— Oh ! mais dans ce cas, elles sont là toutes les deux, juste derrière la porte que je regarde. Elles dorment. Et elles ne se réveilleront pas avant demain matin, je crois bien.
— Vraiment, c’est mon jour de chance. Dites-leur, s’il vous plaît, quand elles se réveilleront, qu’elles devraient elles aussi se faire représenter à la lecture du testament. Mais ne les réveillez pas maintenant.
— Est-ce que vous pourriez les représenter ?
— Avec votre agrément, certes, oui. Mais il faut qu’elles m’appellent. Et j’ai besoin de leur nouvelle adresse, comme pour vous. Où êtes-vous en ce moment ?
Je le lui ai dit avant de couper la communication. Pendant un moment, j’ai essayé d’assimiler les événements. Gloria Tomosawa me rendait tout plus facile. J’ai toujours pensé qu’il existe deux races d’avocats : ceux qui consacrent tous leurs efforts à vous faciliter la vie et ceux qui ne sont que des parasites.
J’ai entendu un petit jingle. Une lampe rouge s’était allumée et je suis retournée précipitamment vers le terminal. C’était Burton McNye. Je lui ai dit de monter mais de faire moins de bruit qu’une souris. Je l’ai embrassé quand il est arrivé tout en me demandant s’il avait été de ceux qui m’avaient aidée à échapper au « Major »… Il faudrait que je lui pose la question le moment venu.
— Tout s’est passé sans problème, m’a-t-il dit. La Bank of America a accepté mon dépôt et m’a avancé quelques centaines d’ours pour la nuit. Ils m’ont dit qu’un versement serait effectué en or sur Luna City dans les vingt-quatre heures. Ça, plus la réputation de notre ex-employeur, ça suffit à me remettre sur pied. Il est donc inutile que je vous dérange cette nuit.
— Est-ce que je dois applaudir ? Burt, c’est justement le moment de m’inviter à dîner. Dehors. Parce que mes petites camarades ressemblent à des zombies. Elles ont passé une nuit blanche, hier.
— Mais il est encore trop tôt…
Il n’était pas encore trop tôt pour ce que nous avons fait quelques minutes après. Je n’avais pas prévu ça, juré, mais Burt m’a soutenu dur comme fer qu’il n’avait pensé qu’à cela pendant le trajet depuis le Pajaro Sands. Je ne l’ai pas cru. Je l’ai interrogé sur la fameuse nuit de la ferme et sur la bataille, et il s’est révélé qu’il avait bien fait partie du commando. Selon lui, il avait été maintenu en réserve en cas de coup dur et à aucun moment il n’avait risqué sa vie. Mais ils m’avaient tous dit la même chose à propos de cette nuit, et je n’avais pas oublié non plus que le Patron m’avait avoué que tout le monde avait été réquisitionné vu que les effectifs étaient plus que réduits.
Il n’a pas protesté quand j’ai commencé à le déshabiller.
Burt était exactement l’homme qu’il me fallait à ce moment précis. Il s’était passé trop de choses et, émotionnellement, j’étais harassée. L’amour est un tranquillisant plus efficace que n’importe quelle drogue et bien meilleur pour le métabolisme. Je ne vois pas pourquoi la plupart des humains le considèrent avec tant de gravité quand ils n’en font pas un drame. Cela n’a rien de vraiment compliqué. En fait, c’est la chose la plus simple du monde, comme de se nourrir.
Pour se rendre à la salle de bains dans cette suite, il était inutile de traverser la chambre, sans doute parce que le living pouvait faire fonction de seconde chambre. Nous nous sommes lavés ensemble. Ensuite, j’ai entrepris d’enfiler ma merveilleuse combinaison en Superskin, celle avec laquelle j’avais appâté Ian le printemps dernier. C’était en fait à cause de lui, de Janet et de Georges que j’avais choisi de la mettre ce soir. Mais j’avais la tranquille certitude que je les retrouverais, maintenant. Je retrouverais leur piste grâce à Betty et Freddie.
