Le visage qui est apparu sur l’écran m’était familier.
Je me suis dit qu’avec la faible gravité, inutile de porter des soutiens-gorge. Si j’habitais Luna City, je crois que je me contenterais d’un monokini. Et je me déplacerais avec des échasses et un diamant dans le nombril.
— Excusez-moi. J’ai dû composer le code de la Cérès and South Africa, mais je voulais appeler Fong, Tomosawa, Rothschild, Fong et Finnegan. Ça doit être un tour de mon subconscient. Navrée de vous avoir dérangée et merci pour l’aide que vous m’avez apportée il y a plusieurs mois.
— Eh, mais vous ne vous êtes pas trompée ! Je suis Gloria Tomosawa, associée de Fong, Tomosawa, maintenant que grand-père s’est retiré. Mais cela n’a rien à voir avec mon poste de vice-présidente de la Cérès and South Africa Acceptances. Nous sommes légalement une filiale de la banque. Et je suis la conseillère principale, ce qui veut dire que c’est à moi que vous devrez avoir affaire. Tout le monde ici a de la peine, vous savez. J’espère que vous n’êtes pas perdue, miss Baldwin, à cause de la mort du docteur…
— Eh ! est-ce que vous pouvez me répéter tout ça ?
— Désolée. D’ordinaire, quand les gens appellent la Lune, ils tiennent à ce que la conversation soit aussi brève que possible. Vous voulez que je reprenne tout ça, phrase par phrase ?
— Non, non. Je crois que j’ai compris en gros. Le Dr Baldwin m’a laissé des instructions. Il me demande d’être présente à la lecture de son testament ou que je me fasse représenter. Je ne pourrai pas y être. Quand cela aura-t-il lieu et pouvez-vous me conseiller quelqu’un qui puisse me représenter à Luna City ?
— La lecture du testament aura lieu dès que nous aurons été officiellement avisés du décès par la Confédération de Californie, ce qui pourrait intervenir à tout moment puisque notre représentant à San José a déjà payé. Quelqu’un pour vous représenter ? Je me demande… A moins que je ne fasse valoir que grand-papa Fong était l’avocat de votre père à Luna City depuis des années… Donc, ayant hérité de ses charges, maintenant que votre père est mort, j’hérite également de vous en tant que cliente… Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, bien entendu.
— Oh ! miss Tomosawa… ou bien est-ce Mrs ? vous seriez prête à faire cela ?
— Je suis prête, cela me ferait plaisir et c’est Mrs. J’ai un fils qui doit avoir votre âge.
— Impossible !
(Cette beauté aurait le double de mon âge ?)
— Tout à fait possible. Ici, à Luna City, nous vivons à l’ancienne, pas comme en Californie. Nous nous marions, nous faisons des enfants et toujours dans le même ordre. Je ne pourrais jamais rester demoiselle avec un fils de cet âge, voyez-vous.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je pensais à l’âge de votre fils. On ne peut pas concevoir un enfant à cinq ans, non ?
Elle a souri.
— Vous êtes trop mignonne. Vous devriez épouser mon fils. Il a toujours rêvé d’une héritière.
— Moi, une héritière ?
Elle se fit grave.
— Eh bien… il m’est interdit de révéler quoi que ce soit jusqu’à ce que votre père soit déclaré officiellement décédé. Pour nous, à Luna City, il est encore vivant. Mais ce n’est qu’une question d’heures. J’ai dû ouvrir le testament pour des modifications avant de le replacer dans mon coffre. Je sais ce qu’il contient. Ce que je vais vous apprendre, vous ne le saurez officiellement que demain. Vous êtes une héritière, c’est vrai, mais je ne crois pas que les coureurs de dot s’intéressent à vous. Vous n’allez pas recevoir un gramme d’or. Mais la banque – c’est-à-dire moi – a reçu pour instruction de vous subventionner dans tous les cas où vous désireriez quitter la Terre. Si vous choisissez la Lune, nous vous paierons le voyage. Si vous décidez de partir pour une des nouvelles planètes, nous vous offrirons un couteau de scout et nous prierons pour vous. Si vous décidez de vous installer sur des mondes riches comme Kaui ou Halcyon, le trust paiera votre voyage, vos parts de capital et vous aidera à démarrer. Mais si vous décidez de ne pas décoller de la Terre, à votre mort les fonds seront reversés au trust. Mais votre émigration reste au premier rang. Une seule exception : si vous choisissez Olympia, ce sera à vous de payer. Nous ne vous aiderons en rien.
