Mais Alpha Centauri (Rigil Kentaurus) est la troisième étoile la plus brillante dans le ciel de la Terre. Elle se compose en fait de trois étoiles : une primaire, très chaude, sœur du Soleil, couplée avec une étoile plus timide, le troisième élément tournant autour des deux premiers à un quinzième d’année-lumière environ. Des années auparavant, Alpha du Centaure avait été baptisée Proxima. Puis quelqu’un s’était avisé de mesurer avec précision la distance par rapport à la Terre de ce troisième « cousin », et c’était à lui seul qu’était désormais réservée l’appellation de « Proxima ».
Mais, lorsque les premiers colons avaient débarqué sur la troisième planète d’Alpha Centauri (le jumeau de Solà), ils l’avaient appelée Proxima. Depuis, les astronomes vétilleux étaient morts et le nom donné par les colons à leur monde était resté.
Mais regardez seulement ce deuxième schéma :
Parmi les quelques centaines de passagers du vaisseau, je devais être la seule à ignorer que notre prochaine escale ne serait pas Proxima. Mr. Lopez (qui me faisait visiter la passerelle) me regarda comme une enfant attardée. Mais, en vérité, ce n’était pas exactement mon cerveau qui l’intéressait. Je n’ai pas osé lui expliquer que j’avais été embarquée au dernier moment. Et puis, après tout, le genre de Riche Garce que je jouais n’était pas censée être particulièrement futée.
D’habitude, le vaisseau s’arrête à Proxima à l’aller et au retour. Mr. Lopez m’expliqua patiemment que, cette fois-ci, ils n’emportaient qu’une très petite cargaison et quelques passagers à destination de Proxima, ce qui était insuffisant pour équilibrer le coût de l’escale. L’une et les autres étaient donc restés en attente. Le Maxwell, le mois prochain, les conduirait à bon port. Pour ce voyage, le Forward ne rallierait Proxima que sur le chemin du retour, probablement avec des passagers et du fret en provenance des sept autres systèmes. Mr. Lopez m’expliqua encore (mais je ne comprenais toujours pas) que toute trajectoire interstellaire était pratiquement gratuite alors qu’une escale planétaire revenait très cher.
Notre route était donc (regardez le deuxième croquis) : Outpost d’abord, puis Botany Bay, le Royaume, Midway, Halcyon, Forest, Fiddler’s Green, Proxima et retour sur Terre.
Ce qui n’était pas pour me déplaire, bien au contraire ! J’allais être soulagée de la cargaison la plus précieuse de la galaxie moins d’un mois après avoir quitté la Station Stationnaire.
Maintenant, passons au troisième croquis.
Déclinaison en abscisse et distances en années-lumière en ordonnée. Cela semble plutôt logique, mais si vous vous reportez au deuxième diagramme, vous vous apercevrez que la patte qui va de Botany Bay à Outpost, et qui semble effleurer la photosphère du soleil de Forest, passe en réalité à plusieurs années-lumière au large. Non, pour avoir un schéma à peu près exact, il faut trois dimensions. Il suffit pour cela de prendre les croquis, de les programmer dans votre terminal afin d’obtenir un hologramme. D’ailleurs, il y en a effectivement un sur la passerelle et, en l’examinant, on comprend tout beaucoup plus clairement.
C’est un peu comme le plan d’une maison.
Quand Mr. Lopez m’a donné une copie d’imprimante, il m’a prévenue : les données sont élémentaires. Bien entendu, en braquant un télescope sur telle ou telle coordonnée, vous repérerez l’étoile que vous cherchez, mais pour de véritables mesures scientifiques ou cosmonautiques, vous aurez besoin de calculs plus précis. Et c’est là qu’intervient la notion d’« époque », qui signifie en clair qu’il faut corriger en permanence les données en fonction du mouvement de l’étoile visée. Et toutes les étoiles bougent. C’est le soleil d’Outpost qui est le plus lent. Il suit à peu près le déplacement de la galaxie, du moins pour notre région stellaire. Mais l’étoile primaire de Fiddler’s Green (Nu 2 Lupi) a un vecteur de cent trente-huit kilomètres/seconde. Entre deux visites du Forward, à cinq mois d’écart, cela signifie que le soleil de Fiddler’s Green se sera déplacé d’un milliard et demi de kilomètres. Ce qui ne laisse pas de poser certains problèmes. Selon Mr. Lopez, tout repose sur le commandant et sur son habileté à sortir un vaisseau de phase hyperspatiale suffisamment près d’une planète sans entrer en collision avec un objet… une étoile, par exemple ! Cela revient vraiment pour moi à piloter un VEA les yeux bandés !
Mais je n’ai pas l’intention de devenir pilote de vaisseau hyperspatial avant longtemps et le commandant Van Kooten me paraît tout à fait fiable.
Shizuko n’est pas la seule garde que l’on m’ait donnée. Je crois bien en avoir identifié quatre autres et je ne suis pas certaine d’être au bout du compte. Certainement pas, en fait, quoique je n’aie repéré personne à proximité immédiate.
Je suis paranoïaque ? On le dirait bien, mais ce n’est pas le cas. Je suis une professionnelle qui a réussi à demeurer en vie. Ce vaisseau où je me trouve emporte six cent trente-deux passagers de première classe, quelque soixante officiers, un équipage important, et la population habituelle d’hôtes, d’hôtesses, de maîtres d’hôtel, de professeurs de danse, de croupiers, etc. Pour ces derniers, il est bon de noter qu’ils sont jeunes, souriants pour la plupart et qu’ils se préoccupent beaucoup du bonheur des passagers.
Les passagers… A bord du Forward, un passager de moins de soixante-six ans (moi, par exemple) est une rareté. En faisant le compte, nous obtenons deux filles de moins de vingt ans, un garçon, deux jeunes femmes et un couple d’héritiers en lune de miel… Tous les autres passagers de première classe relèvent de la gériatrie. Ils sont vieux, très vieux, très riches, très égocentriques – si l’on excepte une petite poignée de personnes sympathiques qui ont réussi à prendre de l’âge sans devenir amères.
Mais il restait quand même quelques hommes que je n’avais pas pris en compte. Dans la première classe ? Oui, puisqu’ils dînaient dans le salon Ambrosia. Des voyageurs de commerce ou, du moins, qui étaient à bord pour leurs affaires ? Peut-être… Mais, si j’en croyais le premier assistant à l’économat, les voyageurs de commerce se contentaient de la deuxième classe.