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— Au moins, m’a-t-il dit, nous pouvons être à peu près certains qu’il n’y a aucune Oreille qui se balade pour nous écouter…

(Je me suis demandé s’il croyait réellement à ce qu’il disait. Je voyais déjà trois emplacements parfaits pour des Oreilles : mon sac, ses poches et les banquettes de notre véhicule. Et il en existait certainement beaucoup d’autres. Mais c’était son problème. Moi, je n’avais plus de secret depuis que mon nombril était devenu une fenêtre ouverte sur le monde.)

— Alors, parlons rapidement. Je suis d’accord sur votre prix. De plus, il y aura une prime quand le travail aura été accompli. Vous devez aller jusqu’au Royaume. Vous êtes payée pour ça. Quatre mois, c’est-à-dire l’aller retour, même si votre mission n’est prévue qu’à l’aller. Vous recevrez votre prime dans la capitale impériale. Quant au salaire… un mois d’avance, le reste au départ. D’accord ?

— D’accord. (Il fallait que j’évite d’avoir l’air trop enthousiaste. Un voyage aller retour jusqu’au Royaume ? Mais mon pauvre vieux, hier encore je cherchais à embarquer comme femme d’équipage…) Et mes frais ?

— Vous n’en aurez pas trop. Sur ces long-courriers de luxe, tout est compris.

— Oui, je sais : excursions au sol, argent de poche, bingo, boissons… Ce qui représente quand même au moins vingt-cinq pour cent du prix du billet. Si je dois jouer le rôle d’une riche touriste, il faut quand même que je tienne ma place. Je suppose que c’est ma couverture ?

— Eh bien… oui. D’accord, d’accord… On ne va pas se battre pour quelques milliers de dollars puisqu’il faut que vous soyez une parfaite Garce en Or. Vous notez tout et on vous remboursera à la fin du voyage.

— Non. C’est vous qui avancez l’argent. Vingt-cinq pour cent du prix du billet. Je ne veux pas tenir des notes parce que ça ne cadrerait pas avec mon personnage.

— D’accord, d’accord, encore une fois ! Maintenant, taisez-vous et laissez-moi parler un peu. Nous serons bientôt arrivés. Vous êtes un être artificiel.

Depuis longtemps, je n’avais pas ressenti un tel frisson glacé. Je me suis reprise après un instant et j’ai décidé de lui faire payer très cher cette remarque crue et cruelle.

— Vous cherchez intentionnellement à me blesser ?

— Non, pas du tout. Ne le prenez pas mal. Vous et moi, nous savons qu’a priori rien ne peut permettre de distinguer un être artificiel d’un être naturel. Vous emporterez avec vous, en état de stase, un ovule humain modifié. Il sera placé dans votre poche nombrilaire, et la température constante ainsi que l’élasticité intérieure protégeront la stase. Quand vous atteindrez le Royaume, vous attraperez la grippe ou quelque chose de ce genre, et vous entrerez à l’hôpital. On prélèvera alors ce que vous aurez transporté, on vous réglera la prime qui vous est due et vous sortirez de l’hôpital… avec la satisfaction d’avoir permis à un jeune couple d’avoir un bébé parfait alors que tout les amenait à redouter d’avoir un enfant malformé. La Maladie de Noël.

J’ai immédiatement su que l’histoire était en grande partie exacte.

— La dauphine, ai-je dit.

— Quoi ? Ne soyez pas stupide !

— Et il s’agit de quelque chose de plus grave que la Maladie de Noël qui ne pourrait frapper une personne de sang royal. Cela concerne le Premier citoyen lui-même puisque, cette fois, la succession passe par sa fille et non par un fils. Ce job est plus risqué et plus important que vous ne me l’avez dit… Donc, le prix augmente d’autant.

Les deux magnifiques chevaux bais ont continué de faire résonner leurs sabots sur la chaussée de Rodeo Drive pendant une bonne centaine de mètres avant que Mosby me réponde.

— D’accord, Que Dieu nous vienne en aide si jamais vous parlez. Mais vous ne survivriez pas longtemps. Nous augmentons la prime. Et…

— Je vous conseille fortement de doubler la prime, tout simplement, et de la déposer sur mon compte avant que nous entrions en phase. Vous savez comme moi à quel point les gens se montrent oublieux pour ce genre de chose.