— Le Dr Baldwin a fait allusion à cela, déjà. Qu’y a-t-il de particulier concernant Olympia ? Je ne me souviens pas d’avoir jamais entendu ce nom.
— Vraiment ? Non, peut-être, vous êtes si jeune… C’est là-bas que sont partis tous ces surhommes. Mais, en fait, cet avertissement n’a aucune valeur puisque la compagnie n’envoie plus aucun vaisseau là-bas. Ma chérie, je crois que vous allez avoir une sacrée note de communications.
— Oui, je sais. Mais cela me coûterait encore plus si je devais vous rappeler. Non, ce qui m’inquiète, c’est de payer pour les communications ultraluminiques avec leurs délais. Est-ce que vous pouvez me répondre pour la Cérès and South Africa ? Je veux dire, changer de casquette pour un moment ? J’ai besoin de conseils.
— J’ai plusieurs casquettes, alors, allez-y. Demandez-moi ce que vous voulez. C’est gratuit.
— Non, non, je tiens à payer.
— On croirait entendre feu votre père.
— Ce n’était pas vraiment mon père. En tout cas, je n’ai jamais pensé à lui en tant que tel.
— Je sais tout cela, ma chère. J’ai vu des documents vous concernant. Mais lui, il vous considérait comme sa fille. Il était abusivement fier de vous, je crois. La première fois que vous m’avez appelée, j’ai été follement intéressée, mais je ne devais rien vous dire. Et maintenant, à quoi pensez-vous ?
Je lui ai expliqué les ennuis que j’avais eus avec Wainwright à propos des cartes de crédit.
— Bien sûr, la MasterCard de Californie m’a donné un plafond de crédit qui dépasse mes moyens et mes besoins. Mais cela la regarde-t-il vraiment ? Je n’ai même pas touché à mon premier dépôt et je vais maintenant verser mon salaire et mes indemnités. Deux cent quatre-vingt-dix-sept grammes d’or fin.
— Rhoda Wainwright n’a jamais rien valu en tant qu’avocate. A la mort de Mr. Esposito, votre père aurait dû changer de cabinet. Bien entendu, le montant de votre crédit MasterCard ne la regarde en rien. Miss Baldwin…
— Appelez-moi Vendredi.
— Vendredi, feu votre père était non seulement directeur de cette banque mais aussi l’un des principaux actionnaires. Bien que vous ne receviez pas la moindre fortune directement, il faudrait que vous vous endettiez énormément avant que votre compte passe au rouge. Donc, ne vous inquiétez pas. Mais, à présent, c’est fini pour le Pajaro Sands, et il me faut par conséquent une nouvelle adresse en ce qui vous concerne.
— Eh bien… pour le moment, vous êtes la seule adresse que j’aie.
— Je vois. Donnez-m’en une dès que vous le pourrez. D’autres personnes ont le même problème et je crois que Rhoda Wainwright n’a fait que l’aggraver. Il y a aussi certaines autres personnes qui devraient être présentes à la lecture du testament. Elle aurait dû les convoquer, ce qu’elle n’a pas fait. A présent, elles ont toutes quitté le Pajaro Sands : Savez-vous où je peux joindre Anna Johansen ? Ou Sylvia Havenisle ?
— Je connais une certaine Anna qui se trouvait avec moi au Sands. Elle avait la charge des archives. L’autre personne m’est inconnue.
— Ce doit être la bonne Anna. Elle est mentionnée comme « employée sous le sceau du secret ». Quant à Havenisle, c’est une infirmière…