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Shizuko me conduisit jusqu’à la cabine BB qui n’avait pas tout à fait les dimensions d’un terrain de volley-ball. Il apparut aussitôt (c’était du moins ce que disait Shizuko) qu’il nous restait à peine le temps de me préparer pour le dîner. Cela me parut exagéré, vu que nous étions encore à trois heures de l’heure normale du repas. Mais Shizuko insista avec fermeté. Je devais apparemment lui obéir car il ne faisait pas le moindre doute que c’était Mr. Sikmaa qui l’avait placée à mon service.

Elle me donna un bain. A l’instant où le vaisseau passa en phase, il y eut une brusque variation de la gravité et Shizuko réussit à me maintenir en équilibre avec de tels réflexes que j’ai compris qu’elle avait une grande habitude des vaisseaux à trame spatio-temporelle. Pourtant, elle ne semblait vraiment pas assez âgée pour ça.

Elle passa une heure complète à s’occuper de mon visage puis de ma coiffure. J’avais toujours fait ma toilette seule quand je l’avais jugé nécessaire ; quant à mes cheveux, je me contentais généralement de chasser les mèches de mes yeux ou de me peigner d’un coup de main. J’ai compris très vite que j’étais une vraie souillon. Shizuko était encore occupée à me transformer en déesse de la Beauté et de l’Amour quand le petit terminal de la cabine a sonné. Des lettres sont apparues sur l’écran tandis que le message sortait de l’imprimante :

Le Maître du vaisseau des HyperSpaces

FORWARD

requiert le plaisir de la compagnie de

MISS VENDREDI

afin de partager sherry et conversation

dans la cabine du commandant

à dix-neuf heures zéro zéro

J’ai été surprise. Mais pas Shizuko. Elle venait de sortir une robe de cocktail. Elle couvrait une très grande surface de ma peau mais, pourtant, je n’avais jamais été aussi indécente.

Shizuko refusa péremptoirement d’être à l’heure. Elle se débrouilla pour nous faire arriver dans la cabine du commandant à dix-neuf heures sept. L’hôtesse de croisière connaissait déjà mon nom, apparemment, et le commandant me baisa la main. Oui, le statut de VIP à bord d’un long-courrier était infiniment préférable à un poste de capitaine d’armes.

Le « sherry » annoncé comportait un choix de high-balls, de Mort Noire d’Islande, de Pluie de Printemps (une boisson du Royaume, absolument mortelle !), de bière danoise, de quelque chose de rose venu de Fiddler’s Green et de véritable Sueur de Panthère, entre autres. Il y avait également trente et une sortes de canapés. Je ne pris qu’un verre de sherry, et encore : un tout petit, et je refusai une bonne vingtaine de fois ces canapés pourtant bien tentants.

Ce qui s’avéra physiquement être une bonne chose car le vaisseau ne comptait pas moins de huit services par jour. Une fois encore, j’avais fait le compte exact, comme pour les canapés : premier café du matin (avec pâtisseries), breakfast, petit rafraîchissement de milieu de matinée, en-cas, thé de l’après-midi avec sandwiches et re-pâtisseries, hors-d’œuvre à l’heure du cocktail, dîner (avec sept plats !), buffet de minuit. Mais si vous aviez une petite faim à n’importe quelle heure, il y avait toujours des petits snacks à votre disposition.

Le vaisseau comportait deux piscines, un gymnase, un bain turc et un sauna. Deux fois le tour de la promenade principale, cela représentait un kilomètre. Mais c’était loin d’être suffisant avec toutes ces agapes. Mon problème serait de pouvoir encore trouver mon nombril une fois arrivée dans la capitale impériale.

C’est le Dr Jerry Madsen, officier de médecine junior, qui semblait à peine assez âgé pour être interne, qui m’a enlevée à la réception. Il m’a ensuite attendue après dîner. (Il ne faisait pas partie de la tablée du commandant et dînait en compagnie des autres officiers dans le carré.) Il m’emmena au Salon Galactique, où nous avons dansé avant de voir un show avec chanteurs, danseurs et jongleur-magicien. Je me suis souvenue de ce prestidigitateur avec ses pigeons, et de Goldie, et j’en ai éprouvé une bouffée de nostalgie que j’ai aussitôt chassée.

Deux autres jeunes officiers, Tom Udell et Jaime Lopez, vinrent nous rejoindre. Quand ce fut l’heure de la fermeture, ils m’accompagnèrent jusqu’à un petit cabaret appelé le Trou Noir. Je refusai obstinément de boire quoi que ce fut mais j’acceptai de danser. Finalement, le Dr Jerry se débrouilla pour évincer ses deux amis et il me raccompagna seul à la cabine BB à une heure plutôt tardive pour la vie intérieure du vaisseau.

