Ainsi, ils m’avaient menti. Je m’étais interrogée à propos de cette « stase ». Je n’en avais entendu parler que pour des températures cryogéniques, au degré de l’azote liquide et même plus bas encore.
Mais cela regardait Mr. Sikmaa et je ne prétends pas être biologiste. Je ne suis qu’un courrier et mon devoir est de livrer les messages. Les colis.
Mais quel genre de colis dans le cas présent ? Pas celui qui se trouve dans ton nombril. Non, un peu plus loin, dans ton ventre. Un colis qui t’a été implanté une certaine nuit, en Floride. Un colis qui prend de l’importance en neuf mois. Voilà qui perturbe un peu tes plans pour le Grand Tour, n’est-ce pas ? Si ce fœtus est bien ce qu’il doit être, une chose est certaine : ils ne te laisseront pas quitter le Royaume comme ça.
Mais bon sang ! s’ils voulaient une mère-hôtesse, pourquoi ne me l’ont-ils pas dit ? Je me serais montrée conciliante.
Eh, un instant ! C’est la dauphine qui doit donner naissance à un héritier, à son bébé. Tout le truc repose là-dessus : la dauphine doit donner un héritier au trône, un héritier exempt de tout défaut, né d’elle et devant témoins : quatre docteurs de la cour, trois infirmières et une bonne dizaine de représentants de la cour. Pas question de toi, affreux être artificiel, avec ton faux certificat de naissance ! Pauvre monstre !
On revenait donc au scénario original avec une petite variation : miss Marjorie Vendredi, riche touriste, se rend en visite dans le Royaume pour jouir des fastes de la capitale impériale… elle attrape un mauvais rhume et elle entre à l’hôpital. Et… Non, non ! Comment imaginer que la dauphine condescende à séjourner dans un hôpital comme n’importe quelle plébéienne ?
D’accord. Autre solution : tu entres à l’hôpital comme on te l’a annoncé. A trois heures du matin, tu quittes ta chambre sur une civière, un drap sur toi et tu te retrouves au palais. Et alors ? Combien faudra-t-il de temps aux praticiens de Sa Grâce pour effectuer le transfert ? Oh ! ça va, Vendredi : laisse tomber. Tu ne le sais pas et tu n’as pas besoin de le savoir. Quand elle sera prête, ils vous mettront toutes les deux sur des tables d’opération et la chose sera faite. L’enfant est encore bien petit.
Ensuite, tu toucheras ton pécule et tu pourras repartir. Est-ce que le Premier citoyen te remerciera en personne ? Non, probablement pas. Mais… Arrête, Vendredi ! Ne rêve pas. Tu as appris ça en formation de base, le Patron te l’a enseigné : « L’ennui, avec ce type de mission, c’est que lorsque l’agent l’a accomplie, il lui advient quelque chose de permanent, qui l’empêche de parler, sur le moment ou plus tard. Aussi, quelle que soit la prime promise, il convient de rejeter ce type de mission. »
31
J’ai réfléchi sans cesse à ce problème pendant que le vaisseau se dirigeait vers Botany Bay. J’essayais de trouver une faille quelque part. Je me souvenais du cas classique de Kennedy. Son assassin présumé avait été liquidé trop tôt pour qu’on puisse entendre son témoignage. Il y avait eu aussi ce dentiste qui avait abattu Huey Long et qui s’était suicidé quelques secondes après. Et puis, pendant toute la Guerre Froide, des agents innombrables avaient imprudemment traversé devant des voitures lancées à toute allure alors qu’ils venaient à peine de remplir leur mission.
Oui, je sais, tout cela a l’air un peu trop mélodramatique. Mais c’est mon ventre qui est en jeu. Il n’y a pas une personne dans l’univers habité qui ne sache que le Premier citoyen est monté sur le trône en passant sur quelques centaines de cadavres et que son fils s’y maintient en étant plus impitoyable encore.
Est-ce qu’il va me remercier pour avoir participé à l’amélioration de sa lignée ? Ou bien va-t-il m’envoyer pourrir dans ses oubliettes ?