Burt a poussé quelques grognements d’animal en rut en me découvrant dans ma Superskin. Je lui ai dit que c’était exactement l’effet que je visais, parce que je n’avais pas honte d’être une femelle et que j’étais heureuse de ce que nous avions fait ensemble. A présent, j’étais détendue et presque heureuse, et je tenais à payer le dîner pour lui prouver ma reconnaissance.
En entendant cela, il m’a provoquée en duel. Je me suis abstenue de lui dire que je ne tenais pas à casser quelques os de mâle ce soir. Je me suis contentée de rire.
J’ai laissé un petit mot pour mes deux camarades.
Nous sommes revenus très tard. Elles n’étaient plus là. Burt et moi, nous nous sommes couchés. Quand, plus tard, je me suis réveillée, j’ai vu Anna et Goldie qui traversaient la chambre sur la pointe des pieds. Mais j’ai fait semblant de continuer à dormir. Il serait bien assez tôt au matin.
A mon deuxième réveil, j’ai vu Anna penchée sur moi. Et elle n’avait vraiment pas l’air contente de me voir au lit avec un homme. Il est certain que j’avais deviné ses penchants depuis longtemps et aussi qu’elle éprouvait quelque… disons… affection à mon égard. Mais, au fil des mois, elle semblait s’être calmée et je l’avais rayée de mon esprit comme étant un problème qu’il me faudrait régler un jour. Elle et Goldie étaient simplement des copines.
— Ne faites pas cette mine, jeune fille, a dit Burt d’un ton plaintif. Je suis venu m’abriter de la pluie.
— Je n’ai rien dit, a-t-elle répliqué d’un ton un peu trop sec. Je me demandais seulement comment faire le tour du lit pour accéder au terminal sans vous réveiller tous les deux. Je voudrais commander mon breakfast.
— Tu commandes pour nous tous ? ai-je demandé.
— Mais bien sûr ! Qu’est-ce que tu veux ?
— Un peu de tout, et aussi des frites. Chérie, tu me connais. Du moment que c’est vivant, je peux le tuer et le manger tout cru avec les os.
— Pour moi, c’est pareil, a dit Burt.
— Eh, vous en faites du bruit ! (Goldie venait d’apparaître sur le seuil en bâillant.) Vous devriez vous rendormir, bande de bavards !
En la regardant, je me suis dit qu’Anna n’avait vraiment aucune raison de m’en vouloir d’avoir passé la nuit avec Burt. Goldie semblait radieuse et totalement satisfaite. C’était presque indécent, en fait.
— Cela signifie « port d’attache », disait Goldie. Et il devrait y avoir un trait d’union parce que personne ne peut prononcer ni même épeler un nom pareil. Alors, on m’appelle Goldie, c’est tout. C’était facile avec le Maître, puisqu’il n’encourageait pas l’emploi des prénoms. Mais ça n’a rien à voir avec Mrs Tomosawa. Elle m’a tellement entendue bafouiller qu’elle m’a demandé de l’appeler Gloria.
Nous étions à la fin d’un gigantesque breakfast. Mes copines avaient l’une et l’autre conversé avec Mrs Tomosawa, la lecture du testament avait eu lieu et elles étaient l’une comme l’autre (ainsi que Burt, à ma grande surprise) un peu plus riches. Nous nous apprêtions à partir pour Las Vegas. Trois d’entre nous avaient l’intention d’y trouver du travail, mais Anna voulait simplement nous accompagner.
Ensuite, nous avait-elle dit, elle irait en Alabama.
— Je sais que je me fatiguerai peut-être de tirer ma flemme, mais j’ai promis à ma fille que je me retirerais du boulot, et c’est le moment rêvé. Il faut bien que je retrouve mes petits-enfants avant qu’ils deviennent trop grands, non ?
Anna, une grand-mère ? On n’est jamais sûr de rien dans cet univers.
25
Las Vegas, c’est un cirque à trois pistes qui aurait la gueule de bois.
Je m’y plais toujours pendant un moment. Mais, quand j’ai fait le tour des attractions, j’en arrive toujours à ne plus supporter les lumières, le bruit, la musique, la frénésie. Quatre jours à Las Vegas, c’est beaucoup.