— Carlo, veux-tu regarder dans le portefeuille de monsieur, je te prie.
Carlo s’approcha du gros homme.
— Ne me touchez pas ! râla Beuck.
Il fit un geste pour saisir son revolver, mais Carlo l’avait ceinturé par-derrière.
Il pouvait se dégager, car il était très fort et connaissait toutes les règles du judo, mais il y renonça. Non, il ne serait pas le plus fort contre Dudly.
Mieux valait accepter sa défaite.
Il se laissa fouiller.
Carlo attrapa le portefeuille et le lança à son chef ; puis il repoussa Beuck d’une bourrade.
Dudly ouvrit le portefeuille après l’avoir palpé. Ce dernier était gras à souhait. Gras de la superbe liasse que l’ancien policier lui avait confiée.
Le chef de gang poussa un petit sifflement connaisseur.
— Bigre ! fit-il, les affaires marchent, à ce que je vois…
Il examina la liasse.
— De l’argent canadien, murmura Dudly. Je comprends tout, maintenant.
Il se mit à jouer avec les coupures, les froissant et les redéfroissant d’un petit air mutin.
— Dorman, en faisant son affaire à la fille de la bagnole, lui a raflé son magot. Vous avez su ça, et l’idée vous est alors venue de mettre la main sur le crapaud. Cela corsait votre revenu dans l’affaire. Seulement, Dorman n’aurait pas manqué de me parler du fric… Vous ne vouliez pas que je sache ça, n’est-ce pas ? Et vous avez donné Dorman aux flics pour en rester là…
Dudly fixa durement l’ancien policier.
— Vous êtes un drôle de type, Beuck… À votre âge, on devrait avoir pourtant le sens de ce qui ne se fait pas. C'est un petit jeu dangereux…
Il se leva.
— … et qui peut vous coûter cher.
Il secoua la cendre de sa cigarette.
— Très cher !
Beuck avait des larmes de rage et d’effroi dans les yeux.
— Je regrette, Dudly, fit-il piteusement. Comprenez-moi : je n’ai pas voulu vous doubler… Seulement, vous le savez : j’aime l’argent. Lorsque j’ai vu ce paquet de fric dans les mains de Dorman, je… j’ai perdu la tête… Je la lui ai fauché tout à l’heure, tandis qu’il dormait. Et puis, après, j’ai eu peur… peur de vous, car je vous connais. Alors, j’ai… j’ai perdu la tête, oui, comme un gamin… Je vous demande pardon.
Dudly ricana :
— Un tas de types m’ont déjà demandé pardon, Beuck. Mais, dans mon travail, le pardon est une chose inconnue.
Il leva la main et gifla le gros homme avec une force telle que Beuck chancela.
Il le gifla à nouveau d’un revers. Puis il lui administra un coup de genou dans le bas-ventre. Le policier eut un ahan rauque et se courba en deux.
Dudly s’écarta.
— Carlo, fit-il, ce tas de viande me fatigue, veux-tu le corriger très sévèrement, je te prie ?
Carlo n’attendait que ça.
Il repoussa lentement Beuck contre le mur, car il n’aimait pas les cibles mouvantes. Lorsque le gros policier fut acculé à la cloison, il lui assena un coup de tête effroyable en pleine poitrine. Ce coup ressemblait à l’assaut d’un bélier furieux, et, de fait, Carlo l’avait baptisé le « coup du mouton » !
Beuck en perdit le souffle. L’autre ne lui laissa pas le temps de récupérer. Il lui lança un gauche-droite à la face.
Carlo, rongé par la tuberculose, n’avait pas de muscles, ses coups ne valaient que par le nerf qu’il y mettait. Ils firent pourtant très mal à Beuck.
La tête de celui-ci partit en arrière et heurta le mur, qui vibra.
— N’ameute pas le personnel de l’hôtel, conseilla Dudly.
Il fallait agir en douceur.
Comme l’avait fait précédemment son chef, Carlo envoya son genou dans le ventre de Beuck.
Ce dernier poussa un gémissement et se cassa en deux.
