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— J’écoute !

C'était tout lui, cela : « J’écoute ! » Ce simple verbe contenait toute sa morgue orgueilleuse, toute sa cruauté.

— Tout va bien, dit Beuck.

— Ah !

Et ce « Ah ! » n’exprimait rien, il était blanc. Il marquait simplement que l’interlocuteur lointain enregistrait les paroles du gros homme.

Beuck se racla le gosier.

— Nous sommes à l’hôtel du Lac, à Toronto, dit-il. Nous allons bien dormir, car nous sommes fatigués et les lits sont de première.

— Parfait, dit Dudly, j’y serai dans deux heures, le temps de fréter un avion-taxi.

— O.K… Chambre 114. Moi, je considère mon travail comme terminé, d’accord ?

— D’accord !

— Bon, vous pourrez me remplir un chèque pour le complément ?

— Évidemment !

Dudly raccrocha.

Beuck conserva un instant encore l’appareil. Ce diable d’homme le déconcerterait toujours.

Il haussa les épaules et commença à dénouer sa cravate.

Il l’avait dit, son boulot était achevé. Travail rapide et de bon rapport. Encore quatre ou cinq opérations de ce genre et il pourrait réaliser son rêve de vie à la campagne et de gastronomie !

Soudain, comme il allait se glisser dans les draps, il sursauta.

Quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire. Pas rond du tout : c’était le fric qu’il venait de rafler… Dudly aurait une conversation avec Dorman. Ce dernier n’aurait absolument rien à cacher, il dirait donc comment il s’était approprié la voiture et le fric… Ce détail ferait sourciller Dudly, auquel rien n’échappait. L’argent ayant disparu, il se douterait que Beuck n’était pas étranger à cette volatilisation. Alors…

Dudly se moquait du pognon, nous l’avons dit, du moins de ce pognon-là ; mais il y avait un chapitre sur lequel il ne plaisantait pas, c’était celui de la régularité. Ce serait un sérieux coup porté au prestige de l’ancien policier.

Dieu, que cela risquait donc d’être empoisonnant ! Comment faire ?

Il se rhabilla hâtivement et descendit dans le hall. Là se trouvaient des cabines téléphoniques automatiques. C’était mieux de les utiliser de préférence au téléphone du standard, car elles offraient l’avantage de ne pas laisser de traces de l’appel.

Il compulsa l’annuaire téléphonique de Toronto.

Il trouva rapidement ce qu’il cherchait. Il glissa un jeton dans la fente de l’appareil et composa le numéro qu’il venait de trouver.

— Allô ! La police municipale ?

— Oui…

— Dites-moi, il y a devant l’hôtel du Lac une bagnole contenant un cadavre de femme. Le type qui conduisait cette bagnole est descendu à l’hôtel…

Il raccrocha sans répondre aux demandes d’explications que le standardiste de la police réclamait à cor et à cri.

Il remonta dans sa chambre et se dévêtit…

* * *

Il alla s’embusquer derrière les rideaux de la fenêtre.

Les lumières de la ville embrasaient le ciel, composant une sorte de féerie multicolore.

C'était rudement bath !

En bas, le long des façades, les voitures s’alignaient. Il voyait très bien la grosse bagnole de Dorman. Cette voiture était une espèce de cercueil… Elle contenait un cadavre de femme.

Est-ce que la police allait se déranger ? Les flics canadiens n’allaient-ils pas croire à une mystification ?

Il attendit un bon moment… Déjà Dudly devait être à l’aéroport de Detroit, flanqué de son fidèle Carlo… Il grimpait dans un rapide petit taxi et serait bientôt là !

Beuck eut son attention saisie par l’arrivée d’une voiture noire qui se rangea avec un grincement de freins devant l’hôtel. Deux hommes vêtus d’imperméables clairs en descendirent.

Beuck n’eut pas à les regarder longtemps pour comprendre que c’étaient des flics.

Les flics sont identifiables sous toutes les latitudes.

Les deux hommes s’approchèrent des voitures en stationnement.

Ils se mirent à les considérer toutes. Ils en ouvraient les portières, car au Canada on ne ferme pratiquement jamais sa voiture à clef.

Cela ressemblait au jeu de « Tu brûles, tu gèles ». Beuck avait envie de leur crier :

— Non, pas celle-ci !

Enfin le plus grand des deux hommes posa la main sur la poignée de la porte — de la bonne. C'était précisément la portière ouverte par Beuck. Il se pencha à l’intérieur, éclaira le plafonnier…

De son poste d’observation, Beuck pouvait voir la scène à la lumière laiteuse de l’ampoule de la voiture.

Il vit même à nouveau le visage de la morte.

L’autre policier s’avança à son tour, hélé par son collègue.

Puis les deux hommes éteignirent la lumière, refermèrent la porte et tinrent un bref conseil de guerre sur le trottoir.

Ils devaient hésiter à se lancer aux trousses de l’homme que le mystérieux indicateur leur avait annoncé comme étant descendu dans le palace.

Ils devaient se dire que, vu la gravité du cas, ils feraient mieux d’en référer à leur supérieur. Ils craignaient qu’une fausse manœuvre compromît l’arrestation du meurtrier. L’affaire avait l’air assez sensationnelle.

Ils finirent par concilier les points de vue en se divisant en deux : le premier regrimpa dans sa voiture et partit à la recherche de renforts, le second se mit à l’écart sous un porche et attendit, surveillant le véhicule macabre, prêt à intervenir si son conducteur se proposait de repartir avec.

Beuck en piaffait d’impatience !

De son temps, on ne s’embarrassait pas d’un tel luxe de précautions : on fonçait dans le brouillard et tant pis s’il y avait de la casse !

Ce que les flics canadiens pouvaient être timorés, juste ciel !

Ça allait prendre combien de temps, cette plaisanterie ? Ils allaient peut-être téléphoner à la reine d’Angleterre pour savoir s’ils devaient ou non procéder à l’arrestation d’un dangereux criminel ?

Que d’histoires !

Beuck avait brouillé les cartes. Après tout, s’il avait eu une conscience, celle-ci eût été en paix. Dudly l’avait engagé pour qu’il retrouve Dorman et il l’avait retrouvé… De ce côté-là, on ne pouvait rien lui reprocher. Non, rien…

Il eut envie d’allumer une cigarette, mais il y renonça en songeant que la petite lueur incandescente risquerait de se voir d’en bas.

Il n’avait plus à se manifester du tout.

Il avait jeté des dés pour le compte des autres l’issue de la partie ne l’intéressait pratiquement plus.

CHAPITRE XII

Dudly se fâche

Dudly et son fidèle Carlo débarquèrent à l’aéroport de Toronto plus rapidement qu’ils ne l’escomptaient. L'avion-taxi frété par le gangster était un appareil ultramoderne et son pilote connaissait son affaire.

Ils sautèrent dans un taxi.

— Hôtel du Lac, ordonna Dudly, et rapidement, s’il vous plaît !

Un petit quart d’heure plus tard, l’automobile stationnait devant l’hôtel.

Dudly fronça les sourcils. Une agitation insolite régnait dans la rue aux alentours de l’hôtel. Il y avait des flics plein le hall.

Les deux hommes se regardèrent d’un air interrogateur.

— Que se passe-t-il ? demanda Carlo d’une voix qui reflétait son malaise.

Dudly hocha du chef.

Il n’aimait pas beaucoup ça.

Au lieu de demander Beuck, comme il avait l’intention de le faire à l’arrivée, il entraîna son second derrière une haie de plantes vertes. Là se trouvait un vaste canapé.

Ils y prirent place.