun de vous y est convié.

Jusqu’à neuf heures, j’ai pleuré. Pourquoi ? Parce que j’éprouvais du chagrin à mon égard, je suppose. C’est sûrement ce qu’aurait pensé le Patron. Jamais il ne s’était apitoyé sur lui-même. Il disait que c’était le pire des vices. Et sans doute le plus démoralisant.

Mais je m’apitoyais sur moi, c’est vrai. Nous avions toujours eu des prises de bec, même lorsqu’il avait fait de moi une Libre Personne. Et je regrettais à présent tous ces moments où je m’étais montrée insolente, cruelle.

Et puis, je me suis dit que le Patron n’aurait certainement pas apprécié que je me montre obéissante, soumise, prête à épouser toutes ses opinions. Il était ce qu’il était, et moi aussi, et notre existence avait été durant quelques années une parfaite association, même si nous ne nous étions jamais pris la main. Pour Vendredi, c’était vraiment un record difficile à battre.

Je me demandai s’il avait jamais deviné, au début, que j’aurais été prête à lui sauter sur les genoux s’il me l’avait demandé. Non, il ne s’en était sans doute jamais douté. Et ce genre d’idée ne lui était pas venu, fort probablement. Mais c’était le seul et unique père que j’aie jamais eu.

La grande salle de conférences était absolument bondée. Même aux heures des repas, je n’avais jamais vu autant de monde. La plupart des visages me semblaient inconnus. J’en ai conclu que certains agents avaient été rappelés d’urgence. Anna était assise à une table, devant, avec une femme inconnue. Elle avait devant elle des dossiers, un énorme terminal et toute la paperasserie d’une secrétaire. L’inconnue avait environ son âge mais avec une expression austère qui contrastait avec la douceur d’Anna.

A neuf heures deux, l’inconnue martela la table.

— Silence, je vous prie ! Je me présente. Je suis Rhoda Wainwright, vice-présidente de cette société et conseillère de feu le Dr Baldwin. En tant que telle, je suis dès à présent présidentepro tem et responsable des affaires courantes. Aucun d’entre vous n’ignore qu’il était lié à cette société par contrat personnel avec le Dr Baldwin.

Est-ce que j’avais signé un tel contrat ? « Dr Baldwin ? » J’étais stupéfaite. Était-ce vraiment le nom du Patron ? Comment se faisait-il que ce soit mon nom de guerre[18] ?

C’était lui qui l’avait choisi ? Mais cela faisait si longtemps.

— … Désormais vous êtes des agents libres. Nous formons une élite et le Dr Baldwin avait l’espoir que toutes les sociétés indépendantes d’Amérique du Nord recruteraient parmi nos rangs quand la mort le libérerait. Des agents de recrutement se trouvent dans chacune des petites salles de conférences et dans le salon. Vous répondrez à l’appel de votre nom et vous recevrez votre dû. Vous pourrez le vérifier mais je vous demande de ne pas demeurer sur place à discuter. Vous devrez attendre pour cela que tous vos camarades aient reçu leur enveloppe. N’oubliez pas que toute cette nuit durant…

M’engager auprès d’une autre société comme ça, tout de suite ? Vraiment ? Combien d’argent me restait-il ? J’étais probablement presque fauchée, même en comptant ce que j’avais gagné dans cette loterie idiote. Avec tout ce que je devais encore à Janet pour sa carte Visa. Voyons voir… J’avais donc gagné deux cent trente grammes quarante d’or fin déposés sur mon compte MasterCard au cours du jour. J’avais retiré la valeur de trente-six grammes en liquide et… Mais il fallait aussi tenir compte de l’Impérial Bank de Saint Louis. Et Georges devrait accepter le remboursement de la moitié de…

Quelqu’un appelait mon nom.

C’était Rhoda Wainwright. Et elle avait l’air irritée.

— Miss Vendredi, je vous en prie, hâtez-vous. Voici votre enveloppe. Veuillez signer ici. Maintenant, si vous voulez bien vous retirer pour vérifier…

J’ai jeté un coup d’œil sur le reçu.

— Je signerai quand j’aurai vérifié.

— Miss Vendredi ! Vous retardez les règlements !

— Je vais m’écarter. Mais je ne signerai pas tant que je n’aurai pas comparé le contenu de cette enveloppe avec le reçu.

— Ça va, Vendredi, dit Anna. J’ai déjà vérifié.

— Merci. Mais je tiens à procéder comme pour tous les documents : voir d’abord.

La Wainwright semblait sur le point de me réduire en bouillie, mais je me suis écartée de quelques mètres et j’ai vérifié le contenu : trois passeports à trois noms, un choix de pièces d’identité diverses, et un virement au nom de « Marjorie Vendredi Baldwin » sur la Cérès and South Africa Acceptances de deux cent quatre-vingt-dix-sept grammes trois d’or. Cela m’a surprise, mais pas autant que le dernier document : des certificats d’adoption en bonne et due forme signés de Hartley M. Baldwin et Emma Baldwin pour l’enfant de sexe féminin Vendredi Jones, rebaptisée Marjorie Vendredi Baldwin, datés de Baltimore, Maryland, Union atlantique. Rien à propos de la crèche Landsteiner ou de John Hopkins, mais la date correspondait à mon départ de la crèche.

Il y avait aussi deux certificats de naissance : l’un pour Marjorie Baldwin, née à Seattle, l’autre au nom de Vendredi Baldwin, née d’Emma Baldwin, à Boston, Union atlantique.

Deux choses apparaissaient comme absolument certaines à propos de ces documents : ils étaient tous faux mais totalement fiables. Le Patron n’avait jamais fait les choses à moitié.

— Ça va, Anna, ai-je dit simplement avant de signer.

Elle a pris le reçu.

— Viens me voir après.

— D’accord. Où ?

— Vois ça avec Goldie.

— Miss Vendredi ! Votre carte de crédit ! (Ça, c’était encore la Wainwright.)

— Oh… (Oui, c’était normal. Le Patron n’était plus, la société était en dissolution et je ne pourrais plus me servir de ma carte de Saint Louis.) Voilà…

Elle a tendu la main.

— Annulez-la devant moi, s’il vous plaît. Trouez-la ou découpez-la, comme vous voudrez…

— Oh, ça suffit ! Elle sera incinérée avec les autres, quand j’aurai vérifié tous les numéros de compte.

— Miss Wainwright… si je dois abandonner une carte de crédit à mon nom, elle doit être détruite, endommagée, rendue inutilisable sous mes yeux.

— Vous êtes plutôt irritante ! Est-ce que vous ne faites donc jamais confiance à qui que ce soit ?

— Jamais.

— Alors, il va falloir que vous attendiez ici jusqu’à ce que tout le monde ait été appelé.

— Non, je ne pense pas.

A mon avis, la MasterCard de Californie est faite de verre phénolique laminé. En tout cas, la carte est dure, comme toutes les cartes de crédit. J’avais jusqu’alors pris grand soin de ne pas montrer mes pouvoirs parce qu’à mon avis ce n’était ni opportun ni courtois. Mais, dans cette circonstance particulière, j’ai pris la carte et je l’ai déchirée en quatre morceaux que j’ai tendus à Wainwright.

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18

En français dans le texte. (N.d.T.)