Shizuko m’attendait. Elle portait un kimono de cérémonie, des mules de soie et elle était maquillée. Elle s’inclina devant nous, nous annonça qu’elle serait à notre disposition à l’autre extrémité du salon – la chambre était isolée par un paravent – et elle nous servit ensuite du thé et des petits gâteaux.

Après quelque temps, Jerry s’est levé, il m’a souhaité bonne nuit et il s’est retiré. Alors, Shizuko m’a déshabillée et elle m’a mise au lit.

Je n’avais pas vraiment conçu de plans à propos de Jerry, mais il aurait pu sans doute me convaincre facilement. Je connais ma mesure. Mais l’un comme l’autre, nous savions que Shizuko était assise là, à nous attendre, les mains croisées, qu’elle nous guettait. En fait, Jerry ne m’a même pas donné un petit baiser en partant.

Même à Christchurch, je n’avais pas été chaperonnée d’aussi près. Est-ce que cela faisait partie de tout ce qui n’était pas stipulé par écrit dans mon contrat ?

29

Un astronef – un hyperastronef – est un endroit formidablement passionnant. Bien sûr, pour comprendre comment une telle masse peut se propulser, il faut une certaine connaissance en géométrie multidimensionnelle et en mécanique ondulatoire. Ce qui me faisait défaut, quoique l’envie ne me manquât pas de m’y mettre et de rattraper ce grave retard dans mon savoir.

Les fusées : ce n’était pas compliqué, ainsi que Newton nous l’avait démontré. L’antigravité était longtemps restée un mystère jusqu’à ce que le Dr Forward nous l’explique et que nous appliquions ses principes. Aujourd’hui, l’antigrav est partout. Mais comment expliquer qu’un vaisseau de plus de cent mille tonnes (si j’en croyais le commandant) pût atteindre une vitesse mille huit cents fois supérieure à celle de la lumière ?

Impossible à savoir. Ce vaisseau est doté des Shipstones les plus importantes que j’aie jamais vues… mais Tim Flaherty (deuxième ingénieur-assistant du bord) me dit qu’elles ne sont utilisées que jusqu’à mi-course pour chaque bond, et qu’elles n’utilisent ensuite que l’énergie « parasitaire », c’est-à-dire la chaleur résiduelle du vaisseau, des services auxiliaires, des cuisines, etc.

Cela me semble une violation de la Loi de conservation de l’énergie. Mais Tim me dit que ça fonctionne un peu comme un funiculaire : on rapporte toujours ce que l’on amène.

Le principe de navigation est encore plus opaque. Il n’est d’ailleurs pas question de navigation, mais de cosmonautique. Mais j’ai l’impression que l’on se moque un peu de moi : les officiers de passerelle m’ont dit que les spécialistes en cosmonautique n’étaient là que pour la figuration humaine et que c’était l’ordinateur qui faisait tout. Mr. Lopez, l’officier en second, va plus loin encore : les officiers ne sont là que pour des raisons syndicales.

Mais je ne possède pas assez de maths pour comprendre vraiment les problèmes.

En tout cas, j’ai appris une chose : à Las Vegas, je pensais encore que le Grand Tour était le circuit inévitable : Terre, Proxima, Outpost, Fiddler’s Green, Forest, Botany Bay, Halcyon, Midway, le Royaume et retour. Je croyais aveuglément aux affiches de recrutement. Faux. Archifaux. Chaque voyage est redéfini. Généralement, chacune des neuf planètes est visitée, mais le seul facteur fixe de chaque croisière, c’est que la Terre se trouve au point de départ et le Royaume à près de cent années-lumière de distance. Quant aux étapes, elles sont sélectionnées à chaque fois à l’aller comme au retour. Il existe cependant une règle à respecter : quand on s’éloigne de la Terre, la distance doit croître régulièrement à chaque escale, et au contraire elle doit diminuer lorsque l’on revient vers la Terre. Cela n’est pas aussi compliqué qu’il semble. Et ça laisse une certaine marge de flexibilité. Ces neuf systèmes stellaires sont plus ou moins alignés selon une ligne droite. Prenez par exemple la disposition du Centaure et du Loup par rapport à la Terre, quoique je n’aie jamais vu un vrai centaure, et encore moins un loup… Mais c’est ainsi que les étoiles se regroupent dans le ciel de la Terre. Il faut aller jusqu’en Floride pour les voir, celles-là. Et encore, à l’œil nu, vous risquez de ne distinguer qu’Alpha du Centaure.