— Je ferai tout mon possible. Maintenant, nous allons déjeuner avec Mr. Sikmaa, et vous êtes censée ne pas savoir qu’il représente le Premier citoyen avec le rang d’ambassadeur extraordinaire et de ministre plénipotentiaire. A présent, redressez-vous et pensez à bien vous tenir à table.

Quatre jours plus tard, une fois encore je devais bien me tenir à table puisque je me retrouvais à la droite du commandant du H.M.S.Forward. Mon nom était désormais miss Marjorie Vendredi et j’étais si outrageusement riche que j’avais été conduite jusqu’à la station dans le propre yacht antigrav de Mr. Sikmaa. Je m’étais retrouvée à bord du Forward sans avoir à me préoccuper de détails aussi vulgaires que les contrôles de santé, les passeports et tout ça… Mes bagages m’avaient suivie – véritable caravane de malles de vêtements coûteux, de bijoux, de lingerie – mais il y avait une foule de gens pour s’en occuper et je n’eus à me soucier de rien.

J’avais passé trois jours en Floride, dans ce qui pouvait ressembler à un hôpital mais qui était, je le savais, un laboratoire de génétique somptueusement équipé. Je devinai très vite duquel il pouvait s’agir mais je gardai mes suppositions pour moi sur tout sujet qui ne me concernait pas directement. J’eus droit aux examens physiques les plus poussés que j’aie jamais subis. J’ignore pour quelle raison ils ont établi pour moi un bulletin de santé réservé d’ordinaire aux chefs d’État et aux présidents des multinationales, mais je suppose qu’ils avaient des raisons de prendre toutes les précautions possibles pour quelqu’un qui était chargé de protéger et de livrer un ovule qui, dans quelques années, deviendrait le Premier citoyen du Royaume le plus riche de l’univers connu. Oui, j’avais vraiment tout intérêt à ne pas trop bavarder.

Mr. Sikmaa ne me prit absolument pas comme Fawcett et Mosby, je veux dire à rebrousse-poil. Dès qu’il eut décidé que je faisais l’affaire, il renvoya Mosby à ses affaires et se montra si accommodant que je n’eus pas la moindre occasion de surenchérir. Vingt-cinq pour cent pour les dépenses courantes ? Mais ce n’était pas assez. Disons cinquante pour cent. « Voilà, prenez. En or et en bons d’or sur Luna. Et si vous avez besoin de plus, dites-le au trésorier du bord et vous signerez un virement sur moi. Non, nous n’allons pas établir de contrat écrit. Pas pour cette mission. Dites-moi simplement ce que vous voulez et vous l’aurez. Dans ce petit livret, vous apprendrez tout sur vous et votre passé. Durant ces trois jours, vous aurez tout le temps de mémoriser ça et, s’il vous advenait d’oublier de le brûler, ne vous inquiétez pas. Il s’autodétruira au bout de ces trois jours. Il est imprégné d’une substance spéciale. Ne vous étonnez pas si les pages deviennent jaunes et cassantes au matin du quatrième jour. »

Mr. Sikmaa avait vraiment pensé à tout. Avant que nous quittions Beverly Hills, il fit venir un photographe qui prit des clichés de moi sous tous les angles, en talons hauts, pieds nus, de profil ou de dos.

Quand mes bagages arrivèrent à bord du Forward, tous les vêtements m’allaient parfaitement, la coupe et les couleurs me convenaient à merveille. Tout cela portait des griffes prestigieuses d’Italie, de Paris ou de Bei-Jing.

Je ne connais pas grand-chose à la haute couture et en fait je ne m’y retrouve guère. Je ne sais pas quoi porter ni quand.

Mais Mr. Sikmaa avait également pensé à ça. Dans le sas, une ravissante petite créature orientale se présenta à moi sous le nom de Shizuko et m’annonça qu’elle était attachée à mon service personnel. Depuis l’âge de cinq ans, j’avais appris à me laver et à m’habiller seule et je n’avais pas besoin d’une femme de chambre mais, encore une fois, je devais accepter et me taire.