Ne te fais pas d’illusions, Vendredi : savoir trop de choses est un crime capital. Du moins en politique. S’ils avaient vraiment eu l’intention de bien te traiter, tu ne serais pas enceinte, voyons. Donc, tu dois bien admettre qu’il ne t’arrivera rien de très agréable quand ils auront prélevé leur précieux fœtus.
La solution était évidente.
Ce qui l’était moins, c’était comment la mettre en pratique.
Non, ce n’était pas par erreur que mon nom n’avait pas fait partie de la liste des excursionnistes d’Outpost.
Le lendemain soir, à l’heure du cocktail, j’ai retrouvé Jerry et je lui ai demandé de me faire danser. C’était une valse classique et il a pu me demander au creux de l’oreille :
— Comment ça se passe ?
— Avec les pilules bleues, c’est mieux. Jerry, qui est au courant, à part vous et moi ?
— Eh bien, il s’est passé une chose bizarre. J’ai eu tellement de travail que je n’ai pas eu le temps d’ouvrir un dossier. Toutes les notes vous concernant sont dans mon coffre.
— Et le technicien du labo ?
— Lui aussi était submergé et j’ai tout fait moi-même.
— Bien, bien. Et ces notes… est-ce qu’il est possible qu’elles soient perdues ? Ou brûlées ?
— Non, dans ce vaisseau, on ne brûle jamais rien. L’ingénieur du conditionnement est contre. Nous recyclons. Mais n’ayez crainte, jeune fille : votre honteux secret est en sûreté.
— Jerry, vous êtes un véritable ami. Et s’il n’y avait pas mon chaperon, je crois que vous pourriez être responsable de ce bébé. Vous vous souvenez de ce premier soir ?…
— Je ne risque pas de l’oublier. J’ai fait une poussée de frustrationnite aiguë.
— Ce n’est pas moi qui l’ai engagée. On me l’a collée. C’est pire qu’une sangsue. Est-ce que vous auriez une idée pour lui échapper ?
— Je vais réfléchir. En tout cas, on ne peut pas compter sur mon cabinet. Pour y arriver, il faut traverser une dizaine de cabines d’officiers. Attention : voilà Jimmy.
Il fallait absolument que ma condition reste secrète.
Si j’atteignais le Royaume, je ne pouvais m’attendre qu’à une chose : la fin. Une fin parfaitement légale et discrète dans une chambre d’hôpital. Bien propre.
Refuser de quitter le bord ? Non, je me souvenais de ce que m’avait révélé mon petit copain le violeur. Dès que nous serions arrivés, un garde du palais monterait à bord.
Donc, il fallait absolument que je quitte le vaisseau avant d’atteindre le Royaume. C’est-à-dire à l’escale de Botany Bay. Je n’avais pas le choix.
Il suffisait d’emprunter la coursive de sortie, de descendre l’échelle de coupée en disant au revoir à tout le monde…
Mais je n’étais pas dans un bateau ! Le Forward, en orbite de stationnement, serait encore à trente-cinq mille kilomètres de la planète. Et le seul moyen de débarquer, c’était d’emprunter une des navettes.
Vendredi, est-ce que tu peux croire un seul instant qu’ils vont t’autoriser à le faire ? Ils t’ont laissée t’amuser à Outpost mais, cette fois, ils ne t’accorderont pas une seule chance. Mr. Woo ou quiconque sera dans le sas et ton nom ne figurera pas sur la liste. Et il y aura un flic du bord. Qu’est-ce que tu comptes faire dans ce cas ?
Ma foi… Je vais me battre, leur cogner dessus, enjamber leurs corps et me trouver un siège bien confortable. Ça, tu peux le faire, Vendredi. On t’a tout appris.
Et après ? La navette ne part pas tout de suite. Une équipe de brutes arrive et tu te retrouves avec une aiguille de sédatif. Ensuite, on te colle dans la cabine BB jusqu’à l’arrivée de l’envoyé du palais.
La violence, cette fois, ce n’est pas la bonne solution.
Que reste-t-il ? Le charme ? La corruption ?