Et ce n’était qu’un faible échantillon, un aperçu. Tout ce qui se fait sur Terre se fait dans l’espace. Et certaines spécialités qui ne concernaient que les astronefs étaient totalement mystérieuses. Qu’est-ce que pouvait faire, par exemple, un « kippsman de catégorie 2/c » ?
L’une des professions non citées était celle de « fille de compagnie ». Les HyperSpaces sont un employeur toutes catégories. Mais, si l’on veut vraiment être engagée pour les emplois non techniques, il vaut mieux être jeune, jolie, en bonne santé, bisexuelle, avec du tempérament…
Le commandant du port lui-même était commissaire de bord du vieux Newton. Quand il était en croisière, il veillait à ce que les passagers de première classe aient tout ce qu’ils pouvaient désirer. Et ils payaient très cher pour l’avoir. Il montrait autant de talent et de conscience professionnelle en tant que commandant du port. On prétendait qu’il favorisait les couples mariés ou non s’ils savaient travailler au lit, ensemble ou chacun de leur côté. On racontait qu’un couple gigolo-pute avait fait fortune comme ça en quatre croisières. Ils étaient professeurs de danse le matin, de natation l’après-midi, et ils buvaient, dansaient et distrayaient leurs « clients » la nuit… Ils avaient dû se retirer parce qu’ils ne plaisaient plus et aussi parce qu’ils étaient usés par tout ce qu’ils avaient absorbé pour se maintenir en forme.
Je ne crois pas que l’argent me tentait vraiment à ce point. Je peux très bien passer une ou deux nuits blanches, mais il faut que je rattrape régulièrement mon sommeil.
Je me suis demandé pourquoi les HyperSpaces, qui ne possédaient seulement que quatre vaisseaux, pouvaient constamment engager du personnel.
— Vous ne savez pas ? m’a demandé l’assistante au recrutement.
Je lui ai dit que non.
— C’est à cause de la désertion. C’est un problème majeur. Fiddler’s Green, par exemple, est une escale tellement merveilleuse que l’officier commandant le Dirac a abandonné son vaisseau il y a quelques années de cela. La compagnie n’a pas trop de problèmes de recrutement ici, remarquez… Mais si vous habitiez Rangoon, Canton ou Bangkok et que vous vous retrouviez en train de décharger une cargaison sur Halcyon… est-ce que vous ne profiteriez pas de la plus petite inattention du contremaître pour ficher le camp ? Non, ce n’est pas un secret… Le seul moyen pour quitter la Terre, ou même Luna, quand on en a envie, c’est de s’engager sur un vaisseau et de se débrouiller pour s’éclipser. Moi, je le ferais si je pouvais…
— Et pourquoi ne le pouvez-vous pas ?
— Parce que j’ai un fils de six ans.
(Ça, je l’avais mérité !)
Parmi les annonces, quelques-unes excitaient l’imagination :
Nouvelle planète – Ouverte récemment
Type T-8
Danger maximum garanti
Couples ou groupes uniquement
Plan de survie augmenté
Churchill & Sons, entrepreneurs
Las Vegas 96/98
Je me souvins que Georges m’avait dit que tout ce qui atteignait le 8 à l’indice terrestre devait correspondre à des primes conséquentes. Mais, depuis, j’en avais appris plus. Ce 8, c’était l’indice de la Terre elle-même. Ce pays où je vivais n’avait pas été conquis facilement. Il avait fallu le violer, le changer. Il avait été fait pour les serpents et les iguanes et on avait dépensé des tonnes d’or et d’eau pour que l’homme puisse y vivre.
Cette histoire de « danger maximum garanti » m’intriguait. Est-ce que cela voulait dire qu’il fallait savoir courir ? Je n’avais pas réellement envie de commander une escouade d’amazones et de voir mes petites camarades se faire tuer. Mais j’étais prête à affronter un tigre à dents de sabre ou ce genre de bestiole parce que je savais que j’avais quelques chances de l’assommer avant qu’il ait compris.
Oui, une T-8 serait peut-être un meilleur point de chute pour Vendredi qu’un paradis bien poli comme Fiddler’s Green.
D’un autre côté, ce « danger maximum » pouvait être dû à des volcans ou à une radioactivité ambiante trop élevée. Qui peut avoir envie de devenir tout bleu et lumineux ? Allons, Vendredi, décide-toi.
Je suis restée jusqu’à très tard sur le mail parce que Goldie était encore de garde de nuit. J’ai donc traîné jusqu’à l’heure de la fermeture.
A mon retour, j’ai trouvé la maison obscure, ce qui m’a laissé à penser que Goldie avait dormi toute la journée. Avec un peu de chance, je pourrais lui préparer un bon petit breakfast avant qu’elle ne se réveille. Je suis entrée le cœur léger… et j’ai réalisé alors que la maison était vide. Vous savez ce que c’est : une maison vide a une odeur différente, les sons y résonnent différemment. Je me suis précipitée dans la chambre. Le lit était vide. Il n’y avait personne dans la salle de bains. Alors, j’ai allumé toutes les lampes et j’ai trouvé son message sur l’imprimante du terminal.
Vendredi, ma chérie,
Je crois que tu ne seras pas de retour avant mon départ, et c’est sans doute mieux ainsi parce que nous pleurerions toutes les deux et que ça ne changerait rien.
Les choses se sont passées différemment de ce que j’espérais. Je suis restée en contact avec mon ex-employeur, le Dr Krasny, et il m’a appelée alors que je venais de me mettre au lit. Il dirige une nouvelle antenne chirurgicale pour les scouts de Sam Houston. Des scouts de combat, bien entendu. Je ne peux pas te dire où nous serons mais (brûle ce message après lecture) si tu continues vers l’ouest à partir de Plainview, tu risques de nous rencontrer vers Los Llanos Estacados, avant Portales.
Où allons-nous ? Ça, c’est absolument secret. Mais si nous n’atteignons pas Ascension, certaines épouses ne tarderont pas à toucher une pension. J’ai appelé Anna et Burt et ils doivent me retrouver à El Paso à dix-huit heures dix
(Dix-huit heures dix ? Mais Goldie est déjà au Texas !)
parce que le Dr Krasny m’a promis qu’ils pourraient avoir de l’emploi pour eux, soit dans les unités combattantes, soit comme auxiliaires médicaux. Pour toi aussi, ma chérie, il y aurait quelque chose. Comme combattante, si c’est encore ce que tu veux. Ou alors, tu peux être engagée comme technicienne médicale 3. Tu travaillerais avec moi et tu pourrais passer sergent médecin, parce que je connais tes qualités. Ce serait tellement formidable de nous retrouver tous les quatre – tous les cinq, je veux dire – comme avant.
Mais je ne veux pas te forcer la main. Je sais que tu es inquiète au sujet de tes amis canadiens. Si tu penses qu’il vaut mieux que tu ne prennes pas d’engagement pour être libre de les rechercher, fais-le. Mais si tu as besoin d’un peu d’action et d’argent, viens vite à El Paso. L’adresse est Panhandle Investments, El Paso Division, Bureau des Opérations, Facteurs d’Environnement, à l’attention de John Krasny, ingénieur en chef Ne ris pas. Mémorise ça et détruis-le immédiatement.
Mais quand il sera question de l’opération dans les bulletins d’informations, tu pourras nous joindre directement par le bureau de Houston. Entre-temps, je suis simple « employée du personnel » aux « Facteurs d’Environnement ».
Que Dieu dans sa bonté veille sur toi et te protège.
Avec tout mon amour,