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Il en pleurait de rage.

Il était trop timoré. Il l’avait toujours été et c’était pour cela que rien ne lui avait vraiment réussi dans cette putain d’existence !

Si au moins, au lieu de chercher ce compromis absurde entre le meurtre et le kidnapping, il avait tué la jeune Canadienne et s’était débarrassé de son corps dans un fourré ! Les coins solitaires ne manquaient pas, entre Windsor et Toronto !

On n’aurait pas découvert son cadavre avant plusieurs jours, plusieurs semaines peut-être… Et lui, Dorman, serait en train de se la couler douce avec les dollars de la souris !

Alors que maintenant, il était fait, archifait et promis au bourreau. Il avait des contractions à la nuque en songeant à cela.

Pendant le reste de la nuit, les policiers l’avaient interrogé sans relâche. Et, bien entendu, il avait avoué… Le moyen de faire autrement ?

Son compte était bon.

Il tapa des poings sur son lit.

C'était trop idiot ! Trop idiot !

* * *

Quelques heures s’écoulèrent. Des heures nauséeuses… Il faillit s’endormir à plusieurs reprises, mais chaque fois qu’il était sur le point de s’engloutir dans l’inconscience un choc brutal le faisait sursauter. Et ce choc était produit par la même pensée : une corde de chanvre dont il sentait la rugosité sur sa nuque.

Un gardien taciturne lui apporta sa pitance.

Dorman n’avait pas faim. S'il mangea, ce fut uniquement pour se forcer à faire quelque chose afin de se distraire.

Il planta sa cuillère de bois dans un brouet somme toute assez appétissant.

Il fut ahuri de ramener à la surface de l’écuelle un morceau d’étoffe.

Il regarda le petit lambeau de toile. Quelques mots y étaient tracés au crayon à bille.

Il lut :

Reconstitution du meurtre cet après-midi.

Tenez-vous prêt.

Il lut et relut les deux phrases.

Qui avait écrit ce curieux billet ? Il ne connaissait personne dans ce pays. Le billet sous-entendait qu’au cours de cette reconstitution il se produirait quelque chose.

Quelque chose, c’est-à-dire, dans son cas, une tentative d’évasion.

Qui pouvait organiser un coup pareil ?

Il ne mit pas longtemps à comprendre.

C'était Dudly… À cause de son arrestation, le gangster avait retrouvé sa piste. Il voulait absolument le récupérer et n’hésitait pas à organiser un coup de main d’envergure pour lui mettre le grappin dessus.

Il avait de la suite dans les idées, Dudly.

Dorman réfléchit longuement à la question. Il fut presque tenté de faire part de ce mot aux autorités afin qu’elles garantissent sa sécurité : de la sorte, Dudly tomberait sur un bec.

Il allait appeler le gardien pour lui demander de prévenir la police qu’il avait une importante communication à faire lorsqu’il se dit qu’après tout cela ne changerait rien à son triste sort.

Les bourdilles le protégeraient contre Dudly, mais personne ne le protégerait contre eux… Et « eux », cela voulait dire la mort dans un avenir extrêmement proche.

Au contraire, s’il savait manœuvrer, peut-être parviendrait-il à tirer son épingle du jeu ?

Pourquoi ne laisserait-il pas s’accomplir le coup de main ? Il pouvait encore jouer sa chance… Ce serait marrant, s’il laissait le chef de bande organiser son évasion et s’il parvenait à lui glisser entre les pattes ! Après tout, il avait bien réussi à lui échapper une première fois. Il n’y avait pas de raison pour qu’il ne lui échappât pas une seconde…

Il roula le morceau de chiffon en boule et le glissa dans sa chaussure.

* * *

Il faisait un soleil à tout casser.

La puissante voiture de la police, à carrosserie de bois, roulait à vive allure.

Il y avait quatre personnages avec l’accusé : un flic en uniforme qui conduisait ; un autre auquel il était enchaîné ; le juge d’instruction ; et un inspecteur.

Il ne s’agissait pas d’une reconstitution officielle, mais d’une sorte de vérification.

Personne ne parlait.

Le chauffeur mâchouillait du chewing-gum, sans entrain. Son collègue, auquel Dorman était relié par une chaînette d’acier, regardait défiler le paysage d’un œil atone. Le juge et l’inspecteur étaient plongés dans leurs pensées.

Dorman regardait la route avec angoisse. D’où l’attaque allait-elle venir ?

Comment se produirait-elle ?

Il jetait des regards effrayés à tous les véhicules qui les doublaient.

Il avait peur.

La partie était grosse pour lui.

À vrai dire, il n’en avait jamais joué d’aussi importante.

« Allons, Dorman, se disait-il, pour une fois, tâche d’être un mec à la hauteur. Ne te laisse pas abattre. Aie du cran. Et tant pis si ça fiarde : on ne crève qu’une fois… T’y tiens tellement, à cette gueuse d’existence ? »

Il se répondit par l’affirmative. Oui, il y tenait. Il y tenait même tellement qu’il aurait accepté n’importe quelles conditions pour conserver sa peau intacte.

Vivre ! Il n’y avait que cela qui comptait…

Les kilomètres s’ajoutaient aux kilomètres sur le cadran du compteur.

* * *

Au fond, il aurait dû y penser plus tôt. Ça n’était pas en cours de route qu’une attaque pouvait se produire, mais bien lorsqu’ils seraient à l’arrêt.

La grosse voiture arrivait à l’endroit que Dorman avait désigné lors de son interrogatoire.

— C'est bien ici ? lui demanda l’inspecteur.

Il esquissa un signe d’acquiescement.

Oui, c’était là. Il reconnaissait le coin. Il y avait un boqueteau de sapins et le pylône d’une ligne à haute tension.

La voiture de police s’arrêta. Les personnages en descendirent. Le juge et l’inspecteur prirent la direction des opérations.

Ils firent répéter à Dorman les détails de son agression.

Il répondit mornement à leurs questions. Tout son être était en attente. Il guettait désespérément.

Le chauffeur avait quitté son volant et faisait les cent pas pour se dégourdir les jambes. L'autre flic, celui auquel il était lié, avait ôté sa poucette pour rendre à Dorman sa liberté de mouvements et lui permettre de reconstituer ses gestes.

Il faisait un temps magnifique. Le ciel était presque blanc et l’air embaumait.

C’est alors que la Plymouth de Beuck surgit.

L’ancien flic avait suivi les policiers de très loin. Il savait ce que ceux-ci allaient faire et ne se pressait pas, étant bien certain de les retrouver.

Carlo était assis à ses côtés, une mitraillette entre les genoux.

Ce fut tout simple. Exactement comme dans un film.

La vieille voiture stoppa brutalement à la hauteur du groupe. Carlo jaillit hors du véhicule en brandissant son arme.

— Les mains en l’air, tout le monde ! hurla-t-il. Le premier qui a le malheur de remuer le petit doigt est un homme mort.

Tous les présents obéirent. Carlo avait juste le visage qui convenait pour ces sortes de choses… On comprenait tout de suite, en voyant ses yeux, que c’était un tueur. Et un tueur qui aimait tuer !

Carlo regarda Dorman. Un sourire de triomphe s’épanouit sur sa figure anguleuse.

— Arrive ! lança-t-il.

Dorman s’avança.

— Monte !

Beuck avait ouvert la portière… Dorman grimpa. En prenant place à ses côtés, il le reconnut et eut un haut-le-corps. Ainsi ce bon vivant qui lui avait si gentiment adressé la parole la veille était un homme de Dudly !