Un poing s’abattit sur sa nuque. Il s’écroula sur la carpette.
Carlo se retourna vers Dudly d’un air satisfait. Le chef de gang paraissait prendre plaisir à cette petite séance.
— Je continue ? demanda Carlo.
— Parbleu, dit Dudly. Il ne manquerait plus que tu t’arrêtes… Jusqu’ici, tu l’as caressé. Montre-nous un peu ce que tu sais faire…
— Bon, fit Carlo.
Et il ôta sa veste.
Ce fut une très sévère correction.
Beuck avait l’impression d’être jeté dans un gouffre sans fond. Il ne sentait plus son corps… Il lui semblait rebondir de rocher en rocher, comme un pantin… Il se disloquait !
Vingt fois il fut sur le point de défaillir et crut perdre connaissance. Mais il était solide…
Carlo était en nage. Il le piétinait, lui lançait des coups de pied terribles dans les côtes, dans le visage. La figure de Beuck ressemblait à une éponge trempée dans le sang. Ses yeux étaient fermés, son nez avait doublé de volume, sa bouche était une masse sanguinolente répugnante.
— Ce qu’il est costaud, admira Dudly… Un vrai roc ! Tu lui taperais dessus avec un maillet qu’il ne crèverait pas.
Lorsqu’il estima que la séance avait assez duré, il fit un signe à son complice.
Carlo s’abattit dans un fauteuil.
— Bon Dieu ! tonna-t-il. J’ai dû maigrir de dix kilos pendant cette démonstration.
Dudly se rendit à la salle de bains. Il emplit le verre à bouche au robinet du lavabo et le tendit à son second.
— Tiens, bois.
Carlo se désaltéra.
— J’aimerais mieux du whisky, sourit-il.
Il n’absorba que deux gorgées. Il n’aimait pas l’eau… Il ne l’avait jamais aimée.
Dudly lui reprit le verre des mains et jeta le reste du contenu au visage de Beuck.
L'eau fit du bien à l’ancien policier.
Il essaya d’ouvrir les yeux. Il n’y parvint qu’à moitié. La lumière lui fit tellement mal qu’il eut une violente nausée. Il y avait des cloches carillonnantes dans sa tête.
Seigneur ! Jamais il n’avait ramassé une telle rouste !
Dudly s’assit à ses côtés.
— Vous n’avez jamais été un canon de l’esthétique masculine, lui dit-il, mais maintenant, Beuck, vous dégoûteriez votre propre mère !
Il le repoussa du pied.
— On dirait que vous vous êtes battu avec un troupeau d’éléphants !
Beuck, malgré sa souffrance, pensait à toute vitesse. Il pensait que cette correction, si rude qu’elle fût, ne l’avait pas tué. Dudly ne se proposait peut-être pas de le faire disparaître.
Il regarda le boss.
— Vous êtes sévère, murmura-t-il. Mais je reconnais que c’était mérité, Dudly.
— Bon, fit le gangster. Mais ça n’est pas le tout. Maintenant nous avons du boulot, Beuck… Vous avez fait entrer Dorman en prison, il va falloir l’en faire sortir. Je vous donne vingt-quatre heures pour me le livrer, pieds et poings liés. Passé ce délai, vous aurez droit à un petit jardin sur le ventre : je crois que vous me comprenez ?
— Je comprends, admit Beuck.
— Et je crois que vous êtes bien d’accord ?
— Je suis d’accord !
CHAPITRE XIII
La belle
Ç’avait été comme un cauchemar pour Dorman, mais un cauchemar à grand spectacle.
Étendu sur un lit de fer scellé dans le plancher, le petit gangster lorgnait le carré de jour de la lucarne.
Il avait la bouche mauvaise et se sentait tout tremblant.
C'était vraiment une très sale histoire. Lui qui se croyait sauvé avait été brutalement précipité dans un gouffre sans fin. Quelle idée avait-il eue, aussi, de coltiner la fille ligotée ! Et cette idiote qui trouvait malin de mourir sous la toile de bâche comme un poisson hors de l’eau…